De Pierre Palmade à Wentworth Miller : ces témoignages qui montrent qu'accepter son homosexualité aujourd’hui n'est pas si facile quel que soit le contexte social <!-- --> | Atlantico.fr
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Wentworth Miller.
Wentworth Miller.
©Reuters

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Alors que la semaine dernière Pierre Palmade s'est dit "triste d'être homo", la star de Prison break confiait avoir tenté de se suicider, soulignant la difficulté de rendre son homosexualité publique.

Philippe Ariño

Philippe Ariño

Philippe Ariño est professeur d'espagnol de profession. Il a écrit des essais et chroniques sur la question homosexuelle, dont L'homosexualité en vérité, briser enfin le tabou.

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Atlantico : Invité ce week-end sur Europe 1, Pierre Palmade a déclaré ne pas aimer son homosexualité et être "vraiment triste", après avoir été "en colère" pendant une certaine période de sa vie. Comment interpréter ses mots ? Existe-t-il un mal-être homosexuel, et de quelle nature est-il ?

Philippe Ariño : Oui, ce mal-être existe. Et, je crois, chez toute personne qui ressent une attraction érotique pour ses semblables sexués. Dans mon entourage homosexuel, tous mes amis m’ont un jour confié qu’ils auraient préféré être attirés par une personne du sexe complémentaire, et que la découverte de leurs tendances s’est faite dans l’angoisse… et parfois les pleurs. Y compris ceux qui s’auto-persuadent que tout va très bien pour eux depuis leur "coming out" et qui jouent la comédie sociale de la "fierté d’être homo" ou du "bonheur d’aimer enfin librement". Le désir homosexuel, par essence, est le signe d’une phobie et d’un rejet de la différence des sexes, en identité et en amour. Il traduit donc une peur et une haine de soi, ainsi qu’une insatisfaction amoureuse, étant donné que la différence des sexes est le socle qui nous fait exister, que nous portons sur nous de par notre sexuation (homme ou femme), et qui, quand il est vraiment accueilli et reconnu, nous permet d’aimer dans la complémentarité et de transmettre la vie. Pierre Palmade a osé parler cash et mettre des mots sur la gêne identitaire et amoureuse qu’est objectivement l’homosexualité. L’impasse généalogique également. Ça ne fait pas plaisir à tout le monde de l’entendre, et surtout pas à une certaine société gay friendly qui, à force de vouloir le bien "des" homos, ne reconnaît plus l’humanité, l’universalité et la vulnérabilité des personnes homosexuelles réelles, ni les limites objectives, les ambiguïtés et les souffrances de leur pratique sentimentale.

Des progrès considérables ayant été faits en termes d’acceptation de l’homosexualité dans les sociétés occidentales, ce mal-être dont témoigne Pierre Palmade n’est-il pas surprenant ? Pourquoi ?

Des "progrès considérables" ?? Vous rigolez ou quoi ? Il ne faut pas confondre les succès télévisuels, législatifs et publicitaires qu’on voit sur nos écrans, avec la réalité de terrain. La banalisation sociale de l’homosexualité donne une illusion de traitement du sujet, mais au fond elle est de l’indifférence pure, du respect matraqué : "Ils font ce qu’ils veulent du moment qu’ils s’aiment !". Ce n’est pas de la reconnaissance ni de l’accueil vrais, solides. Ce n’est pas parce que l’homosexualité est exhibée qu’elle est aimée, humanisée et qu’elle conquiert durablement les cœurs. Elle sert pour un temps de vitrine, mais elle est conspuée aussi vite qu’elle est applaudie. Ce n’est pas parce qu’on en parle souvent qu’on l’explique. Au contraire, le discours bien-pensant qui assène que "c’est bien !", "c’est de l’amour", qu’"il faut pas juger", que "l’important c’est le bonheur individuel de chacun" et qu’"il faut être tolérant et accepter les différences (…même si les différences n’existent pas puisque nous serions tous égaux)" contribue à durcir les positions de ceux qui ne comprennent pas l’homosexualité, et à nier ce que vivent concrètement les personnes homosexuelles. Le coup de gueule de Pierre Palmade montre donc l’hypocrisie du vernis social gay friendly, qui n’est que l’arbre (un saule pleureur et rieur à la fois !) cachant une forêt d’indifférence et de violence homophobes, présentes et à venir.

Dans un numéro de Paris Match, il regrettait de ne pas pouvoir construire une relation avec une femme. En quoi cela est-il source de frustration ?

Oui. Tout le monde se souvient de son mariage – sincère mais trop volontariste pour être solide – avec la chanteuse Véronique Sanson. Je comprends la frustration de Palmade, car l’expérience de l’Amour vrai, c’est celle de l’accueil de la différence fondatrice du Réel et de l’Amour qu’est la différence des sexes (sans différence, on ne peut pas aimer), un accueil qu’il connaîtra difficilement par la conjugalité ou l’affectivité vu que son désir homosexuel le pousse à fuir la différence des sexes. Pierre Palmade devine par conséquent à côté de quoi il passe : le bonheur et la simplicité d’aimer dans la complémentarité femme-homme ; le bonheur d’engendrer naturellement. Tout être humain a besoin de laisser une trace durable, vivante et belle, de son passage sur Terre. Parce que sa joie profonde, c’est de se donner pleinement et de transmettre la vie. Ce don de soi peut prendre diverses formes, d’ailleurs : les enfants, mais aussi d’autres formes de fécondités (l’engagement social et politique, l’art, les paternités adoptives et spirituelles, la musique, le sport, le célibat consacré, etc.). Il n’est jamais facile de faire le deuil de son grand projet existentiel ! La chair de sa chair ou encore l’amour corporel complémentaire. Palmade a eu le courage de dévoiler une angoisse existentielle universelle !

L’humoriste se dit "ni pro-homo, ni anti-homo", et "ne revendique rien". Mais un certain nombre de personnes homosexuelles peuvent-elles se reconnaître dans son discours ?

Bien sûr. Et j’oserais même dire que quasiment toutes les personnes homosexuelles pratiquant leur homosexualité s’y reconnaîtront puisqu’elles tiennent exactement le même discours. Elles passent elles aussi par des phases chroniques d’homophobie pro-gay "J’y crois / Je n’y crois plus", "Je suis homo mais pas gay", "Je suis hors milieu / J’en fais partie", "Tous des salauds, ces communautaristes ! / Je couche avec". Elles se foutent royalement des droits législatifs qu’elles demandent ponctuellement à cor et à cri, ou que notre société permissive fait passer en leur nom. Ce qui chez Pierre Palmade ressemble à une crise exceptionnelle d’homophobie homosexuelle, et qui s’exprime par une désolidarisation du militantisme LGBT et une résignation cynique, n’est en fait qu’un caprice bien connu et bien logique de la culpabilité de la pratique homo. Il devrait interroger spécialement notre société sur les contradictions des actes homosexuels.

L'humoriste a d'ailleurs présenté ses excuses suite à la polémique que ses propos ont déclenchée. 
"Je n'ai fait que me décrire le plus sincèrement du monde sans donner une autre opinion que sur moi-même, a-t-il expliqué sur FacebookComment douter de mon positionnement citoyen après tout ce que j'ai fait et dit pour banaliser l'homosexualité ces dernières années," s'est-il justifié. Que révèlent les excuses de Pierre Palmade ? 

À mon sens, elles montrent une peur de porter un regard de vérité universalisé sur les actes homosexuels, et une trouille de passer pour un traître à la "Cause" homo. Pierre Palmade avait fait un pas en avant… pour finalement reculer de deux pas et rentrer dans le rang de la solidarité distante. Il se réfugie derrière une subjectivité bon ton ("Ce que je pense n’engage que moi") et une neutralité relativiste qui contrastent totalement avec la souffrance et la violence qu’il avait commencé à aborder du bout des lèvres au départ. Il dit même qu’il cherche à "banaliser" l’homosexualité. Son discours langue-de-bois finit par briser son premier élan prometteur de dénonciation de la pratique homosexuelle. C’est dommage. Car s’il est vrai qu’un être humain ne se réduit ni à sa tendance sexuelle, ni à sa pratique sexuelle, est-ce que ça nous autorise à prétendre ensuite que le désir homosexuel n’existe pas et qu’il n’influe pas négativement dans notre quotidien dès qu’on s’y adonne ? Je ne crois pas. On ne demande pas à Pierre Palmade d’être militant ou de justifier quoi que ce soit. On lui demande juste d’expliquer l’homosexualité et pourquoi elle le fait souffrir. Et il faut reconnaître qu’il n’est pas allé jusqu’au bout de sa dénonciation. C’est bien pour cela qu’il reçoit en ce moment les foudres d'incompréhension de la communauté LGBT et qu’il est accusé de lâcheté.

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