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Débat présidentiel : derrière l'affrontement, des propositions économiques juste esquissées
©ERIC PIERMONT / AFP

Eco

Entre une Marine Le Pen passéiste et un Macron incomplet, le débat économique a été caricatural et peu à même d'éclairer les Français. Pourtant, bien des sujets auraient demandé de plus amples éclaircissements...

Agnès  Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié est directrice de la Fondation IFRAP(Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques).

Son dernier ouvrage est "Ce que doit faire le (prochain) président", paru aux éditions Albin Michel en janvier 2017.

 

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Le débat de l’entre-deux tours aura été une vraie déception en ce qui concerne le débat d’idées. Quel dommage que les programmes économiques n’aient pas été abordés de manière plus approfondie ! A 10 jours de la passation de pouvoirs, qui n’aurait pas souhaité connaitre plus de chiffres, plus de détails sur l’agenda de mise en place des réformes et sur leurs modalités ? 

Plutôt que de proposer de reconstruire, de réformer en profondeur (afin d’alléger le fardeau des entreprises et des ménages et par là même de relancer l’emploi et la croissance), la proposition de Marine Le Pen est de maintenir coûte que coûte un modèle qui a vécu, quel qu’en soit le prix. Y compris si le prix, c’est le repli sur soi et le risque de la faillite de nos finances publiques.

En face d’elle, sur le sujet du chômage, Emmanuel Macron a reconnu qu’il faudra alléger le code du travail et permettre aux branches ou aux entreprises de négocier au plus proche du terrain pour s’affranchir des règles les plus rigides, notamment sur le temps de travail. La solution de Marine Le Pen  est de revenir intégralement sur la loi El Khomri, de refuser la flexibilité et de… taxer les entreprises qui délocalisent 

Sur le sujet des impôts et des dépenses publiques, Emmanuel Macron affiche 60 milliards d’euros d’économies et 30 milliards de baisses d’impôts (6 points charges sociales en moins, une baisse de l’IS de 33,3 à 25% et la fameuse suppression de la taxe d’habitation pour 80% des Français) mais il oublie de parler de ses hausses de dépenses et de ses hausses d’impôts qui risquent bien d’être équivalentes. 

De son coté, Marine Le Pen reconnait plus ou moins 100 milliards environ de dépenses en plus (augmentation des APL, des minimas sociaux, prime pour les petites retraites et les bas salaires…) qu’elle justifie de cette phrase : "Je rends l’argent aux Français, c’est leur argent" mais sans expliquer comment elle financerait ces dépenses supplémentaires, dette ou impôts en plus ? Mystère. 

Sur l’assurance maladie, les mesures de part et d’autre sont faibles. D’ailleurs, les candidats ne semblent pas maitriser vraiment le sujet. Marine Le Pen se contente de vouloir augmenter le  numerus clausus et de baisser les prix des médicaments. Sauf qu’en même temps elle propose de taxer à 30% l’importation des produits pharmaceutiques… dont 80%, selon Emmanuel Macron, sont fabriqués à l’étranger. Emmanuel Macron veut mettre en place "trois contrats types" de complémentaires santé pour que tous les citoyens puissent comparer les contrats et propose une meilleure prévention… Rien sur les 14 milliards de coût de gestion de notre système d’assurance santé à deux étages, rien non plus sur la réforme de l’hôpital.  Dommage.

Sur les retraites, c’est surtout au niveau des calendriers que les candidats ne sont pas clairs. Ce qui est clair en revanche, c’est que Marine Le Pen propose le retour à la retraite à 60 ans avec 40 annuités et ce, au cours de la durée du quinquennat. Elle reconnait un coût annuel de 17 milliards d’euros mais n’en explique pas le financement. Le candidat d’En marche, lui, propose un système de retraites unique par point pour sortir de l’incohérence des 37 régimes de retraites différents. Il reste flou sur les modalités de mise en place et dit ne pas changer ni les cotisations, ni les modes de calcul pendant 5 ans. 

En matière de politique d’éducation, Emmanuel Macron veut concentrer les moyens sur l’école primaire, diviser le nombre d’élèves par classe à 12 élèves, embaucher 12 000 professeurs et développer l’apprentissage. Il propose aussi de faire en sorte que les entreprises soit plus présentes dans les écoles. Cela reste somme toute assez classique : pas de "free schools", pas de forfait éducation par élève, pas de décentralisation de la gestion de l’Education au niveau local… Mais cela est déjà mieux que  Marine Le Pen qui critique l’Education nationale mais ne propose aucune réforme structurelle : elle se contente de vouloir refonder l’autorité du maitre, le respect du maitre, le principe de laïcité dans les universités. 

En matière d’immigration, l’opposition de Marine Le Pen à la directive travailleurs détachés manque sa cible. Ecarter son application ne résoudrait rien et conduirait au retour à la concurrence sauvage et non régulée. La question des travailleurs détachés renvoie en réalité à la question du temps de travail faible en France à temps plein (1660 heures en moyenne par an contre 2000 heures en Roumaine), à la lutte contre la fraude et à l’incitation au retour à l’emploi. 

Comme on pouvait s’y attendre après les volte-face embrouillées de ces derniers jours, il n’est pas facile de comprendre le programme de Marine Le Pen concernant l’Europe. Il y aurait deux référendums, l’un en septembre, donc immédiat, pour demander aux Français de pouvoir tout de suite s’affranchir des décisions indésirables (directives etc…) de Bruxelles, après quoi six mois de négociations s’ouvriraient, puis un second référendum en fonction des résultats de ce dernier.

On ne sait pas à quelle étape du processus se place la revendication relative aux deux monnaies, ni d’ailleurs comment elles interagissent. Il est exact comme l’a souligné Emmanuel Macron que l’écu n’a jamais existé comme monnaie de paiement, mais seulement comme monnaie de compte et de façon totalement insatisfaisante. La coexistence des deux monnaies n’a en fait pas fonctionné et on imagine très mal qu’un commerçant règle ses fournisseurs étrangers en euros (monnaie commune) et ses salariés en monnaie non convertible sinon à des conditions dévaluées qui sont celles qu’il aura obtenues de ses clients français. De l’autre côté, l’appartenance à la monnaie commune, en tant que panier de monnaies, exigerait le respect par la France de règles identiques à celles d’aujourd’hui, en particulier sur l’interdiction de faire jouer la planche à billets. 

L’autre problème essentiel que le premier référendum – la non-reconnaissance des décisions de l’Europe, et la disparition des trois libertés, ne signifie pas une sortie de l’euro, mais bien d’emblée une sortie de l’Europe elle-même puisque son autorité et ses principes n’ont plus force de loi. La procédure est alors celle de l’article 50 du Traité, celle engagée par le Royaume-Uni – qui n’a d’ailleurs jamais adhéré à l’euro. Elle durera deux années, se présente de plus en plus mal, coûtera fort cher et risque de se terminer encore plus mal pour tous. Comme pour l’euro, on ne peut pas être un pied dans l’Europe et un pied dehors (et pendant les deux années de négociation le pays retrayant continue d’être lié par le Traité).

Tout occupé à la critique, trop facile, de la proposition Marine Le Pen sur l’Europe, Emmanuel Macron en a oublié de préciser ses propres intentions, alors qu’on sait qu’il propose une route qui n’est pas un chemin de roses, consistant à agrandir le rôle de l’Europe jusqu’au bord du fédéralisme (ministère des finances) avec un objectif d’harmonisation fiscale et sociale. Points sur lesquels il n’a pas répondu pendant le débat. Ce qui est certain c’est que tant que la France n’aura pas redressé ses finances publiques, cette feuille de route là restera largement utopique. 

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