Davos 2023 : Réunion des maîtres du monde ou bal de Quichottes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'exprime aux côtés de Klaus Schwab lors du Forum économique de Davos, le 17 janvier 2023.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'exprime aux côtés de Klaus Schwab lors du Forum économique de Davos, le 17 janvier 2023.
©Fabrice COFFRINI / AFP

Grands maniriens

Le Forum Économique Mondial, grand rendez-vous des élites économiques et politiques de la planète, est l’objet de tous les fantasmes, à commencer par celui du Great Reset. Mais quel en est le véritable bilan si on se penche sur ses 50 années d’existence ?

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Atlantico : Le Forum Économique Mondial, grand rendez-vous des élites économiques et politiques de la planète, est l’objet de tous les fantasmes, à commencer par celui du Great Reset. Sert-il encore aujourd’hui à quelque chose ?

Alexandre Delaigue : Depuis le début, le Forum économique mondial contient deux choses. D’une part la rencontre entre les grands de ce monde, d’autre part un rendez-vous professionnel d’ampleur pour se faire. On peut avoir le sentiment d’une certaine vanité, mais ce n’est pas qu’une réunion vaine de la jet 7. C’est un lieu de rencontre qui n’a pas d’équivalent, même si, après le Covid, son intérêt a baissé.

Dov Zerah : Oui, le Forum économique mondial est l’objet de tous les fantasmes. Qualifié par de nombreux clichés, le « club des riches », la « rencontre des élites mondiales » … comme en son temps, les mythes véhiculés par les slogans autour des « deux cents familles », du « comité des forges », du « complot judéo-maçonnique », du « complot juif international » véhiculé par le Protocole des sages de Sion… Au-delà de ces stéréotypes ou préjugés, il faut insister sur le fait que tous les débats du FEM sont publics et suffisamment accessibles pour déjouer toute approche complotiste.

Oui, le FEM sert encore aujourd’hui.

Le FEM n’a pas de responsabilité institutionnelle, n’est pas une instance de décision, n’a pas de responsabilité de gestionnaire... C’est une fondation financée par un millier de grandes entreprises qui souhaitent se retrouver régulièrement pour écouter les principaux dirigeants du Monde, participer à des débats, rencontrer des chefs d’entreprise… participer à ce forum pour comprendre les dernières évolutions du Monde et découvrir les futures tendances. Au-delà d’un lieu de rencontres et de discussions, le FEM lance des initiatives pour confectionner une conscience universelle et mobiliser les multinationales sur des sujets essentiels au bon fonctionnement de notre planète.

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La dernière initiative du FEM, « la grande réinitialisation », « The Great Reset », est une proposition d’une planification économique pour reconstruire l'économie de manière durable après la pandémie. 

La COVID a mis en évidence les faiblesses du commerce international. À plus ou moins brève échéance, c’est l’organisation de la production et des flux qui va probablement être repensée. Va-t-on vers la fin de la politique du « zéro stock » ? Les entreprises européennes vont-elles organiser des relocalisations sur leurs bases nationales ou sur des pays plus proches que ceux asiatiques ? Elles arbitreront entre la réduction du risque de non approvisionnement et le coût entrainé par le recours à une main d’œuvre plus chère.

Le coronavirus va-t-il être plus efficace que toutes les manifestations d’alter mondialistes pour détricoter la globalisation de notre monde ? Les partisans du repli sur soi et de l’érection de barrières et frontières y voient une opportunité de « démondialisation ».

Il est fort probable que toutes les entreprises implantées de par le monde revisiteront leurs stratégies. Néanmoins les réorientations sont lentes et sont tributaires du coût.

Le FEM est le lieu par excellence pour faire émerger les nouvelles pratiques internationales.

Quel en est le véritable bilan du WEF si on se penche sur ses 50 années d’existence ? Qu’a-t-il véritablement accompli ?

Alexandre Delaigue : C’est une question difficile, mais qui est valable pour les grandes réunions comme le G7, le G8 ou G20. Que peut-on en retirer ? Pas grand-chose. Les communiqués d’une année sur l’autre disent la même chose : les dirigeants s’inquiètent des problématiques liées à la faim dans le monde et au réchauffement climatique, etc. Un verbiage qui n’est pas inutile mais très convenu. Le fondateur du forum de Davos a toujours eu une bonne capacité à se mettre en avant, mais on sait malgré tout qu’il s’est passé des choses. Davos a permis les premières rencontres dans les années 1990 entre responsables israéliens et palestiniens. Puisque tout le monde y est et qu’il y a des possibilités de se rencontrer à l’abri des regards, cela a été rendu possible. Difficile donc de faire un bilan de réunions informelles. Est-ce que la face du monde aurait changé sans Davos ? Probablement pas. A-t-il été complètement inutile? probablement pas non plus. Le grand rendez-vous des élites a donné son cachet au forum, mais ce n’est pas la partie la plus importante. Les rencontres entre entrepreneurs sont bien plus intéressantes. C’est une vaste réunion de chambre de commerce. Et les discours tenus n’en sont que le vernis intellectuel.

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Mais au fait, que faisaient Bill Gates et Klaus Schwab au G20 ?

Dov Zerah : Le bilan du FEM ne peut s’apprécier que par les initiatives qu’il a lancées : la « Global Health Initiatives » lancée en 2002 par Kofi ANNAN le secrétaire général des Nations-Unies, la « Global Education Initiative ». En 2004, la lutte contre la corruption des dirigeants des secteurs de l’ingénierie et de la construction, de l’énergie et des métaux et de l’exploitation minière…, initiative signée par 140 entreprises.

La lutte contre le changement climatique constitue un des axes de la mobilisation des multinationales avec notamment en 2003 l’initiative « Climat et eau » ; l’importance du rôle du FEM est consacrée avec la demande du G8 en 2005 de favoriser le dialogue avec le milieu des entrepreneurs pour formuler des recommandations visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elles ont été présentées aux dirigeants du G8 en juillet 2008. Réunissant de nombreux acteurs, entreprises et agences de développement, la « Water Initiative » a pour objectif de promouvoir les partenariats publics-privés sur la gestion de l’eau en Afrique du Sud et en Inde. « Le Manifeste de Davos de 2020 » invite les plus grandes entreprises du monde à se fixer un objectif d'émissions nettes nulles de carbone pour 2050.

Longtemps chantre de la mondialisation, Davos essaie aujourd’hui une approche un peu plus critique. Le forum ne fait-il que suivre l’ère du temps et le consensus en vigueur ? Est-il capable d'anticiper les crises et les évènements ?

Alexandre Delaigue : Davos est le lieu de transmission d’une forme d’élite globale, associée à la libéralisation des échanges, au libéralisme en général. L'élite pense que la mondialisation est une très bonne chose qui doit y être encouragée et organisée par elle. C’est le discours de l’élite mondialisée, sans la connotation négative qu’on peut donner à ce terme. Il y a des gens intelligents qui se rendent à Davos pour écouter et réfléchir. Le Forum a su aspirer un certain nombre de critiques. Le monde idéal souhaité par Davos, les certitudes issues du moment de la fin de l’histoire, tout cela n’est plus à l’ordre du jour. Et on peut en partie le regretter. Mais le forum ne crée pas tant qu’il consacre ce qui existe déjà. Davos ne fait que claironner l’existence d’élites mondialisées qui existeraient sans lui.

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Bienvenue dans la polycrise qui va vous faire regretter la mondialisation

Dov Zerah : Le FEM n’a pas vocation à imposer quoi que ce soit et surtout pas le « politiquement correct ». Le FEM a pour vocation à analyser les évolutions et à essayer d’entrevoir les perspectives.

N’oublions pas que la gouvernance économique mise en place au lendemain seconde guerre mondiale avait vocation à tirer les enseignements des erreurs commises au cours des années trente. Pour faire face à la crise de 29, les autorités ont procédé à des dévaluations compétitives et mis en place des barrières tarifaires. Cela a entrainé un repli sur soi de chaque pays ou Empire, une accentuation des oppositions entre les pays… et cela a fini par aboutir à la guerre. Avec les accords de Bretton Woods de 1944 et du GATT de 1947, s’est développé le commerce international, la mondialisation. Au-delà de la croissance économique généré par les échanges internationaux, l’objectif était de développer les liens entre les pays d’une intensité telle qu’elle est de nature à empêcher le retour de la guerre. Avec la mondialisation, le commerce est l’arme de la paix !

Mais, depuis une dizaine d’années, la mondialisation a été mise à mal par les « trois dumpings chinois » monétaire, social et environnemental, les posture s de Donald TRUMP, la pandémie, l’agression russe en Ukraine… 

Prenons garde de ne pas nous retrouver dans l’engrenage des années trente. Le FEM peut jouer un rôle pour rappeler certaines leçons de l’histoire et contrarier certains cercles vicieux. Il est néanmoins excessif d’attendre du FEM de faire des prévisions.

Les leçons des ratés de la mondialisation ont-elles été réellement tirées ? Davos est-il capable de proposer quoi que ce soit à la hauteur des enjeux de l’époque (et de ne pas simplement être une réunion chic des élites mondiales) ?

Alexandre Delaigue : Le discours de Davos des années 2010 n’était pas celui d’avant la crise financière. Mais c’est vrai un peu partout, il suffit de regarder les grands éditoriaux des journaux économiques. Davos retrace ce qui est en train de se passer. Quand l’idée qu’il faut réglementer la finance commence à émerger, Davos sera le premier emploi à avoir un des meilleurs conférenciers possible sur le sujet. Davos ne fait que suivre les évolutions. Ce n’est pas un lieu d’endoctrinement et de fabrication d’un discours commun. Davos est très flexible idéologiquement et c’est la force du forum. Il est capable d’absorber la critique. Davos est le lieu de la pensée unique, mais celle-ci est variable dans le temps. John Kenneth Galbraith parlait de « sagesse conventionnelle », des choses qui font tellement consensus et dont tout le monde est tant persuadé, qu’elles ne sont même plus questionnées. Davos exprime la sagesse conventionnelle des élites, selon les périodes. Regarder qui est invité à Davos permet d’avoir une idée de l’air du temps. Après la crise financière, il y a eu une forme d’auto-critique, mais parce que l’évolution de la pensée des élites était celle-ci. Joseph Stiglitz, qui écrivait contre la mondialisation, s’est retrouvé à Davos pour évoquer la nature de sa critique. C’est la grande flexibilité du forum. Bien sûr, il n’y aura jamais de critique radicale.

Dov Zerah : Non, le FEM n’a pas tiré les leçons des loupés de la mondialisation au moins sur trois sujets :

- Les entorses au commerce international commisses par la Chine n’ont pas été suffisamment mises en exergue. L’échange international ne peut perdurer avec un Empire du milieu qui accumule des excédents et des pays partenaires qui collectionnent les déficits ; la logique imposerait une réappréciation du yuan pour modifier les prix relatifs et équilibrer les échanges… Avoir intégré la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a constitué une erreur car Pékin n’a pas les mêmes normes sociales ou environnementales. L’Occident a voulu ouvrir à des centaines de millions de Chinois la voie de « l’american way of life » … mais aujourd’hui, les succès chinois font peur et entrainent une mobilisation de Washington qui est très risqué.

Le FEM a eu tort d’accueillir Xi JINPING vanter les mérites du commerce international au moment où Donald TRUMP y portait atteinte.

- Les États-Unis ne sont pas en reste, tant avec les décisions américaines depuis six ans qu’avec la dernière loi « the inflation reduction act » de 2022 qui constituent des « coups de canif » dans le fonctionnement des échanges de part et d’autre de l’Atlantique.

- L’accroissement des inégalités dans notre Monde tant au sein de chaque société qu’entre les pays constitue un des travers du fonctionnement optimal du marché. 

Le FEM n’a pas vocation à « proposer quoi que ce soit à la hauteur des enjeux de l’époque ». On ne peut pas lui reprocher de ne pas faire des actions qui ne sont pas prévues dans ses statuts. Le FEM est dans le dialogue, l’échange, le débat, le soft power… et cela est essentiel pour améliorer la gouvernance mondiale d’un Monde qui compte 7 milliards d’habitants et qui en comptera deux de plus dans trente ans.

Dans un monde globalisé, quel que soit le niveau de mondialisation, seules les stratégies de coopération permettent de surmonter les défis auxquels l’humanité est confrontée. Il n’y a pas d’alternative au dialogue. Prendre une autre démarche constitue d’accentuer les antagonismes, avec peut-être, à terme la guerre.

Davos a lancé le mot « polycrise », phénomène dont-il s’inquiète. Est-ce l’exemple de cette sagesse conventionnelle ?

Alexandre Delaigue : Il est clair que c’est le terme qui est dans l’ère du temps et qui a caractérisé 2022. Il reflète une certaine réalité et ce n’est pas pour rien qu’il fait l’actualité. Sera-t-il pour autant le concept englobant des prochaines décennies ? Sans doute pas, mais le terme n’est pas là par hasard.

Davos fait l’objet de tous les fantasmes, autour du Great reset notamment. Qui y a-t-il derrière les fantasmes autour de cette réunion des « maîtres du monde » ?

Alexandre Delaigue : Encore une fois, le contenu intellectuel de Davos est extrêmement flexible, comme le sont les idées du moment. On y a parlé du risque de surpopulation mondiale dans les années 1990, car c’était la mode, dans les années 1980, c’était les bienfaits de la privatisation, etc. Ce sont des élites qui veulent préserver leur position d’élites qui se trouvent à Davos. Donc le discours tenu cherche à légitimer les élites existantes. Pour autant, ce n’est pas un endroit où les gens vont conspirer pour faire quelque chose. Déjà, ils sont trop nombreux et trop différents pour prendre des décisions. Klaus Schwab est toujours vu comme un croque-mitaine, mais c’est avant tout un organisateur de spectacles, plus qu’un intellectuel idéologue. Et les mesures de contrôle sociale, quand elles existent, sont plutôt réfléchies à l’intérieur même des pays que dans des espaces globaux comme Davos. Les élites qui se réunissent à Davos sont contentes du monde tel qu’il est et n’ont pas envie de le changer. 

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