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De la secrétaire "trop bavarde" aux informaticiens "boutonneux à lunettes" : pourquoi les entreprises doivent lutter contre les stéréotypes qui collent à la peau de ses employés
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Bonnes feuilles

Comment fonctionnent-ils ? Pourquoi sont-ils si répandus ? A quoi peuvent-ils bien servir ? Loin de prétendre les éradiquer, cet ouvrage dresse un panorama des stéréotypes de la machine à café au bureau du PDG. Extrait de "Les stéréotypes en entreprise", de Patrick Scharnitzky, publié chez Eyrolles (2/2).

Patrick Scharnitzky

Patrick Scharnitzky

Patrick Scharnitzky est docteur en psychologie sociale et a été maître de conférences des universités pendant 13 ans. Il est aujourd'hui professeur affilié à ESCP Europe et consultant diversité dans le cabinet de conseil en ressources humaines "Valeurs & Développement". Conférencier et formateur, il accompagne également les entreprises sur leur politique diversité et mène des recherches appliquées. A ce titre, il pilote la partie quantitative du programme de recherche de l'IMS sur les stéréotypes avec quatre volets depuis 2010 : le handicap, le genre, les origines et les générations. Il a écrit Les pièges de la discrimination : tous acteurs, tous victimes aux éditions de l'Archipel et a participé au collectif Mixité au travail, quand les hommes s'engagent aux éditions Eyrolles.

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On a vu comment les stéréotypes peuvent conduire à la discrimination si on les laisse agir et, bien sûr, le recrutement reste la partie la plus visible de l’iceberg même s’il ne concerne pas tous les critères de la même façon. Les stéréotypes actifs consistent à bloquer l’entrée dans l’entreprise à des populations ou des profils perçus comme incompatibles. Ces stéréotypes reposent sur des « traditions » et des pratiques qui deviennent obsolètes tant la population active change et évolue depuis quelques années.

>>>>>>>>>>>>> A lire également : De la secrétaire au patron : pourquoi certaines fonctions souffrent-elles d'être plus stéréotypées dans leur entreprise que d'autres ?

D’une part, la féminisation des formations et des métiers fait que les femmes représentent aujourd’hui 51 % de la population active. Et compte tenu des différences de niveau scolaire grandissantes dès l’école primaire, on peut imaginer que ce taux va encore grimper mais, surtout, qu’il va concerner dans les années à venir une population active très diplômée et plus orientée vers des métiers traditionnellement masculins.


D’autre part, l’allongement de la durée du temps de travail fait que les entreprises ne peuvent plus traiter les salariés de plus de 50 ans comme elles l’ont fait jusqu’à présent. Quand il reste dix à quinze ans de carrière, on peut s’engager dans une logique à long terme de recrutement de ressources externes et de formation des ressources internes.

La mixité ethnique grandissante, le brassage des cultures, bien réel dans les sociétés occidentales, ainsi que la facilité des flux migratoires lors des études font que la population des juniors qui arrivent aux portes de l’entreprise est aujourd’hui plus diversifiée et cette tendance ira forcément en augmentant.

La démocratisation des études supérieures est une tendance future sur laquelle il faudra miser. Trop souvent accusées de discrimination sociale en fonction de l’origine des parents et, à juste titre, si l’on regarde les statistiques des écoles payantes, les politiques de mixité sociale sont enclenchées dans l’enseignement supérieur de façon plus ou moins directive. On pense au dispositif d’action positive déployé par l’IEP Paris depuis plus de dix ans, mais toutes les grandes écoles s’engagent aujourd’hui dans cette voie. L’augmentation des bourses d’étude et surtout le nombre grandissant de contrats d’apprentissage permettant à de jeunes gens issus de milieux défavorisés de faire des études normalement coûteuses diversifient également la population entrante dans l’entreprise.

Enfin, la visibilité et la banalisation lente mais bien réelle du handicap, associées aux contraintes financières qui pèsent sur les entreprises, ont fait entrer un très grand nombre de personnes en situation de handicap dans les entreprises de façon directe ou indirecte (+ 60 % depuis environ dix ans selon l’AGEFIPH).

Tous ces arguments témoignent à quel point la population entrante dans les entreprises se modifie de façon durable et que le vivier de recrutement sera de plus en plus hétérogène dans les années à venir. De fait, les stéréotypes peuvent représenter un frein considérable dans la capacité des entreprises à s’adapter à cette nouvelle donne. Si une entreprise continue à appliquer des critères stéréotypés dans son mode de recrutement, elle risque de se priver d’un éventail de plus en plus grand de talents aujourd’hui atypiques mais qui le seront de moins en moins dans les années à venir. Mais certaines entreprises ne perçoivent pas le danger d’une politique autiste qui se replie sur des pratiques anciennes. Elles considèrent que l’éventail des possibles reste large dans la mesure où ces populations atypiques tapent à leur porte et qu’elles ont toujours la possibilité de choisir. Ce n’est que partiellement vrai. Les plus diplômés des candidats sont sélectifs et la guerre des talents qui s’annonce dans les années à venir compte tenu de la démographie risque de les mettre de plus en plus dans une posture de choix. Si les entreprises engagées sur le terrain de la diversité sont de plus en plus visibles, celles qui ne font pas ce choix le seront de moins en moins. Les procès pour discrimination, l’absence de visibilité sur le terrain de la diversité sont autant de facteurs qui conduisent certains candidats, atypiques ou pas, à se détourner de ces entreprises. Alors oui, elles ont toujours un choix au moment du recrutement mais celui-ci se fera sur un éventail des possibles qui risque de se réduire comme une peau de chagrin. De fait, ces entreprises qui ne s’engagent pas sur le terrain d’un changement de mentalités risquent de se déconnecter de la réalité sociodémographique de la population active sans même s’en rendre compte puisque les candidats ne taperont plus à leur porte.

Vécu personnel :  Un recruteur me dit un jour lors d’une formation : « On a toujours recruté de cette façon et on continuera à le faire puisque ça marche ! Pourquoi voudriez-vous que nous changions nos méthodes en diversifiant notre population entrante puisqu’elles sont efficaces ? » Mais comment le sait-il ? Le problème de tout diagnostic sur le recrutement, c’est précisément qu’on connaît les gens qu’on recrute, moins ceux que l’on refuse et pas du tout ceux qui ne candidatent pas.

Imaginons que nous déduisions de cent diplômés à bac + 5, celles et ceux qui sont habituellement victimes de stéréotypes à l’embauche, combien en reste-t-il ? Retirons les femmes, les étrangers, les Français issus de l’immigration, les jeunes issus d’une origine sociale faible, les universitaires, les personnes en situation de handicap, les homosexuels et les lesbiennes, les banlieusards et les personnes perçues comme physiquement peu attractives, combien en reste-t-il ? Et nous n’avons utilisé que neuf critères de discrimination sur les vingt que compte la loi !

Extrait de "Les stéréotypes en entreprise", de Patrick Scharnitzky, publié chez Eyrolles, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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