Croissance zéro et fin du quoi qu’il en coûte : vers une hausse massive des impôts ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire rencontrent le président du Groupe de la Banque mondiale au Palais de l'Elysée, le 6 mai 2019.
Emmanuel Macron et le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire rencontrent le président du Groupe de la Banque mondiale au Palais de l'Elysée, le 6 mai 2019.
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Mur des réalités

Au premier trimestre 2022, la croissance a été nulle et l’inflation poursuit sa hausse pour atteindre 4,8% sur un an, selon les données de l’Insee. Ces difficultés vont-elles contraindre le gouvernement à effectuer une hausse des impôts malgré les promesses d’Emmanuel Macron ?

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico : Cette semaine, l’Insee a publié les chiffres de l’activité économique française et ils ne sont pas bons. Au premier trimestre 2022, la croissance a été nulle et l’inflation poursuit sa hausse pour atteindre 4,8% sur un an. Ce mur des réalités qui va s’élever face aux gouvernements va-t-il les obliger à effectuer une hausse des impôts ?

Philippe Crevel : La croissance nulle du premier trimestre ne doit pas être surinterprétée. Elle survient après un quatrième trimestre 2021 exceptionnel. Une décrue était attendue, mais elle est plus forte que prévue. La Banque de France estimait que la croissance au premier trimestre devait être de 0,3 et la France fait 0%. C’est évidemment lié à la crise ukrainienne et à une vague Omicron en Chine qui a été plus sévère que prévue.

Cette moindre croissance si elle devait perdurer, ce qui est possible compte tenu des conséquences du conflit ukrainien, diminue potentiellement les recettes publiques. Par ailleurs, le gouvernement par le bouclier tarifaire, des mesures de soutien aux entreprises, ne diminue pas les dépenses mais les accroit ce qui amène à un déficit croissant ce qui reporte le jour où on réduira réellement le poids de la dette. 
Est-ce que cette situation amènera un jour où l’autre à une progression des impôts ? Avant même la guerre la guerre en Ukraine, cette question se posait. Le gouvernement faisait le pari d’une croissance forte avec des recettes en augmentation pour tenter de rembourser la dette Covid et réduire le déficit structurel que le public connait. L’exercice est déjà complexe, il est aujourd’hui de plus en plus difficile. 

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La problématique est la suivante : une augmentation des impôts ferait diminuer la croissance qui tend à disparaître… Ne pas augmenter les impôts risque à un moment ou à un autre de soulever le problème du déficit de la dette dans un contexte où les taux d’intérêts vont augmenter. La BCE dans les prochaines semaines va relever ses taux directeurs pour la première fois depuis très longtemps et revenir à un taux positif. Cela renchérira le coût de l’argent et pour les États endettés comme la France, cela aura des conséquences. À compter de 2023, la question du relèvement des impôts sera au coeur du débat. 

Jean-Philippe Delsol : Les chiffres ne sont pas bons parce qu’ils ne pouvaient pas être bons. Depuis trop longtemps, et notamment depuis cinq ans, la France augmente ses dépenses publiques en s’endettant. Dans son débat avec Marine Le Pen, Emmanuel Macron a soutenu de manière éhontée que la dette publique avait augmenté durant son quinquennat exclusivement à cause de la Covid. Pourtant, la dette publique était de 2.275 Md€ en juin 2017, lors du début du mandat d'Emmanuel Macron, et déjà de 2433 Md€ fin mars 2020, avant la pandémie. Elle a augmenté ensuite pour s’établir à  2.834,4 Md€ fin 2021 et elle avoisinera les 3.000 Md€ fin 2022. Il y a donc eu une augmentation de la dette publique pendant son quinquennat de 625Md€ environ alors que M Le Maire indique que la facture du « quoi qu’il en coûte » a représenté 140 md€ depuis 2020. La réalité est que la France vit au-dessus de ses moyens. Elle s’endette pour baisser (un peu) les impôts et pour payer ses fonctionnaires. Et elle ne réduit pas ses dépenses. Sur la période 2019/2021, les dépense publiques ont augmenté de 10,7%. elles ont atteint près de 60% en France en 2021 contre 51, 5% en Allemagne. Ca ne peut pas durer. Et surtout ça affaiblit la France et les Français durablement.

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Où pourrait-il les augmenter ? 

Philippe Crevel : Le cocktail pourrait être un peu plus d’impôts sur les revenus, une augmentation de la taxation sur les plus-values immobilière et quelques relèvements de cotisations sociales. Mais à chaque augmentation on bute sur un problème de compétitivité. 
La France avec un taux de prélèvement obligatoire de 45 % du PIB figure parmi l’un des pays qui demande le plus à ses contribuables. Les marges de manoeuvre sont faibles. Emmanuel Macron a annoncé à juste titre qu’il allait diminuer les impôts de production, qu’il n’allait pas augmenter les impôts pour les ménages. La TVA en France est déjà à 20 % et en période d’inflation. Cela n’est pas populaire de l’augmenter. D’autres rêvent d’augmenter l’imposition sur le patrimoine, mais le rétablissement de l’ISF dans sa forme d’antan ne ferait gagner que 3 à 4 milliards d’euros quand il faudrait des dizaines de milliards d’euros. On pourrait taxer le patrimoine immobilier mais le candidat Macron s’est engagé à ne pas augmenter les droits de succession. L’impôts sur les bénéfices dépend du contexte mondial et c’est la compétitivité de la France qui est en jeu. 
Le dossier est extrêmement délicat, mais il pourrait faire des économies et permettre de réduire les dépenses des pouvoirs publics. Et les principales dépenses en France sont sociales, soit un tiers du PIB. C’est un sujet sensible comme on a pu le voir avec les cinq euros des APL. 

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Philippe Crevel : Il y a un risque de douche froide après les élections législatives. C’est ce qu’avait fait Alain Juppé en 1995. Jacques Chirac s’était fait élire lors cette élection avec la lutte contre la fracture sociale et Alain Juppé avait fait un programme d’austérité durant l’été. Cela a créé un problème dans le pays qui a entraîné de grandes manifestations. 

Dans un contexte d’opinion publique tendue, le gouvernement essaiera d’éviter le problème. La campagne présidentielle a été surréaliste, les candidats ont été dopés à l’argent magique et ont multiplié les promesses de dépenses sans jamais mettre les recettes en face. Or nous sommes dans une situation d’économie de guerre avec des chocs d’offre de matières premières, d'énergie, de produits agricoles. Le retour au réalisme aujourd’hui va être compliqué à mener par Emmanuel Macron. 

Jean-Philippe Delsol : Il y aura certainement des budgets rectificatifs. La question est celle de leur ampleur qui risque d’être importante. Bien sûr la guerre en Ukraine aura bon dos comme déjà la covid et elles ont fait ensemble les parfaits boucs émissaires du déficit budgétaire et de l’inflation. Le projet de budget 2022 prévoit déjà un déficit budgétaire de 155,1 Md€ correspondant pour 115,5 Md€ à un déficit de fonctionnement. Le besoin prévisionnel de financement de l’Etat est prévu à 298,9Md€ et sera sans doute supérieur suite à la guerre d’Ukraine. Il était de 260 Md€ en 2020 et de 285 Md€ en 2021. Mais ce budget est construit sur une hypothèse de croissance de 4% en 2022, ce qui aujourd’hui paraît déjà bien difficile à atteindre. Par ailleurs, la guerre et la pandémie n’ont fait qu’éclater une inflation préparée de longue date par le laxisme des politiques publiques et des banques centrales. L’invention du quantitative easing pour faire face à la crise des subprimes il y a douze ans a permis aux pays dépensiers de s’endetter toujours plus en faisant indirectement, via le système bancaire, refinancer leurs dettes par les banques centrales à des niveaux sans cesse plus élevés. Cette aubaine à court terme a un prix aujourd’hui. Il faut toujours rembourser ses dettes par plus d’impôt ou par l’inflation et souvent par les deux. Il faudra donc sans doute augmenter les impôts à l’encontre des promesse faites par M. Macron de les baisser encore.

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Philippe Crevel : La crise des Gilets jaunes en 2018 était au début une révolte fiscale contre la taxe carbone. Cela a démontré les limites des augmentations d’impôts et le gouvernement a répondu par 17 milliards d’euros de baisses d’impôts. Emmanuel Macron ne pourra pas toucher aux Français qui se situent au début des classes moyennes. C’est le vivier des Gilets jaunes. Le gouvernement sera contraint en matière de fiscalité ces prochaines mois. 

Emmanuel Macron a présenté la hausse de la retraite comme une manière de gagner des marges de manoeuvre. Moins de pensions à verser, plus de cotisations qui rentrent. Dans un contexte de manque de main d'oeuvre et avec une population active qui stagne, cette réforme est une manière pour retrouver de l’air face au mur des financements que connaît la France.

Jean-Philippe Delsol : Dans ce contexte les marges fiscales se raréfient. Emmanuel Macron cherchera bien sûr à  suivre le conseil de Colbert pour « plumer l'oie sans qu'elle criaille ». Mais cet art délicat n’est pas inépuisable. Les gilets jaunes en ont donné la preuve. Et taxer les riches au-delà du raisonnable est moins une panacée que le risque, très garanti, d’appauvrir le pays tout entier. La réforme des retraites envisagée par M. Macron comblera une partie du trou provisoirement. Mais cette réforme paramétrique, par un report de l’âge de la retraite à 65 ans, se dessine déjà pleine d’exceptions qui lui feront perdre de la portée financière. Par ailleurs son projet de transformation en retraite à points n’était qu’un jeu de bonneteau tendant à modifier les règles de répartition sans réformer le système qui va dans le mur inéluctablement compte tenu de l’allongement de la vie et de la réduction du temps de travail dans la vie de chacun. Une vraie réforme de la retraite serait une partie de la solution à nos problèmes budgétaires car les retraites représentent pour les finances publiques un coût annuel supérieur à 100Md€. Mais une vraie et profonde réforme ne peut passer que par l’adoption progressive de la retraite par capitalisation. 

Le Président Macron a pourtant annoncé des baisses d’impôts sur plusieurs secteurs, est-ce vraiment réalisable ? Sa politique va-t-elle se confronter au réalisme ? 

Jean-Philippe Delsol : Je ne crois pas qu'Emmanuel Macron soit capable de réalisme autre que politique. Militant et ministre socialiste, il s’est fait élire au centre et a gouverné en soudoyant sans cesse la droite. Le réalisme serait de faire cette réforme des retraites qui pourrait nous permettre de réduire à terme le coût de 14 à 11% du PIB, comme en Allemagne, voire moins de 10% comme aux Pays-Bas  par exemple. La libéralisation de la santé asphyxiée par des charges et des personnels administratifs permettrait aussi d’abaisser sensiblement les dépenses publiques et la liberté des Français de s’assurer auprès de compagnies ou mutuelles de leur choix leur redonneraient la maîtrise de leur vie et du pouvoir d’achat . Ces réformes responsabiliseraient les Français et réduiraient le nombre de fonctionnaires. Mais il faudrait d’abord supprimer le statut de la fonction publique qui sclérose le corps tout entier de l’Etat. Prisonnier de la gauche, M. Macron n’en sera pas capable. Un sursaut de la droite aux législatives permettrait d’éviter la pression mélenchonienne, mais la droite elle-même n’a jamais été assez courageuse et lucide pour engager de vraies réformes. Il ne faut pas désespérer pur autant, mais il y a un long travail intellectuel et ce conviction à faire pour démontrer qu’une politique libérale serait gagnante pour tous.

Jean-Philippe Delsol publie "Civilisation et libre arbitre. Pourquoi l'Occident est différent" aux éditions Desclée de Brouwer

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