Culture générale : les Français se désolent de leurs lacunes mais qui osera remettre en cause le dogme de l’égalité qui les a mené là ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des élèves sont assis dans une salle de classe le jour de la rentrée dans un lycée lyonnais, le 1er septembre 2022.
Des élèves sont assis dans une salle de classe le jour de la rentrée dans un lycée lyonnais, le 1er septembre 2022.
©JEFF PACHOUD / AFP

Baisse du niveau

Les Français sont pessimistes sur leur niveau de culture générale qui, selon eux, a reculé en l'espace de dix ans, selon une étude de l’Ifop pour la revue L’Eléphant.

Gautier Jardon

Gautier Jardon

Chargé d'études chez IFOP Opinion spécialisé en sondages politiques, actualité et société. 

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Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Atlantico : Vous avez réalisé une étude, Culture générale : le déclin français ?, pour l’IFOP et L’éléphant. Quels sont les principaux enseignements de votre étude ?

Gautier Jardon : Notre sondage montre le sentiment intériorisé d’un sentiment de déclin en culture générale des Français. Ce n’est pas un test de culture générale que nous avons réalisé, simplement interrogé les ressentis. Et ce déclin sur le niveau de culture générale, ils le ressentent dans le temps, pour eux-mêmes comme au niveau global de la France par rapport à d’autres pays occidentaux. La moitié des Français estiment que les Français ont ‘moins’ de connaissances qu’il y a 50 ans, soit une augmentation de 17 points depuis 2012. Et si environ la moitié des Français estiment que le niveau de connaissances aujourd’hui est équivalent aux autres pays occidentaux, 31% des Français estiment qu’il est inférieur à la moyenne des Européens soit une hausse de 14 points, presque un doublement, par rapport à 2012.

Ce que l’on observe, c’est un effet de génération important. Contrairement à l’idée qu’on pourrait avoir des anciens qui critiquent la jeunesse, ce sont les jeunes qui sont les plus négatifs sur ces questions. Ils ont beaucoup plus intériorisé que les autres l’idée que les Français ont moins de culture que les Occidentaux.

Enfin, on a pu voir qu’il y avait un recul de l’auto-évaluation de la culture générale des Français. 58 % seulement estiment avoir un niveau de culture générale élevé. Il y a un recul de six points de cet indicateur par rapport à 2017. Seule la moitié des moins de 35 ans pense avoir une culture générale élevée contre 66 % des plus de 65 ans.

Nous sommes donc dans une situation où certains français ont déjà eu honte de leur propre culture, face à des collègues, des amis et même de la famille ou un conjoint. Et là encore c’est particulièrement important chez les moins de 25 ans.

Quelles peuvent être les causes de ce sentiment de déclin ? Est-ce que le rôle de la culture générale dans la vie quotidienne peut-être une des clés de l’explication ?

Gautier Jardon : Ce qu’on mesure, effectivement, c’est l’importance de la culture dans la vie quotidienne. Et les Français ont une vision de moins en moins utilitariste de la culture. C’est toujours quelque chose d’important, et particulièrement pour éduquer les enfants (67 % des Français estiment qu’un bon niveau de culture est primordial dans ce but). Mais dans le même temps, la culture est perçue comme moins primordiale pour comprendre le monde (53% des Français seulement contre 60% en 2017), moins primordiale aussi pour réussir sa vie professionnelle (39% contre 53% en 2017). On passerait d’une vision utilitariste à une vision plus personnelle de la culture. Cela ne veut pas dire que les Français estiment que la culture est dépassée ou réservée à une élite. Il y a adhésion, une intériorisation des français aux discours sur le déclin de la culture. 

Selon un sondage publié par l’IFOP ce jeudi, les Français perçoivent un important déclin de leur culture générale, à la fois personnelle et au niveau national. Cette perception est-elle accréditée par des données objectives ?

Erwan Le Noan : Différentes mesures portant sur l’éducation ont montré que le "niveau" de connaissances des Français a baissé, notamment en mathématiques et en sciences (enquêtes internationales Timss), mais également en français (une étude du ministère de l’éducation nationale l’a encore signalé en décembre dernier). Le ministre de l’éducation nationale lui-même s’inquiétait en décembre dernier de ce que le « niveau baisse ».

Quelles sont les causes que l’on peut identifier aux lacunes réelles et ressenties de culture générale des Français ?

Erwan Le Noan : Plusieurs causes peuvent être mobilisées.

Les premières sont objectives : la qualité de l’enseignement a baissé en dépit de budgets qui ont crû ; le niveau des exigences a probablement évolué à la baisse, en raison notamment d’un souci d’élargissement du nombre d’élèves qui obtiennent des diplômes uniformes et d’un refus de différenciation des méthodes d’enseignement ; la composition des enseignements a varié également  ; les exigences dans le recrutement des enseignants peut-être aussi (selon le ministère lui-même, dans l'Académie de Versailles, le seuil d'admission au concours de professeur des écoles est de 8 sur 20. Il est de 6 sur 20 dans celle de Créteil), etc.

Les secondes sont subjectives. Si le « niveau baisse », il n’est pas interdit de penser aussi que le sentiment d’un déficit de culture générale est lié aussi en partie au fait qu’il y a beaucoup plus à savoir aujourd’hui qu’hier. Dans notre monde connecté, où l’information se diffuse sans cesse, la connaissance est abondante et profuse. Dans ce contexte, il est probable que la nature de notre « culture générale » a varié : j’en sais plus aujourd’hui sur le numérique que sur la culture antique, ce qui n’était probablement pas le cas de nos aïeux.

Il est possible aussi que, face à tant de connaissance à notre portée, notre sentiment d’inculture a augmenté : nous voyons peut-être plus aujourd’hui l’ampleur de tout ce qu’il nous faudrait encore découvrir d’un savoir qui est par ailleurs, en théorie, extraordinairement accessible. Il y a peut-être une part de frustration dans notre sentiment d’inculture.

Peut-on véritablement s’atteler au problème si on ne remet pas en question le dogme de l’égalité, à l’école notamment, qui a mené là ?

Erwan Le Noan : La dégradation des performances de l’école a conduit à ce résultat, parce qu’elle semble faillir dans sa mission de transmission du savoir ; par conséquent les « nouveaux » parents ont également probablement moins à transmettre de culture « classique » à leurs propres enfants. Or, si cette culture « classique » n’est pas la seule et qu’il est bon de fréquenter les autres également, elle est importante pour les fondements de notre culture humaniste.

Le vrai problème du dogme de l’égalité scolaire est qu’en refusant de différencier les parcours, les enseignements, les méthodes de façon suffisante, il conduit à niveler en se concentrant sur un niveau moyen. Les enfants des « bonnes » familles s’en sortent néanmoins, parce qu’ils bénéficient de l’accompagnement de leurs parents : en pratique, les enfants des milieux les plus aisés ainsi que les enfants d’enseignants enregistrent ainsi de meilleures performances scolaires (ils montrent à ce titre que ce qui compte c’est le capital culturel plus que le capital financier). Ceux qui sont issus de milieux moins dotés, c’est-à-dire socialement défavorisés ou parfois aussi géographiquement isolés, sont eux "condamnés". Le dogme de l’égalité scolaire génère ainsi de profondes injustices, car même les plus méritants ne sont pas certains de réussir.

Quelles conclusions tirer d’un tel sondage ? Quelles préconisations ce panorama maussade devrait-il inciter à suivre ?

Erwan Le Noan : Le constat est ambivalent. Certes, il y a de quoi être un peu morose en considérant que « le niveau baisse » ; mais dans le même temps, grâce à l’économie capitaliste et au numérique notamment, le savoir n’a jamais été aussi abondant et la connaissance accessible. En France, quiconque le souhaite, ou presque, peut apprendre, grâce à l’école, grâce à son ordinateur ou son téléphone connecté à Internet, dans la presse, dans les livres, en vidéo, dans les podcasts. Le succès de ces différents contenus est un signe d’optimisme car une bonne partie d’entre eux à vocation éducative, à travers un travail de vulgarisation : cela montre que les Français veulent apprendre ! Et c’est une excellente nouvelle ! Nous vivons dans une ère de profusion et de disponibilité de la connaissance.

S’il faut certainement réformer l’Éducation nationale, il faut aussi encourager toujours les esprits curieux qui explorent. 

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