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De l'absurdité des normes françaises : "J'ai le choix entre une amende pour ma fosse septique ou une amende pour les arbres"
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Bonnes feuilles

Au dernier pointage, le Journal officiel de la République française recensait 400 000 normes, qui sont en train de détruire notre pays. Extrait de "Absurdité à la française" (2/2).

Philippe Eliakim

Philippe Eliakim

Philippe Eliakim dirige le service Révélations du magazine « Capital ». Auparavant il a été journaliste à Libération et à L'Événement du Jeudi. Il a écrit deux livres parus chez Robert Laffont : Mensonges ! (2004) et Éloge des chauves (2006).

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Il était une fois une gentille dame qui vivait dans une grande maison à l’orée de la forêt. Depuis que son mari était décédé et sa fille partie travailler au loin, elle demeurait seule en sa chaumine, mais les arbres étaient ses amis. Lorsque la nuit venait, elle aimait guetter le grognement discret des blaireaux en chasse, et les sangliers ne lui faisaient pas peur, même quand ils venaient nasiller jusque sous ses fenêtres : elle était chez elle, dans les grands bois de Suzac. Un jour, une femme sonna à la porte de son logis. Elle ne descendait pas d’un balai, et n’avait point le nez crochu des sorcières. Rassurée, la dame tira la chevillette et la bobinette chut. « Entrez, entrez ! Que puis-je pour vous », s’écria-t-elle joyeusement, car c’était jour de soleil et que les clématites éclataient de senteurs sucrées. « Service public d’assainissement non collectif », répondit l’étrangère d’une voix sépulcrale, en pénétrant dans la maison. Sans un regard pour les petits pots de myrtilles qui coloraient l’appui de fenêtre, elle se fit conduire à la seule chose qui l’intéressait en ces lieux enchanteurs : la fosse septique.

Mieux vaudrait maintenant mettre les enfants au lit, car la suite de l’histoire ne ressemble pas à un conte de fées. Après avoir courtement examiné l’installation, parce qu’elle avait une longue tournée à terminer et qu’elle n’arrivait pas trop à soulever les regards de fonte, la contrôleuse conclut d’un air pincé que cet équipement n’était pas aux normes. « Il l’était quand nous l’avons fait construire avec la maison, en 1970 », se défendit la forestière. « Peut-être, mais depuis, les normes ont changé, nous devons protéger à tout prix les nappes phréatiques de la contamination par les matières fécales », répondit l’assainisseuse. « Mon système fonctionne parfaitement, nous n’avons jamais eu de problème avec », insista la propriétaire. « Je n’en doute pas, mais ça ne change rien, balaya l’inflexible, en lui tendant un formulaire à signer. Vous allez devoir faire installer une nouvelle fosse compacte toutes eaux dans les quatre ans. » Cela réglé, elle se dirigea vers la minuscule maison d’amis bâtie à quelques mètres de là, huma pareillement ses cuves souterraines, fit le même diagnostic et prescrivit la même potion. « Une nouvelle fosse compacte toutes eaux ici aussi, dimensionnée pour une habitation de quatre personnes, s’il vous plaît. » « Quatre personnes ? s’exclama, stupéfaite, l’administrée. Mais la maison n’a qu’une seule chambre, et elle n’est jamais occupée. La dernière fois qu’on y a dormi, c’était il y a dix ans, peut-être. » « Une fosse pour quatre personnes, répéta la fonctionnaire, agacée d’être interrompue. Je reviendrai dans quatre ans, voir si le travail a été fait dans les normes. »

Bon, bon, se dit la dame une fois la visiteuse disparue, deux fosses septiques toutes eaux toutes neuves, ça va chercher dans les combien ? Avec les travaux préparatoires, et vu la disposition des lieux, il faut compter au moins 15 000 euros chacune, lui répondit son maçon, après un tour d’inspection dans le jardin. Zut ! soupira la future payeuse en son for intérieur, multiplié par deux, ça va aller chercher dans les 30 000 euros, de quoi engloutir pas mal de mois de ma maigre retraite. Est-ce que je vais devoir manger des brisures de riz pendant le reste de ma vie pour pouvoir payer cette note ? Mais non, mais non, la rassura-t-on le lendemain au siège du Service public d’assainissement non collectif (le Spanc) de Royan, où elle s’était rendue pour obtenir des informations, et où elle fut bien gentiment reçue. Votre maçon y a été un peu fort sur le devis. En réalité, vous pouvez très bien vous en tirer pour 20 000 à 25 000 euros tout compris. C’est beaucoup mieux, accorda la dame, oui c’est vraiment une très bonne nouvelle, seulement il y a un problème. Pour installer les fosses et creuser les zones d’épandage, il va falloir arracher des arbres, il y en a des dizaines autour de la maison, et leurs racines courent partout. Et vous savez que, chez moi, arracher les arbres, c’est strictement interdit, je suis dans une forêt protégée, je n’ai même pas le droit de sectionner un arbuste. Comment vais-je m’en sortir ? Ça, madame, ça ne nous regarde pas, l’interrompit l’agent d’assainissement, ici, nous nous occupons des eaux usées, pas des arbres protégés, ça nous fait déjà assez de travail comme ça. Maintenant si vous n’avez rien d’autre à nous demander, je crois que nous allons vous laisser, il y a du monde...

À l’heure où nous écrivons ces lignes, Monique Schwartz n’a toujours pas résolu cette contradiction kafkaïenne. « J’ai le choix entre une amende pour les fosses ou une amende pour les arbres », résume-t-elle. Ce sera plutôt l’amende pour les fosses, car investir 25 000 euros dans cette affaire, franchement, elle n’y pense pas une seconde. « Je n’ai pas les moyens. » Et l’Administration aura du mal à la prendre par les sentiments écologiques, car cette folle dépense ne servirait absolument à rien. D’abord parce que le volume des rejets d’une seule personne est bien trop insignifiant pour polluer n’importe quelle nappe phréatique – à ce qu’on sache les centaines d’animaux de la forêt de Suzac ne font pas leurs besoins dans des canalisations aux normes, et personne ne s’en soucie. Et puis parce que, de toute façon, la nappe est beaucoup trop profonde à cet endroit pour risquer d’être jamais salie avec des eaux usées. « Elle est située à 18 mètres sous terre, il n’y a aucun danger de pollution », confirme la mairie de la commune, Saint-Georges-de-Didonne, en Charente-Maritime.

Extrait de "Absurdité à la française,enquête sur ces normes qui nous tyrannisent", Philippe Eliakim, ( Editions Robert Laffont ), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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