Crise des migrants : intervention militaire, diplomatie, financement, l’Europe a-t-elle les moyens d’y mettre fin ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un groupe de migrants entré en Hongrie se prend en photo, le 5 septembre.
Un groupe de migrants entré en Hongrie se prend en photo, le 5 septembre.
©Reuters

De l'émotion au concret

Nicolas Sarkozy a préconisé samedi 5 septembre la création de centre de rétention gérés par l'Union européenne pour examiner les demandes d'asiles aux portes de l'Europe. L’Élysée prévoirait d'intervenir en Syrie pour ne laisser aucune zone de repli aux djihadistes de l'Etat islamique, dans l'objectif long d'endiguer son avancée.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Atlantico : "Le statut de réfugié politique doit être refusé ou accordé avant que la mer Méditerranée ne soit traversée", car, "après, c'est trop tard" a précisé le président des Républicains, à la Baule samedi 5 septembre. En quoi une telle proposition s'avère-t-elle pertinente ? Où ces derniers pourraient-ils être situés ? Comment pourrait-on faire en sorte d'y créer une logistique efficace d'examen des demandes d'accueil et des dossiers administratifs ?

Guylain Chevrier : Face à la proposition du couple Franco-allemand de l'instauration de "quotas" pour obliger tous les pays européens à accueillir les migrants sur leur sol, une expression politique à gauche qui va jusqu’à Emmanuelle Cosse (EELV) qui parle d’accueillir tous les migrants "Oui, il faut accueillir tout le monde", en perdant tout sens de la mesure, Nicolas Sarkozy avait de la marge pour réagir, effectivement, avec une proposition qui mérite quelques commentaires.

Tout d’abord, concernant cette proposition, il faut bien voir qu’elle intervient dans un contexte où l’opinion française, mais aussi européenne au regard des résistances rencontrées dans bien des pays de l’UE, reste défavorable, malgré la pression énorme mise par les médias et les autorités Européennes. La surexploitation de la photo du drame de ce petit enfant Syrien échoué mort sur une plage de Turquie, en dit long sur la difficulté à prendre le moindre recul sur ce qui est train de se dérouler aujourd’hui où l’émotion entretenue prend le pas systématiquement sur la raison. Lorsqu’on compare l’opinion des Français concernant l’accueil des migrants sur les 15 dernières années, on s’aperçoit que selon les migrations et leurs causes, elle a beaucoup évolué. Selon un sondage IFOP pour Atlantico, en 1999 pour les réfugiés du Kosovo l’opinion était très favorable (64%), pour les chrétiens d’Irak en août 2014 (54%) elle l’était moins mais restait forte, et aujourd’hui, elle est très clivée avec encore selon le dernier sondage 51 % des français qui s’y opposent. D’ailleurs, on note aujourd’hui que les rassemblements en faveur des migrants auxquels appelait un certain nombre d’organisations, ont réuni peu de monde.

Dans les résistances à l’accueil des migrants, il y a aussi le fait que l’on ne distingue pas la plupart du temps réfugiés et immigrés économiques, ou que la part des choses à faire en la matière apparait à l’opinion comme trop difficile, cet accueil comprenant ainsi trop de risques. On sait que ceux qui sont déboutés de leurs demandes, environ les deux tiers, restent en France, comme c’est d’ailleurs le cas partout, comme irréguliers. D’autre part, tout demandeur d’asile bénéficie dès sa demande d’allocations voire d’un hébergement, autrement dit, si nous nous mettions à accueillir massivement les migrants en voulant faire le tri après qu’ils se soient installés sur notre sol, cela nous engagerait dans des dépenses dont on peut se demander, alors qu’on nous parle du fait que les comptes sociaux mettent dans le rouge le budget de l’Etat et en cause la survie de l’Etat-providence, ce qu’il en adviendrait.  Sans parler encore des délais interminables de traitement des demandes, ce qui constitue un des problèmes majeurs d’aujourd’hui, qui là ne seraient plus gérables. En faisant la proposition de traiter les choses en amont, Nicolas Sarkozy peut apparaitre comme plus réaliste. La création de centres de rétention administratifs dans les pays de départ ou dans ceux qui sont traversés par les migrants paraissant plus efficace et à moindre risque, que ce qui a été proposé jusqu’alors. Cela apparait aussi comme protégeant les pays européens de toute une série de risques que l’accueil inconditionnel qui est en train de s’imposer entraine.

Il parle de mettre en place des centres de rétention en Afrique du Nord, en Serbie ou en Bulgarie. "Cela permettrait d'accorder ou non le statut de réfugié politique aux migrants avant qu'ils ne traversent la Méditerranée." explique-t-il. Très bien, mais tout d’abord, faudrait-il que ces pays soient d’accord pour en être le théâtre. D’autre part, qui est en mesure d’installer ces camps, qui d’ailleurs ne pourraient l’être sans que l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (le Haut-commissariat aux réfugiés ou HCR), ne soit impliqué et donc l’ONU, qui est loin d’être acquise à une pareille idée ? D’autant que cette idée, qui revient à une réponse technique paraissant à première vue plus appropriée qui est celle d’un tri au départ des migrants vers l’Europe, voudrait dire camps de centaines de milliers d’entre eux et donc au final, des milliers et des milliers d’entre eux déboutés du droit d’asile qui seraient repoussés mais où, alors que les autorités européennes considèrent que parmi les migrants les deux tiers relèvent de l’immigration économique ? Il faudrait des milliers d’acteurs mobilisés disposant d’une logistique à cette mesure. La mise en œuvre de cette proposition parait donc en l'état illusoire, tant les conditions à réunir sont complexes tout en demandant des délais qui la rendent peu réaliste, au vu de l’accélération actuelle qui appelle des réponses immédiates.

L’intérêt de la proposition de Nicolas Sarkozy est d’interroger les responsables politiques sur les risques d’un accueil massif de migrants dans les pays européens, semblant vouloir se poser des questions que les milieux gouvernementaux ne se posent semble-t-il plus, sous l’émotion entretenue.

Gérard-François Dumont : Dans le cas de la crise syro-irakienne et de celle des migrants qui en est la conséquence, l’un des grands sujets d’étonnement est l’incapacité d'anticipation des pays occidentaux et, notamment, des pays européens et de l’UE. En effet, la crise des migrants syriens était malheureusement prévisible. Pourtant, rien n'a été fait pour la prévenir. Au contraire, cette crise s’est trouvée intensifiée depuis mai 2015 par le fait d'avoir laissé l’État islamique envahir Palmyre, laissant augmenter le niveau de désespérance des Syriens se sentant à la fois menacés par l’État islamique et le conflit civil et abandonnés par la communauté internationale.

>>> En savoir plus - Un engagement plus fort des Etats ou bien un plus grand choc politique : ce qu'il faut pour enfin résoudre la crise des migrants

Car la conquête de Palmyre a une portée fondamentale, même si les médias traitent surtout de la dimension patrimoniale de Palmyre. Or, il y avait des civils à Palmyre. Certains ont été tués par l’État islamique, parfois dans des conditions abominables comme la décapitation, le 18 août 2015, de l'ancien directeur des Antiquités de Palmyre, Khaled al-Asaad, expert de renommée mondiale du monde antique. Les dirigeants européens devraient avoir mauvaise conscience. C'est à cause d'eux que des crimes ont été perpétrés à Palmyre, et à travers ces crimes, les Syriens peuvent difficilement continuer de croire au discours d'Obama du 20 août 2014 appelant à éradiquer l’État islamique, assimilé à un "cancer", et promettant d’agir de façon "implacable". En effet, dans la période 2014-2015, non seulement l’État islamique n’a pas été combattu de façon implacable, mais il n'a même pas été contenu.

Comment engager la responsabilité des pays arabes et notamment du Golfe, mais aussi de la Chine ou encore des autres puissances puisqu'il s'agit visiblement d'une crise mondiale ? On a l'impression qu'ils se soustraient à toute intervention dans la crise. Est-ce réellement le cas ?

Guylain Chevrier : Pour comprendre, on doit aussi prendre en compte une situation où les migrations liées aux guerres ont littéralement explosées, de 19,4 millions dans le monde en 2005 à 52,9 millions aujourd’hui. La multiplication des zones de conflit poussent à l’immigration, mais aussi des migrations économiques en raison de la stagnation du développement de certains pays, particulièrement du continent africain, mais aussi d’une véritable mafia des passeurs qui s’est organisée en marché, avec une demande qui s’est aussi développée à la mesure de l’offre, et ce, dans un contexte où on a laissé se développer cette situation. On ne peut que déplorer dans ce constat que l’ONU ne soit là intervenu que très à la marge et sans stratégie globale, ce qui nous a amené pour une part à la situation actuelle.

Les régions du Proche-Orient et du Moyen-Orient concentrent à elles seules un tiers des réfugiés dans le monde notamment le Liban, la Jordanie, la Turquie… Face au phénomène migratoire actuel, les pays du Golfe doivent faire plus d’efforts alors qu’ils ont les richesses pour jouer ce rôle ainsi que des grands pays comme la Chine ou encore la Russie. Les Etats-Unis peuvent faire plus sans doute ainsi que le Canada qui vient d’annoncer être prêt à accueillir des centaines, voire des milliers de réfugiés.

Il faut constater que le conflit syrien est révélateur d’autre chose que l’on refuse de voir et qui pourtant est l’axe de l’analyse si on veut pouvoir penser comment agir pour endiguer le flot des réfugiés actuels. Après les guerres d’Irak et d’Afghanistan, celle de Lybie s’inscrivant dans le cadre du "Printemps arabe", l’Egypte qui a connu des violences qu’on peut qualifiée de guerre civile, celle du Yémen entre chiites et sunnites où se trouve impliquée l’Arabie saoudite, celle de Syrie où la Turquie a été impliquée en aidant les djihadistes mais aussi le Qatar avant de rejoindre les alliés contre Daech, l’Iran qui y envoie des forces du  Hezbollah mais du côté de Bachar el Assad, l’Etat islamique étant de nature sunnite, celle du Mali où la France a du intervenir, les guérillas menées par des groupes djihadistes d’AQMI à Boco Haram, en Somalie, au Kenya, en Algérie, au Nigéria, au Cameroun… Sans compter encore avec les attentats dans de nombreux pays dont les pays développés, on doit d’abord constater qu’il y a là un fil rouge, le facteur religieux. Une cause de conflits qui est instrumentalisée à des fins politiques et identitaires à une échelle qui est celle du monde, ce qui témoigne d’une évolution géopolitique majeure peu évoquée, qui pourtant devrait sauter aux yeux !

C’est bien cet axe qui domine les migrations de réfugiés, au-dessus des autres conflits. Il ne faut pas craindre ici d’être caricaturé en étant assimilé à la défense des thèses d’un Samuel Huntington sur le Choc des civilisations, car il n’est question là que d’un simple constat de faits qui n’amalgame pas islam et islamisme, mais pointe ce dernier comme responsable de ce qui arrive et doit être combattu sans concession. Il faut ouvrir la réflexion sur un mode géostratégique en reliant l’ensemble des enjeux. La question migratoire actuelle est à replacer dans une vision élargie, comme un aspect d’un problème plus large. La sécularisation du religieux est un mouvement mondial lié à l’avènement des libertés et droits individuels, contrarié par une montée de l’islam radical en rapport avec des sociétés qui n’ont pas pu trouver les voies vers la démocratie ou si mal ou si difficilement encore, qu’elles n’ont pas résisté ou sont en grave difficulté. C’est là sans doute que l’équation à résoudre relie guerres, migrations, démocratie et responsabilités politiques. L’ONU est donc en première ligne, et doit passer à un tout autre niveau, au lieu de ne faire que pointer du doigt l’Europe comme la terre où on doit accueillir coûte que coûte.

Il en va décidément à coup sûr de décisions réunissant l’ensemble des acteurs et leurs capacités à agir, que ce soit en matière d’accueil que d’intervention, pour mettre fin aux causes de cette situation, à commencer par l’Etat islamique qui nourrit une véritable toile d’araignée qui s’étend de plus en plus avec assurance et prépare derrière le drame des migrants une guerre mondiale multiforme.

Gérard-François Dumont : Les pays arabes du Golfe semblent ne guère contribuer à chercher une solution politique, et encore moins à accueillir des Irakiens et Syriens, pourtant arabes, soumis à l’exode. D’ailleurs, une partie du financement de l'Etat islamique est venu de pays arabes du Golfe. Certes, il n'est pas venu des gouvernements même, mais d'un certain nombre de personnes de ces pays. Or rien n'a été et n’est fait pour empêcher le financement de l’État islamique par des sources extérieures. Prenons un exemple : après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont constaté que, parmi les 19 terroristes, il y avait 15 Saoudiens. Les Etats-Unis ont donc décidé de bloquer les comptes d'un certain nombre de Saoudiens dont ils pensaient qu'ils participaient au financement d'Al-Qaida. Pendant la période 2014-2015, aucune décision européenne n'a été prise pour bloquer les comptes de personnes finançant l'EI. Ce que représentent les pays du Golfe comme marché économique semble jugé, par les pays européens, plus important que la lutte contre le terrorisme islamiste. C'est une politique à courte vue que l’histoire dénommera peut-être un jour de munichoise.

Comment mieux mobiliser les acteurs étatiques, des moyens et des stratégies politiques adaptées et efficaces ?

Gérard-François Dumont : Puisque le totalitarisme islamiste leur a déclaré la guerre, la France et les pays européens sont aujourd'hui en guerre. Ils doivent donc se défendre, une défense globale qui comprend également des aspects militaires. Concernant ces derniers, il s'agit de contenir l’État islamique, ce qui, comme rappelé ci-dessus, n’a pas été réalisé depuis que ce groupe s’est dénommé ainsi le 29 juin 2014, se considérant comme le califat, quinze mois après avoir pris le 9 avril 2013, le nom d’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), soit, en arabe, Daech : "D" pour État, "a" pour islamique, "e" pour Irak et "ch" pour Levant (6). Or les pays qui peuvent agir efficacement contre l’État islamique, avec des moyens militaires adaptés, ne sont pas nombreux. En Europe, ce sont essentiellement la France et le Royaume-Uni, et encore, pour certaines opérations militaires, ils ont besoin de l’appui logistique des Etats-Unis. Mais les autres pays européens peuvent apporter une aide financière. C'est la proposition implicite de la chancelière allemande Merkel : "Moi je pilote l'humanitaire, vous le militaire". Demeure une importante question. En Europe, alors que les tensions géopolitiques s’accentuent depuis au moins deux décennies, les budgets militaires ont été considérablement  abaissés.

En fait, nombre d’hommes politiques semblent ne réagir qu’aux événements, sous forme de déclarations conjoncturelles, au lieu de les anticiper. C'est incroyable qu'il ait fallu attendre une photo terrifiante, diffusée dans les médias du monde entier, celle de l’enfant syrien Aylan Kurdi mort sur la plage de la station balnéaire de Bodrum en Turquie, pour que le Président français organise, le 3 septembre 2015, une réunion ministérielle sur les migrants à l'Elysée. Cela donne l’impression d'une incapacité politique à prévenir les problèmes géopolitiques, et donc à déployer des stratégies adaptées aux réalités géopolitiques.

Faudrait-il un choc politique encore plus fort ?

Gérard-François Dumont : On aurait pu imaginer que les attentats meurtriers de Paris et de Montrouge des 7 et 9 janvier 2015 contre Charlie Hebdo et une alimentation cacher auraient engendré une nouvelle politique. Par exemple, à la suite de ces attentats, l'opinion publique aurait tout à fait compris que le gouvernement français donne l'ordre à ses forces de sécurité de mener des opérations dans des lieux où des armes circulent, par exemple afin de confisquer des kalachnikovs. Or, depuis ces attentats, donc neuf mois plus tard, aucune action d’ampleur, politique ou tactique, n'a véritablement été prise pour prévenir le terrorisme en France, le vote d’une nouvelle loi sur le renseignement en juin 2015 ne pouvant être considéré comme une action stratégique suffisante et satisfaisante. De même, la prise de Palmyre aurait pu susciter une véritable prise de conscience et la nécessité d’une large révision de la politique étrangère française. Faudra-t-il attendre de nouveaux chocs ?

Selon des informations obtenues par Le Monde, l'Elysée envisagerait depuis peu d'étendre les frappes aériennes aujourd'hui confinées à l'Irak à la Syrie. Nicolas Sarkozy, ainsi que François Fillon, ont de leur côté appelé à vaincre l'Etat islamique. Qu'est-ce qui permet l'enracinement de l'Etat islamique au Moyen-Orient, et comment le vaincre ?

Jean-Bernard Pinatel : Répondre à ces questions c’est mettre en lumière les facteurs déterminants de la stratégie victorieuse de Daech face à l’indétermination stratégique occidentale écartelée entre des objectifs inconciliables.

En effet, le califat, un an après sa proclamation par Abou Bakr al-Baghdadi, révèle un quadruple échec.

En premier lieu l’échec de la stratégie politique et militaire américaine en Irak. Politique d’abord, avec le choix d’un premier Ministre, Al Maliki, qu’ils ont mis en place en 2006 et ont soutenu jusqu’en 2014, le laissant exercer un pouvoir sans partage et fondé exclusivement sur la communauté chiite. Ils ont ainsi fermé les yeux lorsqu’il a bafoué la constitution de son pays, pourtant inspirée par eux, en n’attribuant pas les ministères importants (intérieur et défense) qui devaient être dévolus aux Sunnites et aux Kurdes. Militaire ensuite. En effet, depuis sa reformation par les Américains, la nouvelle armée irakienne, dont Al Maliki se méfiait, était mal équipée, gangrenée par la corruption, le népotisme, la formation insuffisante, l’absence de morale et la volonté de se battre. Ce sont les milices shiites (dirigées, encadrées, formées et équipées par l’Iran et appuyées par des Iraniens et des Libanais du Hezbollah avec le général Qasem Soleimani (1) à leur tête) qui ont sauvé Bagdad, repoussé Daech à l’Ouest du Tigre et qui ont représenté plus des deux tiers des forces engagées dans la reconquête de Tikrit. Enfin, si les frappes de la coalition ont un certain effet d’attrition sur les forces de Daech, sans forces terrestres en état de se battre, cet effet reste limité et est obtenu au prix de dégâts collatéraux importants sur les civils, les habitations et les infrastructures, engendrant la colère des populations sunnites locales.

>>> En savoir plus - Les conditions politiques à remplir absolument pour espérer vaincre l’Etat islamique

Echec également des monarchies gériatriques du Golfe Persique qui ont contribué à l’émergence de Daech dans le but de renverser le régime bassiste et alaouite d’Assad et de le remplacer par un pouvoir sunnite ami. Aujourd’hui Daech, en contrôlant le gouvernorat d’Al Anbar et les 420 km de frontière commune avec l’Arabie Saoudite, menace ce royaume qui se méfie de son armée, de sa minorité chiite, de la moitié de sa population étrangère et qui est en guerre sur ses frontières Sud avec les rebelles Hutis. 

Echec de la Turquie qui considère les kurdes dont 15 millions sont turcs comme sa première menace et qui laisse sa frontière ouverte, offrant une base arrière aux djihadistes pour vendre leur pétrole, se ravitailler en armes et munitions et soigner leurs combattants (2). Erdogan a espéré ainsi renverser Assad et restaurer l’influence séculaire de la Turquie sur la Syrie.

Echec de l’Europe et, en premier lieu de la France, qui ont cru à un printemps arabe et qui, diabolisant le régime d’Assad, sont co-responsables du départ de plusieurs milliers de jeunes européens en Syrie, générant, par un effet boomerang, une menace sur leur propre territoire.

Les seuls gagnant à l’heure actuelle sont les Kurdes et l’Iran.

Vainqueurs en Irak dès lors qu’ils étaient correctement équipés, les Peshmergas ont clairement démontré leur valeur militaire. Vainqueurs en Syrie où, malgré l’attentisme Turc, et avec l’aide des frappes américaines, ils ont repris Kobané. Vainqueurs en Turquie où, pour la première fois, ils rentrent en masse au Parlement et deviennent désormais une force politique avec laquelle Erdogan devra compter.

C’est l’engagement des milices iraniennes sur le sol irakien qui ont sauvé Bagdad. Confrontés à la déroute de l’armée irakienne à Ramadi, capitale du gouvernorat d’Al Anbar, par Daech, les Américains, pragmatiques, ont compris que sans l’appui terrestre iranien ils n’arriveraient pas à vaincre Daech. Alors qu’il se refuse toujours à engager des troupes au sol, l’accord préliminaire sur le nucléaire iranien témoigne d’une modification de la stratégie d’Obama confronté au risque de perdre son investissement irakien (3) et de voir son allié saoudien directement menacé.

A partir de ce constat, combattre Daech demandera du temps, car les frappes aériennes sont relativement inefficaces contre un ennemi totalement imbriqué dans la population.

Les conditions nécessaires à  la mise en œuvre d’une stratégie gagnante contre Daech sont : Exiger de la Turquie, membre de l’OTAN, qu’elle ferme sa frontière à Daech, mette fin à tous ses trafics qu’elle autorise sur son territoire et cesse ses frappes contre les Kurdes. Stopper toutes les actions de déstabilisation du régime d’Assad jusqu’à l’éradication du califat. Faire pression auprès du gouvernement irakien pour une mise en œuvre effective du programme de réconciliation nationale. Mettre en place auprès des Peschmergas et des milices iraniennes et irakiennes des contrôleurs aériens avancés pour optimiser l’efficacité des frappes aériennes durant les offensives. Ne pas trop compter sur une reconstruction rapide de l’armée irakienne tant que ne seront pas votées les deux lois d’amnistie générale et de fin de la débassification.

Tant que ces conditions politiques ne seront pas réunies l’engagement de troupes au sol occidentales contre Daech serait faire tuer nos soldats pour un résultat aléatoire.

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