De l'Irak au Mali : pourquoi Al-Qaïda est beaucoup plus vive que morte 12 ans après le début de la guerre contre la terreur<!-- --> | Atlantico.fr
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Une sculpture de Oussama Ben Laden mort créée par les artistes cubains Manolo Castro, Julio Lorente et Alberto Lorente.
Une sculpture de Oussama Ben Laden mort créée par les artistes cubains Manolo Castro, Julio Lorente et Alberto Lorente.
©Reuters

Résurgence

D'après Alain Rodier, du Centre français de recherche sur le renseignement, Al-Qaïda aurait bien infiltré les mouvements islamiques en Syrie. Le "coordinateur" de la nébuleuse n'appartiendrait pourtant pas au Front al-Nosra, officiellement rattaché à Al-Qaïda.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : Le groupe terroriste est-il solidement implanté dans le pays et dans les régions alentours, ou bien la non appartenance directe de l'un de ses cadres témoigne-t-elle de son émiettement ? Se trouve-t-on encore loin des "grandes heures" de l'ère Ben Laden ?

Alain Chouet : Il faudrait d’abord savoir de quoi on parle. Depuis douze ans les impératifs de la « guerre globale à la terreur » voulue par l’administration Bush, la volonté de simplification pas toujours très pertinente des grands médias occidentaux et le désir de notoriété de certains pseudo-experts ont très largement pollué le concept « Al-Qaïda ».

Après les attentats du 11 septembre, l’Amérique a voulu voir dans Al-Qaïda qui l’avait durement frappée l’ennemi ultime, absolu et permanent. Dans ce sillage, les médias internationaux ont entrepris d’attribuer tout acte de violence politique commis par des musulmans à l’organisation mythique. Et bien évidemment, tout contestataire violent s’appuyant sur l’Islam a bien compris qu’il devait se réclamer du drapeau de cette organisation s’il voulait être pris au sérieux. De même tous les gouvernements des pays musulmans ont bien compris qu’ils devaient coller l’étiquette « Al-Qaïda » sur leurs opposants s’ils voulaient pouvoir les réprimer tranquillement et au besoin avec l’assistance de l’Occident.

C’est ainsi qu’on invoque aujourd’hui à tort et à travers le nom d’Al-Qaïda dans toutes les violences du monde musulman et des communautés musulmanes émigrées alors qu’on est partout bien loin du modèle, de la stratégie et de la composition de cette organisation.

Aujourd'hui l'organisation Al-Qaïda stricto sensu est-elle si importante en taille et en influence que cela ? Est-elle plus proche de la disparition, ou au contraire du regain de puissance ?

L’organisation Al-Qaïda avec à sa tête Ayman Zawahiri et Oussama Ben Laden qui a commis les attentats du 11 septembre 2001 et bien d’autres avant a été détruite sur le plan opérationnel en 2002 et dispersée lors de l’offensive occidentale en Afghanistan. Ses principaux responsables idéologiques et opérationnels - y compris Ben Laden -, condamnés à l’isolement et la clandestinité, ont été progressivement « revendus » aux Américains par les autorités pakistanaises en échange d’indulgences et de générosités diverses.

De cette organisation qui avait privilégié la lutte contre l’Occident pour le dissuader de soutenir les régimes musulmans en place considérés comme impies et illégitimes, il ne reste aujourd’hui que quelques activistes dispersés et isolés, même s’ils sont actifs sur le plan de la propagande comme l’était au Yémen l’américain d’origine locale Anwar Awlaqi, fondateur de la revue « Inspire » qui est l’un des phares sur l’internet de la nébuleuse activiste salafiste en particulier en Occident.

Et il reste aussi, bien sûr, Ayman Zawahiri, authentique Frère musulman d’Égypte, idéologue et tête pensante de l’organisation. Isolé, privé de moyens opérationnels, de ressources financières et de possibilités efficaces de communications, il assure sa survie politique en édictant des directives incantatoires, en accordant ou non le label de l’organisation mythique à ceux qui veulent s’en réclamer, en distribuant les bons et les mauvais points aux exécutants de la violence islamiste. Il s’est transformé en une sorte de Max Havelaar du djihadisme. Il est une référence mais pas un acteur.

Du Mali au Proche-Orient en passant par la Somalie ou le Yémen, les groupes se réclamant d'Al-Qaïda sont pléthore. Mais sont-ils solidement connectés à une direction centralisé, ou s'affublent-ils tout simplement du "label" Al-Qaïda, sans réel adoubement par cette dernière ?

Dans toutes ces régions que vous citez, la violence islamique n’a pas pour objectif l’Occident en général ou les Etats-Unis en particulier, ou alors de façon très indirecte quand l’Occident intervient. Elle n’a plus rien à voir avec les objectifs de l’organisation de Ben Laden.

Cette violence - même si elle s’affuble de l’étiquette Al-Qaïda - s’est recentrée sur des problématiques locales ou régionales de pouvoir et d’accès aux richesses. Au Yémen, en Syrie, en Irak et au Liban, elle vise au renversement de pouvoirs locaux réfractaires à l’Islam sunnite. Au Pakistan et en Afghanistan, elle vise à maintenir le pouvoir des forces politiques islamistes ou à le reconquérir. En Libye, en Algérie et plus généralement au Sahel ainsi qu’au Nigeria et en Somalie, elle vise à se constituer des sanctuaires ainsi qu’à couvrir et donner de la respectabilité à des activités criminelles ou de piraterie, pour grappiller des parts de la rente hydrocarbure et pour fragiliser des gouvernements locaux hostiles à l’islamisme politique.

Autant de théâtres d’affrontements, autant de problématiques différentes qui ne peuvent être résolues en considérant à tort qu’elles émanent d’un même courant ou d’un même chef d’orchestre barbu tapi dans les zones tribales du Pakistan. Le seul élément commun à toutes ces violences est le fait qu’elles servent partout les intérêts stratégiques et le besoin de légitimation des pétromonarchies wahhabites d’Arabie et du Qatar qui ne se cachent même plus en certains endroits de soutenir, financer et armer le djihadisme. Derrière le paravent usé d’une Al-Qaïda mythifiée, ce sont là les véritables chefs d’orchestre de la violence islamiste.

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