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Crise sanitaire : l’armée a-t-elle les moyens de nous aider plus ?
©ALAIN JOCARD / AFP

Garde à vous

Engagée dans les opérations "Sentinelle" et "Résilience" sur le territoire français, et "Chammal" et "Barkhane" hors des frontières, l'armée française semble déjà bien occupée. Mais aurait-elle les moyens de faire plus ?

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Atlantico : Au vu de la crise de coronavirus, l'armée a-t-elle les moyens de nous aider plus qu'elle ne le fait déjà ? Qu'a-t-elle fait jusqu'à présent ?

Romain Mielcarek : Le ministère des Armées a manifesté sa volonté, à la demande du gouvernement, d’appuyer au maximum l’ensemble de la Nation face à cette épidémie. La mise en place d’une unique opération, interarmées, baptisée « Résilience », permet de coordonner l’ensemble des moyens et des efforts. A un niveau plus local, les armées ont des représentants sur le territoire qui dialoguent au quotidien avec les préfets pour la mise en œuvre des moyens militaires, qu’il s’agisse de leur rôle dans l’épidémie actuelle, ou d’autre chose (lutte contre le terrorisme, aide face à une catastrophe naturelle, lutte contre le terrorisme…).

Les militaires ont mis en œuvre des moyens très visibles, comme l’élément de réanimation militaire (EMR) déployé à Mulhouse, avec 30 lits de réanimation ; l’envoi de porte-hélicoptères amphibies (PHA) vers les territoires d’outre-mer pour livrer du matériel et fournir un potentiel appui hospitalier ; le déplacement de malades avec leurs avions en configuration transport de blessés (Morphée). Ils ont également fournit un peu partout une aide logistique moins visible avec la livraison de matériel médical et la sécurisation de certains sites. Il convient également de rappeler qu’un certain nombre de formations, en France, appartiennent en partie au ministère des Armées : les pompiers de Paris et de Marseille, les hôpitaux militaires ou encore certaines unités de la Sécurité civile.

Ces moyens sont importants, car ils sont précieux et utiles face à une crise comme celle-ci. Mais il ne faut pas, malgré la communication intense du ministère des Armées, croire qu’ils changent radicalement la donne : les transporteurs civils disposent de moyens beaucoup plus important que les armées pour transporter du matériel, pour ne prendre que cet exemple.

Jean-Vincent Brisset : Il semble utile de rappeler quelques notions que les Français ont parfois tendance à oublier. Comme dans toutes les démocraties, les Armées dépendent du pouvoir civil élu et ne décident ni de leurs engagements ni des moyens dont elles disposent.  « Le Président de la République est le chef des Armées[..] Il décide l'emploi des forces… » Le Premier Ministre «dispose de l’administration et de la force armée et assume devant le Parlement, avec les ministres concernés, la responsabilité des différentes politiques qui concourent à la sécurité nationale »..Le Ministre de la Défense «prépare et met en œuvre la politique de défense dont il assume, avec le Premier Ministre, la responsabilité devant le Parlement. » 

Dans le cadre actuel, les missions de base des Armées n’ont pas changé. Les moyens dont elles disposent sont ceux qui ont été donnés par le pouvoir politique qui a jugé qu’ils étaient nécessaires et suffisants, sans aucune marge de manoeuvre, pour remplir les missions imposées. 

Il est donc clair que, tant que les missions de base ne sont pas redéfinies, tout effort demandé aux Armées vient en supplément de ce qui est le quotidien du « temps ordinaire ». Il est tout aussi clair qu’il est compréhensible qu’un effort supplémentaire soit demandé aux militaires, comme à toutes les autres composantes de la Nation.

Dès le début de la crise, les Armées ont été sollicitées pour différentes aides ponctuelles. Le 25 mars, le Président de la République a lancé l’opération « Résilience ». Celle-ci est destinée «au soutien des services publics et des Français dans les domaines de la santé, de la logistique et de la protection. »
Les actions entreprises par les militaires, et qui ont fait l’objet d’une assez large médiatisation ont été importantes. Elles ont amené à déployer un hôpital de campagne. Il y a eu le transport, en utilisant des avions et des hélicoptères aménagés pour la circonstance ou des bâtiments de la Marine Nationale, de patients gravement atteints depuis des zones surchargées vers des régions moins directement atteintes. La Marine a aussi envoyé deux de ses bâtiments ayant une bonne capacité hospitalière et logistique en direction de deux départements d’outre-mer. Le service de santé des armées est aussi très largement impliqué, par la mise à disposition des capacités des hôpitaux militaires et par l’utilisation au profit de civils des services médicaux des bases et des casernes.  

On en parle moins, mais les militaires sont aussi engagés pour assurer la protection de convois routiers transportant des masques ou du matériel destiné aux pompiers par exemple. Les contours de l’opération Résilience sont, et c’est une volonté du pouvoir politique, assez souples. En particulier, il est permis aux préfets de demander l’appui des forces armées en fonction des besoins propres aux territoires dont ils ont la charge.  

Les Armées, comme toutes les autres institutions, pourraient sans doute en faire davantage. Mais cela ne dépend pas d’elles et celui qui en prendrait la décision sera responsable des conséquences tant sur l’immédiat que sur le long terme.

Face aux missions de sécurité à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de nos frontières nationales ( la menace terroriste restant toujours d'actualité), l'armée doit-elle jouer un rôle dans la crise sanitaire ?

Romain Mielcarek : Où commencent et où s’arrêtent les missions des armées ? Vaste débat. Dans certains territoires d’outre-mer, les armées forment et insèrent socialement des jeunes en difficulté, à travers un dispositif appelé le « service militaire adapté ». Si le militaire a comme rôle, en France, de former des jeunes… Alors pourquoi ne pas contribuer à une mission de santé publique comme la lutte contre la pandémie actuelle ?

C’est le pouvoir politique qui doit définir les missions qui sont confiées aux armées et en hiérarchiser les priorités. La lutte contre le terrorisme au Sahel ou encore la sécurisation du Liban, sont des priorités opérationnelles qui ont été maintenues. Dans d’autres cas, l’épidémie a mis en suspens des missions. En Irak, l’opération Chammal est presque à l’arrêt, la plupart des détachements européens ayant quitté ce théâtre d’opérations « jusqu’à nouvel ordre ». Dans le Golfe de Guinée, la mission Corymbe de lutte contre la piraterie a été suspendue.

Jean-Vincent Brisset : Comme il a été dit plus haut, les missions du quotidien de l’Armée n’ont pas été réduites. De plus, les impératifs de distanciation sociale, le fait qu’un nombre important de militaires soient affectés par le virus, les difficultés d’approvisionnement et de maintenance rendent ces missions plus difficiles et plus astreignantes. La toute récente contamination de la majorité de l’équipage du Charles de Gaulle vient de démontrer à quel point les composants les plus stratégiques de la Défense Nationale peuvent devenir vulnérables s’ils ne sont pas sanctuarisés dans leur seule mission de base.

C’est donc aux responsables politiques de prendre la responsabilité de faire des choix, y compris si cela doit obérer les capacités opérationnelles. Le rôle des chefs militaires est de rendre compte des difficultés rencontrées et de savoir dire si certaines limites sont atteintes, qui mettraient en cause des principes fondamentaux. 

Les forces armées peuvent-elles refuser d'exercer certaines missions en lien avec la crise sanitaire ? Sont-elles suffisamment protégées ? ( cf épisode épidémique CDG)

Romain Mielcarek :Non elles ne peuvent pas refuser. Le militaire obéit au politique. Si le pouvoir politique lui confie une mission, il doit la remplir. Il existe une exception : si cet ordre est illégal. Rien ne laisse penser dans le cas présent que les militaires sont hostiles à leur contribution à cet effort global de la France contre la pandémie. Ils apportent certains moyens qui peuvent aider. Ce sont les militaires qui font ces propositions. Le président de la République a demandé aux différents ministères de lister les apports qu’ils peuvent proposer. Les Armées, comme d’autres, ont fait une liste de capacités qu’ils peuvent mettre à disposition.

J’aurais un peu du mal à évaluer ce qu’est une « protection suffisante » dans une situation comme celle-ci. Il semble en tout cas qu’au début de la crise, les armées ont eu tendance à prendre globalement le confinement à la légère. Dans de nombreuses unités, les subalternes et la hiérarchie n’ont pas pris de mesures radicales dans les premiers temps : on a continué à faire du sport, on a continué à alterner des missions avec des retours à la maison… Et l’épidémie a ainsi circulé. Nous avons eu de nombreux témoignages, tantôt inquiets, tantôt amusés, de militaires faisant ce constat : alors que la France se confinait, dans les régiments, la vie continuait comme d’habitude.

Le sentiment global au sein de l’institution était que puisqu’il s’agit d’une population globalement jeune et en forme, le risque était minime. Priorité donc aux opérations et à l’entrainement. Le cas du porte-avions a effectivement montré les limites de cette logique. Même s’il n’y a pour l’instant pas eu de morts, une grosse vingtaine de marins sont aujourd’hui hospitalisés, dont deux en réanimation.

Les armées ont des forces et des faiblesses face à cette maladie. Une fois les décisions prises, la discipline devrait favoriser les bonnes attitudes. La majeure partie de cette population n’est pas concernée par les facteurs aggravants identifiés (âge, surpoids…). Mais elles ont une faiblesse majeure : une promiscuité forte entre les gens.

Quoi qu’il en soit, une multitude de missions doivent se poursuivre. Les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins doivent continuer d’assurer la dissuasion nucléaire. Au Sahel, il faut continuer d’affronter les groupes islamistes armés. Quitte à le faire dans des conditions encore dégradées, imposées par l’épidémie.

Jean-Vincent Brisset : De tous temps, un certain nombre de responsables politiques ont estimé que les militaires représentaient un réservoir humain, gratuit et docile, utilisable en cas de problèmes. C’est ainsi que certains ont obtenu que ce soient des soldats qui nettoient des plages souillées par une marée noire ou qui viennent ramasser les poubelles en cas de grève des éboueurs. L’opération Sentinelle, qui, sur le long terme, donne aux militaires un rôle de force de maintien de l’ordre qui n’est pas leur métier, est aussi un dévoiement. 

L’Armée n’est pas en mesure de refuser ce genre de prestations. Tout au plus ses chefs peuvent -et doivent- rappeler aux autorités de tutelle (et au contrôle parlementaire si celui-ci veut bien tenir son rôle) que les missions qui ne sont pas conformes à l’esprit des lois sont un gâchis de potentiel et une hypothèque sur les fondamentaux.

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