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De Christchurch à Utrecht : quel modèle intellectuel pour penser sereinement le grand bouleversement démographico-ethnique dans les démocraties occidentales ?
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Entre (bribes de) lucidité hystérique et déni irénique

L'attentat perpétré en Nouvelle Zélande a pu avoir pour effet de remettre la théorie complotiste du grand remplacement dans le débat public, divisant les positions entre deux visions, l'une semblant se baser sur une forme de déni des problématiques posées par la question migratoire, l'autre reposant sur une vision ethnique de la société.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico: Entre l'individualisme libéral et le nationalisme ethnique, quel serait le modèle intellectuel qui permettrait de faire face, politiquement, à ce bouleversement ? Comment tenir un discours de vérité pour sortir de la folie symbolisée par les attentats de Christchurch et d'Utrecht ? 

Edouard Husson : Tout d'abord, il faut dire qu'il est proprement honteux et totalement inadapté à l'événement de voir un certain nombre de personnes développer des polémiques de politique intérieure suite à l'attentat de Christchurch. Nous sommes dans une époque qui est obnubilée par la violence verbale et largement aveugle à la violence en acte. Pensez à tous ces délinquants ou criminels dont on excuse de fait le comportement en expliquant que leur recours à la violence est due à un "problème de verbalisation des émotions". A l'inverse on se met à traquer le moindre mot qui n'appartienne pas à la langue bisounours. Loin de pratiquer un retour au libéralisme politique des XVIIIè et XIXè siècle, le néolibéralisme des trente dernières années a développé une véritable police de la pensée. 

Cela dit, la notion de "grand remplacement" est problématique. Elle est l'alliée objective de l'antinationisme progressiste. Elle consiste à penser que nous sommes condamnés à subir les conséquences de la politique des néolibéraux sans pouvoir réagir. Elle est complice des progressistes qui ne veulent plus de décision politique mais des flux, de la libre circulation, du "vivre-ensemble".  A cette vision absurde par son irénisme elle oppose un cauchemar, celui de la conquête du pays par les très nombreuses naissances issues de l'immigration. Dans les deux cas, nous sommes loin de la question d'une action politique appropriée pour assimiler avec succès des populations d'origine étrangère. 

En quoi ces deux visions finissent-elles par se rejoindre ? En quoi peut-on y voir l'expression d'un malaise occidental ? 

Le progressisme finit par déboucher sur la haine du peuple qui accueille les étrangers. Emmanuel Macron vient encore de nous en donner une nouvelle illustration ce soir: lors du débat sur France Culture avec des experts et des universitaires, il a déclaré, à propos de la crise des Gilets Jaunes, si j'en crois la transcription que propose France Culture (21h21): "Ce n'est pas la France de l'exclusion sociale qui est sortie dans la rue. Il n'y a pas eu la France des quartiers les plus populaires, la France issue de l'immigration qui est la victime principale de la discrimination", mais "une partie de la France qui est majoritaire et ne va plus aux urnes". Cette idéalisation des "quartiers" est aussi absurde que leur dénigrement. Surtout, au nom de l'inclusion des uns, on refuse de parler de l'exclusion de fait des autres (les Gilets Jaunes). Je comprends bien tout le calcul politique qu'il y a derrière: arriver à un choc frontal entre LREM et le Rassemblement National. Mais ce n'est ni servir la vérité ni permettre la justice sociale. La vérité est que nous avons aujourd'hui une France totalement atomisée entre l'individualisme absolu des "classes créatives", l'anomie des "quartiers" à laquelle on ne laisse pas d'autre issue, le plus souvent, que la prise en main par le salafisme et la désintégration progressive de la France périphérique. 

Il est urgent de refonder le pacte politique français. Il impliquera une politique ambitieuse d'assimilation à la nation.  

Quel est le danger de refuser le débat sur cette question, en continuant sur une rhétorique qui ne fonctionne plus auprès de la population ? En quoi cette approche par l'idée de "l'immigration est une chance" ne pèse plus dans nos sociétés occidentales, par exemple au regard d'une société américaine dont l'ancienne majorité est devenue une minorité dans certains Etats, ou en France ? 

De quelles majorités et minorités parlons-nous? De groupes ethniques? Mais dans ce cas pourquoi la machine à assimiler qu'était la République ne joue-t-elle plus son rôle? On a raison de souligner que l'Islam, par la confusion qu'il crée entre le domaine temporel et la sphère religieuse, est incompatible avec la laïcité. Mais pourquoi la machine à produire du citoyen laïc ne fonctionne-t-elle plus? Est-ce parce que nous nous payons de mots en croyant que la République a eu quoi que ce soit à faire pour séparer l'Eglise de l'Etat: le christianisme est depuis son origine créé sur la distinction absolue entre le religieux et le temporel? Effectivement, l'effort à accomplir pour briser le holisme dans lequel vit le musulman pratiquant est considérable. Il est évident qu'on ne peut assimiler facilement des musulmans à la République qu'à condition d'avoir à faire à un petit nombre. Or, non seulement la volonté politique républicaine n'est plus là mais on a laissé s'installer en France des populations musulmanes nombreuses. Et on s'est rendu la tâche encore plus difficile en ayant une politique économique absolument défavorable, du fait de la monnaie forte et des charges sociales élevées, à l'intégration par le marché du travail. Cela n'empêche pas que des populations qu'on ne veut plus assimiler civiquement ni par l'Ecole, qui ne sont pas ou sont mal intégrés à l'économie des métropoles ( y compris par la discrimination à l'embauche), ont en même temps accès à un certain nombre de prestations médicales, sociales etc.... Or que peuvent-ils développer sinon du mépris vis-à-vis de la société où ils s'installent, à partir du moment où les avantages sociaux disponibles ne sont pas la contrepartie d'un effort d'assimilation? Nous cumulons les inconvénients.  


Et comment expliquer l'incapacité de nos sociétés à porter une analyse lucide et apaisée quand il s'agit de ces phénomènes ?

Notre société qui se veut si libre, si émancipée, est pleine de tabous, de chasses aux sorcières, de refus d'écouter la vraie différence, celle de l'opinion libre. Les uns et les autres ont de bonnes raisons à mettre en avant: il y a la mauvaise conscience héritée de la période coloniale, le souci des minorités, le regard universel sur l'Homme, le slogan de la diversité comme source d'innovation etc...En face, la démission progressive du RPR, qui, sous la direction de Jacques Chirac, a abandonné les classes populaires confrontées à une immigration croissante; puis l'incapacité de Nicolas Sarkozy à changer durablement la donne, ont rendu largement impossible la maturation, au sein d'un grand rassemblement de la droite, d'une nouvelle pensée de l'assimilation républicaine, d'un "nationisme" ambitieux, efficace.    

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