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Covid 19 : les médias et les politiques nous survendent les progrès de la médecine
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Santé

Philippe Abastado, cardiologue, chercheur, explique que le patient refuse de plus en plus la maladie. L’apparition du virus Covid-19 accentue cette tendance, ce qui expliquerait la difficulté d’accepter le confinement, seul moyen pourtant de lutter contre l’épidémie en préservant des vies humaines.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Philippe Abastado est cardiologue à Paris, Directeur de Recherche – Chercheur associé au CRPMS Université de Paris. Son dernier livre « Le Dernier Déni : Craignons-nous plus la maladie que la mort ?» aux éditions Albin Michel s’avère étonnement d’actualité, alors que le coronavirus est en train de dévaster la planète. Philippe Abastado a publié plusieurs ouvrages scientifiques avec le souci de toujours éclairer le malade. Il a d’ailleurs écrit « La cardiologie pour les nuls » aux éditions First. 

Philippe Abastado a écrit que notre société moderne ne perçoit plus ce qu'est la maladie. «  Il est même fréquent que le patient refuse d'admettre qu'il est malade. Il a compris ce qui lui arrive, il discute les traitements, mais planifie des vacances à l'étranger le lendemain d'une intervention chirurgicale, organise des réunions de travail juste après une chimiothérapie et trouve anormales les réserves que sa compagnie d'assurance émet à couvrir l'emprunt d'un achat immobilier. En bref, il semble dire que nous craignons plus la maladie que la mort, donc il la nie en permanence ». 

On pourrait dire la même chose aujourd'hui en mesurant l’angoisse qui s’est emparée des populations mondiales devant le risque de l’épidémie du Covid-19. 

Jean-Marc Sylvestre : Mais Philippe Abastado, vous dites aussi que le malade se croit parfois guéri, le médecin sait que les risques de la maladie demeurent violents, irrationnels, parfois impitoyables. Pour la société des bien-portants, la solidarité paraît s'imposer. En pratique, elle relève de tout sauf de l'évidence. 

Dans la lutte contre le coronavirus, la plupart des pays ont semble-t-il choisi de protéger les vies humaines plutôt que les structures économiques. Le confinement, qui est la réponse quasi universelle actuellement, revient à ralentir la circulation du virus et en ralentissant le virus, on ralentit - et même on casse - l’activité. Ce choix-là est assez nouveau dans l’histoire des épidémies ?

Philippe Abastado : C’est vrai que notre quotidien s’organise sur un nouveau rythme, avec de nouvelles taches. Changements récents avec pourtant de nouvelles évidences : hier, la maladie était loin, aujourd’hui elle s’impose à chacun, actifs ou confinés.

Ainsi, hier la maladie ne méritait pas le buzz sur internet ou les prime-times des télévisions sauf pour le rejet des traitements, des vaccinations, des dépistages. Les bienfaits de l’alimentation étaient les seuls médicaments recevables. Les experts étaient plus appréciés pour leur hétérodoxie que leur compétence universitaire. Des ONG mondiales comme Self Care mouvement prône une « autogestion de la maladie » avec un désinvestissement des Etats sur le soin au profit d’une prévention autoritaire. La maladie avait honte, elle se cachait. Souvent, elle était asymptomatique. Des pathologies graves étaient révélées essentiellement par dépistage. Devenues chroniques, le patient ne se plaint que des traitements... 

Être malade était difficilement compréhensible, prendre un médicament tous les jours insupportable et retarder des vacances pour une chimiothérapie ou une chirurgie était devenu inconcevable. Expliquer qu’être malade n’est pas une faute, rendre la maladie visible, proposer une nouvelle définition du phénomène m’avait effectivement conduit à publier Le dernier déni. Craignons-nous plus la maladie que la mort ? chez Albin Michel. 

Aujourd’hui c’est encore plus vrai avec cette épidémie la maladie revient dans le quotidien de chacun mais aussi dans notre collectivité. Ce rappel est brutal. Il y a encore quelques semaines, seuls les malades savaient l’irrationnel et la toute-puissance de la maladie. Pour autant, il ne convient pas de sombrer dans un « medico-centrisme ». 

L’imprévisibilité appartient à la nature et à l’histoire de l’humanité.

Exact, cette imprévisibilité appartient à la Nature. Rappelez-vous notre surprise lors de l’éruption du Eyjafjöll en 2010. Le transport aérien dans l’hémisphère nord avait dû être suspendu.  Rappelez-vous notre effroi lors du tsunami de 2011 avec ses 18 000 morts et l’accident nucléaire de Fukushima. Ces évènements brutaux appartiennent à l’histoire de l’humanité.

L’épidémie, fléau sanitaire, relève des menaces permanentes auxquelles est exposé l’homme. Une épidémie, nommée classiquement Peste, frappe Athènes 430 avant JC. Thucydide en est le témoin et en fait le récit (texte disponible sur internet, Thucydide, Livre II, La Peste d’Athènes, trad. J.de Romilly, Ed Belles Lettres, 1962). Il décrit la soudaineté du phénomène, le dévouement des médecins, des parents, la recherche de boucs émissaires, les conséquences démographiques et politiques sur la Cité. De telles considérations sont retrouvées lors des pestes de Milan, de Barcelone… Daniel Defoe n’avait que cinq ans lors de l’épidémie de Londres, il publie en 1722 « Journal de l’année de la Peste ». Nous retrouvons les propos de Thucydide, il suit plus précisément la progression du mal, perçoit qu’existe une phase silencieuse, notre moderne phase d’incubation, évoque les bienfaits de l’isolement, il oppose les échevins restés à leur poste à la Cour pressée de s’enfuir, conclut à un bilan positif des autorités. Le texte fut un succès de librairie, Defoe s’en doutait, il choisit d’écrire alors que le mal frappait Marseille.

Néanmoins, même sur ce front, des évolutions sont à souligner. 

Nous sommes au 21e siècle et le confinement semble rester le seul traitement puisqu’il est pratiqué par tous les pays du monde ou presque. 

Absolument , on est face à une maladie « émergente », pas de médicament, pas de vaccin, pas de sérologie, il ne nous reste que la patience et passive attente. Nous ne comprenons pas l’alternative « hygiéniste », choix des Pays-Bas, de la Suède et un temps du Royaume-Uni, reposant sur une stratégie d’immunité collective. L’exemple anglais renforce notre certitude. Sous la pression de la mortalité, le gouvernement décide le confinement le 24 mars avec une politique dite « phase retard » avec aplatissement et décalage dans le temps du pic de la courbe d'infection, mais il garde le principe d'une affection par le virus de 60 % de la population comme traitement définitif de l’épidémie. Cette approche « hygiéniste » présentée comme inhumaine, traditionnelle outre-manche, lie étroitement diffusion de l’épidémie et conditions sociales défavorables et va retrouver une actualité à l’heure du dé-Confinement. 

La pandémie actuelle présente néanmoins quelques évolutions nouvelles.

La première évolution est la niche écologique. L’extension d’une épidémie dépend des relations de l’agent pathogène (nature virus, bactérie ou parasite, cycle de reproduction, hôtes intermédiaires...) et de l’environnement (humidité, température, faune, flore…). Si les précédentes infestations par un coronavirus avaient des préférences, Chine et Asie pour le coronavirus du SRAS de 2003 ou Proche Orient pour le MERS de 2012, le Covid cru 2020 présente une niche écologique mondiale. Le coupable le plus souvent désigné est l’homme. C’est lui qui a pollué notre monde, l’apparition du virus résulte de son activité destructrice. Au moins ce discours évite de tuer des innocents comme ce fut si souvent le cas dans le passé. Quelques relents existent quand même, anti chinois, on évoque un laboratoire américain… Passons. Mais les exemples du volcan rebelle ou du tsunami majeur illustrent la part de facteurs non humains dans ces phénomènes majeurs. L’Histoire, avant même les manipulations génétiques dont sont suspectées la virologie moderne, est marquée par des hécatombes régulières avec la peste comme première suspecte.

Le premier facteur de l’évolution des rapports avec la maladie est quand même dans le progrès technique et les progrès de la médecine.

Oui , évidemment, les progrès techniques ne doivent pas être sous-estimés. Le mode de transmission du coronavirus et du bacille de Yersin est identique : les gouttelettes de salive. Mais la connaissance des mesures barrière, la diffusion de l‘information permettent d’adapter les comportements ; la réanimation respiratoire comme les antibiotiques existent. Probablement est sous-estimé comme facteur de résistance aux infections le meilleur état sanitaire des populations avec moins de dénutrition, une stimulation immunitaire favorisée par des vaccinations…

Curieusement, l’épidémie révèle les difficultés de ce concept de progrès. Sa critique systématique n’est plus audible. Ceux-là même qui le réfutaient réclament des soins performants, fuient à la campagne et menacent des régions épargnées. Ils n’ont pas renoncé et vont revenir avec des arguments servant leur bonne conscience. Rien de neuf. En revanche, les politiques comme les médias nous survendent le progrès en nous annonçant des sérodiagnostics, une vaccination, des traitements spécifiques à courte échéance. C’est oublié que des équipes travaillent sur ces sujets depuis dix ans et que résoudre des difficultés conceptuelles ne s’inscrit pas dans un calendrier. Seules les études cliniques peuvent se trouver accélérées par la facilité d’inclure rapidement un grand nombre de patients. 

Enfin, une reproductibilité des évènements médiatiques est amusante. Notre dernière grande épidémie est le Sida avec plus de 30 millions de morts. Il n’est pas à rappeler que la conséquence de l’atteinte virale est un effondrement des défenses immunitaires des patients. La vedette médiatique d’alors fut le Pr Philippe Even. Il propose, avec deux autres médecins de l’hôpital Laennec, un nouveau médicament, la Ciclosporine. Au laboratoire, ce produit augmente le taux des globules blancs T4, malheureusement inactifs. Le produit est administré à trois patients en dehors de tout protocole et sans même les avertir. Avant la mort précoce des trois cobayes, ils trouvent un soutien du directeur général des Hôpitaux (Jean de Kervasdoué) et du ministre de la Santé de l’époque (Georgina Dufoix). Conférence de presse : le Sida est vaincu par les Français annonce-t-on. Les deux patients de l’essai meurent, c’est le scandale de la Ciclosporine de 1985. Il est à noter que la tentative de récupération politique des autorités de santé de l’époque, le caractère ni éthique ni scientifique de la démarche des médecins, n’a pas empêché une carrière médiatique à Philippe Even. En médecine comme en politique, avoir tort ou raison n’a guère d’importance, le crédit repose sur le franchissement d’un seuil d’audience. Là encore, malgré des proximités entre Philippe Even et Didier Raoult (un argumentaire de laboratoire sans démonstration clinique, deux mandarins se faisant passer pour rebelles), l’emballement médiatique n’atteint pas les responsables politiques.

Vous êtes sévère, l’actualité et le risque de la mort valent peut-être de transgresser certaines procédures administratives… 

Comme souvent, les évènements tragiques induisent un discours de « plus jamais cela ». J’en doute car les moteurs du déni sont puissants en temps de paix, culturels mais aussi économiques. Cette dernière dimension reste une préoccupation prédominante en pleine tourmente et gardera cette place après.  Je crains que la maladie comme la médecine redeviennent des variables d’ajustement comptable pour notre société. Ainsi demain, nous aurons Didier Raoult, je l’espère avec un traitement efficace. Mais hormis cette personnalité, le grand changement moral et économique promis par le Président de la République est improbable. L’Histoire nous apprend que la soif de vivre marque la fin des épidémies, il ne sera pas l’heure de la morale, une consommation effrénée servira d’exutoire classique. 

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