Covid-19 : le modèle Singapour, seule solution face à une 4ème vague ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le personnel de santé prépare des tests contre la Covid-19 pour les passagers lors des procédures d'embarquement pour des navires de croisières à Singapour le 6 novembre 2020.
Le personnel de santé prépare des tests contre la Covid-19 pour les passagers lors des procédures d'embarquement pour des navires de croisières à Singapour le 6 novembre 2020.
©Roslan Rahman / AFP

Outils face à la pandémie

Quelles armes sanitaires reste-t-il dans la panoplie du gouvernement alors que la vaccination progresse et que l’acceptabilité des mesures de confinement et de restrictions sanitaires diminue ?

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Jean-Louis Teboul

Jean-Louis Teboul

Le Professeur Jean-Louis Teboul est chef de service de médecine intensive et de réanimation à l'hôpital Bicêtre (Val-de-Marne).

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Atlantico : Singapour qui a longtemps appliqué une stricte stratégie de suppression virale a récemment décidé de changer de méthode face au coronavirus et de pratiquer une forme de vivre avec le virus. En termes de politiques publiques comment le pays entend agir ?

Charles Reviens : Je commence mes propos en rappelant que je ne suis ni médecin ni épidémiologiste est mes propos se concentrent sur l’analyse des politiques publiques.

La période récente est effectivement marquée par un changement important d’orientations Singapour en matière de covid-19. Il faut d’abord rappeler les termes de la politique publique conduite sur 2020 et la première moitié de 2021, politique de suppression virale « zéro covid » qu’on retrouve également dans d’autres pays d’Asie du Sud et d’Océanie avec les points marquants suivants :

  • contrôle extrêmement strict des personnes entrant sur le territoires avec le SHN (stay home notice), quarantaine de 14 jours dans des hôtels dédiés facturés 2 000 dollars singapouriens (1 300 euros) et dont le non-respect peut conduire à une amende, une peine de prison et la perte du titre de séjour ;
  • supervision numérique de la population imposant aux résidents de scanner un QR code et de fournir des informations pour l’accès et la sortie des bureaux, galeries commerciales, cinémas…, l’objectif étant d’informer les personnes présentes dans ces lieux s’ils ont été fréquentés par une personne contaminée ;
  • isolement immédiat des personnes contaminantes et contaminées.

Ces mesures appuyées sur un niveau particulièrement élevé de discipline collective ont concentré les restrictions sur un nombre limité de personnes mais sans remettre en cause la vie économique et sociale dans son ensemble, ou aboutir aux confinements généraux et indifférenciés qu’on connu à un moment ou à un autre la plupart des pays occidentaux.

L’analyse les résultats, à l’aune par exemple du nombre de morts par unité de population, permet de constater un écart colossal entre le monde occidental et Singapour : à date 1 800 morts par million d’habitants aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, 1 600 en France et dans l’Union européenne, contre 6 à Singapour. Si la France était alignée sur le total de 36 morts covid répertoriés de Singapour, il y aurait eu environ 400 décès contre plus de 110 000.

Les autorités de Singapour viennent toutefois de décider d’un changement important d’orientations, changement décrit dans la tribune du 24 juin dernier dans StraitTimes signée par le ministre du commerce et de l’industrie, le ministre des finances et le ministre de la santé qui co-président le groupe interministériel covid-19.

Le concept majeur mis en avant est la reconnaissance d’un « nouveau normal » conduisant à accepter de vivre avec la covid-19 dont il est admis qu’elle ne peut plus être éradiquée notamment du fait des variants, mais qui devient une endémie maîtrisable (de type grippe saisonnière) et cesse d’être une pandémie comme en 2020-2021.

Le nouveau cadre mis en place est le suivant :

  • haut niveau de vaccination conduisant à des formes légères de maladie permettant le maintien des personnes infectées ou malades à domicile ;
  • fin des campagne de test massifs des contacts et des quarantaines pour éradiquer le virus dans les cluster s;
  • communication publique réorientée vers le pilotage des formes les plus graves mais plus sur le suivant global de tous les cas d’infection ;
  • allègement majeur des restrictions sociales majeures tant en interne que pour les voyages à l’international, en particulier concernant les pays ayant des niveaux élevés de vaccination.

A quelles conditions ce changement de stratégie est-il soumis ? Le "vivre avec le virus" de Singapour et celui de la France sont-ils les mêmes ?

Charles Reviens : L’acceptabilité sociale des restrictions par la population, la préservation de l’attractivité de Singapour et les enjeux de compétitivité du hub singapourien ait pesé fort dans cette nouvelle orientation alors que d’autres places financières mondiales lèvent les restrictions.

Mais cette nouvelle orientation est surtout permise par la situation de la vaccination covid-19 et l’avance qu’a Singapour sur ce point par rapport à ses voisins. Singapour est en effet à date un peu en avance sur l’Union européenne et surtout très en avance par rapport aux autres pays d’Asie du Sud qui ont fait preuve de prudence sur ce volet de la politique sanitaire covid-19. On avait d’ailleurs noté l’investissement en juin 2020 de 250 millions de dollars du fond souverain de Singapour Temasek dans la firme allemande BioNTech dont le vaccin est distribué par Pfizer.

Tout est actuellement fait pour accélérer la vaccination la plus large de la population : réduction à quatre semaine du délais entre la première et la seconde dose, élargissement du public éligible aux résidents de 12 à 39 ans.

Le « vivre avec le virus » singapourien n’a toutefois pas grand-chose à voir avec le « vivre avec le virus » à l’occidentale ou à la française, notamment en termes de calendrier (mise en place 18 mois après le début de la pandémie), de situation vaccinale (programme de vaccination très avancé), ou de niveau de circulation du virus : maximum absolu de 11 cas détectés par million d’habitants le 29 juin 2021, contre deux pics français à 832 cas le 3 novembre 2020 puis 675 cas le 17 avril 2021.

Rappelons que l’expression « vivre avec le virus » est utilisée pour la première fois par Emmanuel Macron dans son discours du 13 avril 2020, au milieu du premier confinement, puis repris dans ses prises de parole ultérieurs (28 octobre 2020, 31 mars 2021). Sur le plan pratique, cela a consisté pour la plupart des pays occidentaux à assumer un niveau très élevé de circulation du virus conduisant à un cycle permanent de confinements-déconfinements en fonction du niveau de saturation de l’hôpital mais au prix de conséquences économiques et sociales le plus souvent délétères. On est en la matière dans le domaine du « damage control »pandémique.

Actuellement le variant Delta progresse sur le territoire français, le gouvernement vaccine autant que possible mais la plupart des mesures ont été levées. Que peut faire de plus le gouvernement actuellement en France ?

Professeur Jean-Louis Teboul : Le gouvernement a pris des mesures à la mi-juin avec une levée très importante des restrictions (le port du masque à l’extérieur et le couvre-feu). Cette politique a pu surprendre à ce moment-là. Elle était expliquée par le fait que les contaminations diminuaient de façon drastique. Dans la mesure où à l’extérieur, on se contamine beaucoup moins qu’à l’intérieur ces mesures avaient plutôt du bon sens.

Maintenant, qu’est-ce que le gouvernement peut prendre réellement comme mesure pour contrecarrer une flambée des cas de Covid-19, en particulier des cas de variant Delta ? Il est clair qu’il faut continuer à encourager la vaccination massive. La rendre obligatoire, c’est une autre question. Elle peut se concevoir pour les professions qui sont à risque de fortes interactions avec le public étant donné la transmissibilité forte du variant Delta. Les soignants ont été au cœur des débats sur la vaccination obligatoire pour des raisons évidentes de devoir moral et d’exemplarité envers des personnes vulnérables, mais il n’y a pas que les soignants qui sont au contact avec le public. Un processus législatif pourrait se mettre en place si le choix de la vaccination obligatoire était suivi par le gouvernement. Mais cela prendrait nécessairement plusieurs semaines pour qu’elle soit applicable et appliquée. Or, si l’on veut empêcher ou limiter une éventuelle 4ème vague  pandémie, il faut agir rapidement, dans les jours qui viennent. Il faudrait donc immédiatement appliquer une politique d’incitation très forte à la vaccination à travers les messages pédagogiques délivrés par le biais des media en expliquant encore davantage les bénéfices individuels et surtout collectifs du vaccin et en insistant sur leur excellente tolérance. A cet égard, les jeunes peuvent être davantage incités à se faire vacciner en leur présentant tous les bénéfices qu’ils peuvent en tirer avec un retour à une vie presque normale à la rentrée leur permettant de poursuivre leurs études, d’exercer leur activité professionnelle et d’avoir une vie sociale épanouie. Il faut bien faire comprendre à tous qu’à partir des données scientifiques qui se sont accumulées depuis quelques mois, il n’y a aucune raison de penser que les vaccins que nous avons à disposition sont à risque immédiat ou à moyen terme. Il y a par contre une quantité de données scientifiques qui prouvent que le vaccin est très protecteur vis-à-vis du variant Delta qui va nous occuper une partie de l’été.

Mais d’autres mesures que les messages pédagogiques sont nécessaires et pourraient être également appliquées rapidement. Il est possible notamment d’aller chercher les personnes hésitantes pour leur proposer la vaccination en particulier les personnes qui n’ont pas eu réellement connaissance des différents messages incitatifs et des campagnes d’information dans les journaux. Il y a des personnes vulnérables qui sont isolées, à faible mobilité ou qui ne sont pas reliées à Internet ou encore des personnes qui sont socialement défavorisées voire en situation de grande précarité. Il y a finalement beaucoup de personnes vivant en France qu’elles soient françaises ou non qui n’ont pas même l’information ou les moyens de prendre rendez-vous sur Doctolib, par exemple. Ces personnes sont souvent d’ailleurs car vulnérables et à risques de Covid pour des raisons multiples dont la malnutrition ou des comorbiditées non traitées. Elles sont aussi potentiellement très contaminatrices car peu atteintes par les messages recommandant les gestes barrières ou car vivant à plusieurs dans des locaux exigus. Il faut tout mettre en œuvre pour proposer la vaccination à ces personnes quel que soit leur statut social ou citoyen.

Les élus nationaux et surtout locaux pourraient encore davantage agir en trouvant les moyens d’atteindre ces populations trop négligées, en leur proposant et en leur expliquant le bien-fondé de la vaccination et la faisant réaliser même à domicile pour les personnes à mobilité réduite. Les médecins traitants peuvent également jouer un rôle en informant et conseillant leurs patients non encore vaccinés. L’accès aux fichiers des personnes vaccinées pourrait être une aide supplémentaire pour les médecins traitants.

Il existe donc à mon sens une réserve de personnes vaccinables qui ne sont pas toutes des antivax. C’est cette population qu’il faut mobiliser rapidement.             

L’hypothèse d’une quatrième vague en France, plus modérée que les précédentes, est loin d’être exclue. La tolérance de la population française pour des mesures de confinement strictes semble très faible. Le gouvernement aura-t-il des moyens d’action non contraignants en cas de résurgence épidémique ?

Professeur Jean-Louis Teboul : La tolérance de la population est désormais très faible car beaucoup de mesures de restrictions ont été levées et Il parait donc dorénavant difficile de revenir en arrière.

Sur la possibilité d’une quatrième vague, nous constatons une augmentation du nombre de cas, même si elle reste encore modeste en France par rapport à d’autres pays comme le Royaume Uni. Les « vagues » concernent essentiellement les hospitalisations qui peuvent mettre en péril le système de santé. Le risque est de voir des hôpitaux débordés notamment dans les services de Réanimation. Il s’agit de la principale crainte. Avec les mesures actuelles, on n’empêchera pas nécessairement les contaminations, même si on peut les limiter par le respect des gestes barrières à l’intérieur et bien sûr, la vaccination. Mais ce qui est très important, c’est que cette augmentation possible de contaminations ne se transforme pas inéluctablement en hausse des hospitalisations et des cas graves. C’est ce qui permettra d’éviter d’avoir recours à la rentrée, aux mesures drastiques de confinement ou de restrictions fortes de la vie sociale. Tout le défi des prochains jours et semaines est là, et c’est là que la vaccination peut pleinement jouer son rôle.

Les vaccins permettent d’éviter les formes graves de la maladie. Il s’agit d’un moyen d’action extrêmement puissant dont nous ne disposions pas l’année dernière à la même période. Nous avons donc une chance inouïe pour freiner l’épidémie. Il faut la saisir. Les vaccins réduiront également les contaminations. Ce que nous espérons par le biais de la vaccination est que l’immunité acquise collectivement ralentira la circulation du virus, permettra d’éviter de nouvelles mutations et in fine fera disparaitre le virus et l’épidémie.

Certains éléments du modèle Singapourien pourraient-ils être applicables en France dans la perspective d'éviter une quatrième vague alors que la vaccination progresse et que l’acceptabilité des mesures de confinement et de restrictions sanitaires diminue et que la plupart sont levées ?

Charles Reviens : Il faut avoir conscience du caractère souvent catastrophique des mesures de fermetures générales pour l’économie, la vie sociale générale et même les considérations générales de santé publique. Eviter un quatrième confinement du fait d’une quatrième vague semble donc être un objectif important équilibrant les considérations sanitaires et les considérations socio-économiques.

Un point intéressant concernant Singapour semble être l’absence de débat sur le caractère obligatoire de la vaccination mais au contraire l’importance de la communication publique pour inciter la plus grande partie de la population à se vacciner, élément central du « new normal ».

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