Covid-19 : vers une vague de surmortalité due, non pas au virus, mais à la gestion de la pandémie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un patient touché par la Covid-19 au Royaume-Uni.
Un patient touché par la Covid-19 au Royaume-Uni.
©Kirsty Wigglesworth / POOL / AFP

Impact de la crise sanitaire

L'épidémiologiste et Médecin-chef pour l'Angleterre, Chris Whitty, a révélé que la Grande-Bretagne était confrontée à une période prolongée de décès excessifs non causés par la Covid-19 mais liés aux conséquences de la mauvaise gestion de la crise sanitaire, notamment à cause de la saturation hospitalière.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Laurent Lantieri

Laurent Lantieri

Laurent Lantieri, né le 15 février 1963, est un chirurgien plasticien français connu pour avoir effectué en juin 2010 la première greffe totale du visage au monde en 2010

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Atlantico : Selon Chris Whitty, la Grande-Bretagne fait face à une «période prolongée» de décès excessifs NON causés par la Covid mais plutôt par une mauvaise gestion. Qu’est-ce que cela signifie ?

Antoine Flahault : Chris Whitty n’est pas un de ces chercheurs complotistes en quête de notoriété, il est Chief Medical Officer, une fonction qui n’a pas véritablement son équivalent en France, disons qu’il est à mi-chemin entre Jérôme Salomon, Directeur Général de la Santé et Brigitte Autran, Présidente du COVARS, c’est à dire une personnalité tout à fait respectable et informée. S’il manifeste ses craintes aujourd’hui sur les conséquences collatérales de la pandémie et de sa gestion passée au Royaume-Uni, c’est sur la base de données solides qui lui ont été communiquées. Nous savons depuis le début de cette pandémie que le Royaume-Uni dispose des meilleures données en Europe sur ces sujets. J’aurais donc tendance à l’écouter avec attention et à penser que l’approche qu’il préconise, qui consiste à faire un premier retour d’expérience sur la gestion de la pandémie dans son pays, cette approche pourrait être en grande partie transposable à d’autres pays d’Europe continentale. Chris Whitty ne fustige pas la mauvaise gestion de la pandémie pour blâmer les équipes en charge à l’époque, mais plutôt pour essayer de mieux tirer les leçons de la pandémie si d’aventure une nouvelle crise sanitaire de cette ampleur devait se reproduire. La saturation des hôpitaux a été plutôt plus importante au Royaume-Uni qu’ailleurs en Europe du fait, en grande partie, de sa gestion assez tardive des deux premières vagues de Covid-19 en 2020. Tout cela a contribué à des excès de mortalité hors-Covid visibles sur les données britanniques.

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Laurent Lantieri : On reporte des interventions urgentes en nous expliquant qu’elles ne le sont pas. Et cela se voit au bout d’un certain temps. Par exemple, une de mes activités porte sur la prise en charge du cancer du sein. Si on reporte une opération de chirurgie préventive, la femme peut revenir ensuite avec un cancer du sein cette fois-ci. De manière générale, on continue à avoir des problèmes à l’hôpital, mais on manque également de personnel concernant les médecins généralistes, les ophtalmologues ou encore les gynécologues. 

Avons nous des éléments montrant que le même phénomène a lieu en France ?

Antoine Flahault : Je n’ai pas vu de données similaires en France à ce jour mais il serait utile de disposer d’analyses de ce type et surtout d’entreprendre un retour d’expérience indispensable pour tirer les leçons de cette pandémie.

Cette surmortalité est-elle imputable au(x) gouvernement(s) ayant mal géré la situation ? Si oui, dans quelle mesure sont-ils coupables ?

Antoine Flahault : Encore une fois, on voit moins dans la démarche du Médecin Chef du Royaume-Uni la volonté de rechercher des coupables, mais davantage une analyse du retour d’expérience passée pour essayer de faire mieux la prochaine fois. Si l’on compare les politiques publiques, par exemple entre le Danemark qui a confiné le 11 mars 2020 après avoir enregistré son premier décès du Covid, le Royaume-Uni de Boris Johnson a attendu 335 décès pour confiner son pays, douze jours plus tard, le 23 mars. La gestion des épidémies ressemble à celle des incendies, chaque jour compte, tout retard peu coûter très cher en vies humaines. La tension hospitalière et la mortalité britanniques par Covid-19 ont été beaucoup plus lourdes qu’au Danemark. Si le Royaume-Uni avait eu les mêmes taux de mortalité que celui des Danois, c’est plus de 125 000 morts du Covid que le gouvernement de Boris Johnson aurait pu éviter depuis le début de la pandémie. On apprend aujourd’hui que la mortalité indirecte, collatérale a été aussi fortement augmentée car cette gestion réactive, tardive a généré une saturation hospitalière nécessitant de reporter les soins non urgents - mais importants - avec des pertes de chances dommageables aux autres patients. 

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Laurent Lantieri : Au-delà des erreurs faites pendant la crise, au sujet des masques notamment, c’est tout le système de santé qui est fragile, et ce depuis les années 1980. L’administration décide, qui s’était transformée en bureaucratie. Et rien n’a été fait : on a seulement remplacé le « numerus clausus » par le « numerus apertus ». La médecine générale devait être fortement valorisée, et cela n’a pas été le cas.

Cette vague de surmortalité est-elle inévitable ? Si non, comment inverser le cours des choses ?

Antoine Flahault : Malheureusement, certains dégâts collatéraux causés par la gestion de la pandémie auront été irréparables. Un stent que l’on aura omis de poser dans les 90 minutes suivant le diagnostic d’infarctus du myocarde, une thrombolyse que l’on n’aura pas pu faire à temps lors d’un accident vasculaire cérébral, un cancer que l’on n’aura pas dépisté à temps ou que l’on aura laissé évoluer en raison de la saturation du système de santé, voici trois exemples aux conséquences malheureusement irréparables. Trois exemples où la surmortalité aurait pu être évitable si l’on avait su protéger les filières de soins correspondantes en dépit de la pandémie. C’est justement pour éviter cette surmortalité collatérale, non due directement au Covid, que Chris Whitty tire sur la sonnette. Si de nouvelles vagues ou de nouvelles crises sanitaires devaient générer une saturation hospitalière, la gestion de cette tension devrait alors veiller à mieux respecter les filières de soins les plus sensibles.

A quel point allons-nous assister à une vague de surmortalité liée au report d’opérations ?

Laurent Lantieri : C’est inévitable. Cela se verra aussi sur l’espérance de vie en bonne santé. Celle-ci est intimement liée au système de santé, et s’il se dégrade, ça se verra sur cette espérance de vie. On le voit déjà avec la mortalité infantile, qui augmente depuis quatre ans en France.

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