Crise de la dette : et si la BCE y mettait fin en quatre minutes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Si la BCE ne peut pas mettre fin instantanément au chômage espagnol ou au manque de nouveaux gisements pétroliers dans des pays amis, elle peut à peu près faire tout le reste.
Si la BCE ne peut pas mettre fin instantanément au chômage espagnol ou au manque de nouveaux gisements pétroliers dans des pays amis, elle peut à peu près faire tout le reste.
©Flickr

Tout simplement !

Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a déclaré lundi que l'institution monétaire prendrait ses prochaines décisions en fonction de l'évolution des indicateurs économiques. Certes, mais que faire ? Violer davantage son mandat ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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La BCE détient un pouvoir quasi-absolu : elle dispose à la fois des codes de la force de frappe nucléaire et des clés du Vatican. Le pouvoir monétaire est toujours absolu. Si elle ne peut pas mettre fin instantanément au chômage espagnol ou au manque de nouveaux gisements pétroliers onshore dans des pays amis, elle peut à peu près tout le reste. L’argument du Traité qui lui lirait les mains est ridicule : il suffit de le lire. On y découvre que son mandat vise bien la croissance (via la stabilité des prix, certes, mais la fin est bien la croissance et l’emploi), et qu’à part acheter de la dette souveraine sur le marché primaire (à l’émission) tout est autorisé implicitement ou explicitement (y compris des achats sur le marché secondaire, qui reviennent au même ; c’est d’ailleurs ce qu’elle fait avec le programme SMP (security market program) depuis mai 2010, et quand juridiquement on a le droit de faire une fois alors on a le droit de faire 10 fois ou 100.

La BCE peut donc mettre fin à la composante financière de cette crise en quatre minutes, et le pire c’est que tout le monde le sait. Voici comment (par ordre décroissant de facilité déconcertante) :

1/ une minute pour lancer le communiqué de presse suivant : « nous maintiendrons le taux directeur à 0% jusqu’en 2016 au moins, de façon par exemple à ce que la civilisation espagnole (ou ce qu’il en reste) puisse survivre. Cette décision est irrévocable ». Baisse de l’euro garantie dans les secondes suivantes et baisse des taux longs PIGS garantie dans les minutes suivantes : une petite détente monétaire qui ne coûte pas grand chose (juste un revirement par rapport à la doctrine BCE du « never pre-commit », revirement qui la mettrait enfin en ligne avec la pensée monétaire moderne, Kydland&Prescott et tout ça).  

2/ une minute pour un communiqué qui évoquerait (le bluff suffirait dans cette affaire) la possibilité de recourir à des taux négatifs sur la facilité de dépôt (si les suisses et les suédois l’ont fait, pourquoi pas nous ?) ou à des interventions de changes pour faire baisser davantage l’euro (ce sont les interventions destinées à soutenir une monnaie qui sont vraiment coûteuses et très incertaines). La BCE peut aussi évoquer les achats de covered bonds, peut suggérer de « capper » explicitement les taux PIGS, peut encore abaisser (mais il est vrai que c’est déjà une habitude) ses règles de collatéral, elle peut tout promettre de façon crédible (donc de façon auto-réalisatrice) puisqu’elle peut tout. Ne confondons pas sa crédibilité intellectuelle (désormais nulle après des années de négation et de violation de tous les principes monétaires les plus admis depuis Irving Fisher) avec sa crédibilité sur les marchés, qui reste titanesque : aucun opérateur non-suicidaire ne se mettra face à elle si elle se montre un peu déterminée. On ne peut pas gagner contre un acteur qui a le pouvoir de créer de la monnaie via la touche PRINT, même le trader le plus crétin est au courant.

3/ une minute pour lancer le communiqué de presse suivant : « nous allons acheter 2000 milliards d’euros de titres de dettes publics et privés au cours des 12 mois qui viennent, et nous recommencerons si besoin tous les 6 mois tant que les spreads n’auront pas un allure plus normale, tant que les agrégats monétaires à la périphérie n’aurons pas une allure plus normale et tant que l’euro n’aura pas franchement baissé ». Je peux vous dire que là les bancaires remontent en flèche, l’équation budgétaire redevient crédible pour les PIGS et les investisseurs non résidents reviennent acheter des actifs en zone euro. La crise redevient structurelle, elle cesse d’être monétaire c’est à dire à la fois grave dans ses conséquences (dislocation de la monnaie dans le désordre le plus total) et aiguë dans ses manifestations (début de bank run en Grèce, taux courts négatifs en France hier matin, etc).

4/ une minute pour lancer l’idée d’une nouvelle cible, le PIB nominal. Là c’est une petite révolution, que les lecteurs de Scott Sumner connaissent bien. On sortirait de l’hypocrisie du pilier M3 à 4,5% qui a toujours été violé et de la tartufferie de la cible d’inflation autour de 2% qui ne correspond à rien quand on voit les fluctuations de TVA ou des prix du pétrole. Tout le monde comprendrait le message et la spirale déflationniste serait cassée net : compte tenu du retard accumulé depuis 2008 en matière de PIB nominal, une cible de cette nature induirait une impulsion monétaire majeure, non inflationniste. Que demander de mieux ? Mais… si les gens de la BCE ont déjà du mal à intégrer Friedman, Fisher et Kydland&Prescott dans leur pratique, pourraient-ils intégrer prochainement (c’est la crise, il y a urgence) des travaux qui datent de moins de 25 ans ?

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