Coups de menton contre coups du mou : Valls (et ses récents alliés) à l'assaut du hollandisme… à moins que ce ne soit l’inverse<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Manuel Valls est le nouveau Premier ministre de François Hollande.
Manuel Valls est le nouveau Premier ministre de François Hollande.
©Reuters

Face à face

Après un vote sanction très sévère exprimé lors des municipales, le remaniement du gouvernement est en marche. François Hollande a ainsi choisi de remplacer Jean-Marc Ayrault par Manuel Valls à Matignon. Analyse de la nomination de ce nouveau Premier ministre qui devra mener un "gouvernement de combat".

Atlantico : Manuel Valls devient le nouveau Premier ministre de François Hollande. De qui le nouveau chef du gouvernement s'est-il rapproché pour atteindre Matignon ?

Olivier Rouquan :Il s'est surtout rapproché de l'opinion publique. C'est d'ailleurs le seul qui tire son épingle du jeu dans un contexte où tout le monde est impopulaire. Ce critère de l'opinion compte beaucoup. Et second point, il a su, en tant que ministre de l'Intérieur, être moins rugueux, moins clivant, il est resté à sa place dans ce gouvernement Ayrault. Il ne s'est donc pas mis à dos des partis de la gauche, n'a pas provoqué de réactions hostiles. Même si la gauche du PS le regarde avec beaucoup de méfiance, il a su lier des amitiés, des complicités avec Arnaud Montebourg et Benoît Hamon notamment. Progressivement, il a tissé sa toile et il apparaît aujourd'hui comme un individu qui, sans rallier l'ensemble, ne provoque pas de rejet total.

Ce qu'il y a d'intéressant dans cette nomination et qui la motive vraiment, c'est qu'en le nommant, François Hollande se réconcilie avec les cohortes qui avaient voté Ségolène Royal en 2007 et cela rend possible la représentation de ses supporters et de Ségolène Royal au gouvernement.

Laurent Borredon :Depuis la fin de l'année 2013 où il a déjà failli accéder à Matignon, Manuel Valls a accéléré les rapprochements avec quelques poids lourds du gouvernement marqués plus à gauche que lui, tels qu'Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Ils lui permettent de compenser ses points faibles : il n'a pas de réseau au Parti Socialiste et il est plus marqué à droite. Mais évidemment cette nomination n'aurait pas pu se faire sans l'appui de l'opinion publique principalement.

Comment Manuel Valls est-il parvenu à prendre le pas sur Jean-Marc Ayrault ?

Olivier Rouquan : Manuel Valls est un communiquant tout à fait compétent, c'est l'une des raisons essentielles de sa nomination. François Hollande se rend bien compte que ce qui n'a pas marché depuis le début dans cette équipe c'est la communication. Manuel Valls est l'ancien communiquant de Lionel Jospin, c'est quelqu'un qui a compris qu'il fallait retenir quelque chose de la période Sarkozy sur le plan de l'énergie que l'on communique et il va en user.

Hollande et Ayrault se situaient tous les deux dans des registres trop proches. Avec Manuel Valls, il nomme une personnalité qui lui est complémentaire. Nous allons ainsi retrouver un Premier ministre qui prendra plus d'espace et existera davantage, notamment dans les médias. Ayrault existait sur le plan administratif, il a tenu Matignon sans problème mais il était quasiment inaudible.

Avec Jean-Marc Ayrault la ressemblance était telle que quand l'un voyait sa côte de popularité baisser l'autre aussi. Là il y a aura une distinction comportementale. Les charismes ne seront pas les mêmes.

Laurent Borredon : Une partie de la réponse se situe plutôt du côté de l'échec de Jean-Marc Ayrault. Manuel Valls a lui continué à faire la preuve de son talent pour la communication depuis qu'il est au ministère de l'Intérieur mais il a aussi su se taire sur les sujets économiques sur lesquels il aurait pu être très clivant. Ce qui lui a permis de prendre le pas sur Jean-Marc  Ayrault, c'est effectivement la démonstration de la qualité de sa communication qui lui permet d'être le ministre le plus populaire, mais c'est aussi une discrétion ciblée sur certains sujets et une certaine prudence.

Quelle entente politique et idéologique peut-on retrouver entre François Hollande et Manuel Valls ?  L'arrivée du ministre de l'Intérieur à Matignon s'apparente-t-elle à une "mini cohabitation" ?

Olivier Rouquan : Sur le plan des idées, Hollande et Valls ne sont pas si éloignés que ça, on est plus là sur une différence d'incarnation. François Hollande assume totalement les décisions qu'il prend depuis le début, notamment sur le thème de la compétitivité.

Laurent Borredon : Il ne s'agit pas d'une mini cohabitation, car idéologiquement les deux hommes se retrouvent sur leur ligne social-démocrate d'une part et sur une sorte de pragmatisme non idéologique d'autre part. Par ailleurs, le point essentiel sur lequel Manuel Valls et François Hollande se retrouvent, c'est sur cette alchimie qui a permis au président de gagner en 2012. Dans cette alchimie, Manuel Valls était une pièce centrale puisqu'il était le responsable de sa communication et que son rôle est allé bien au-delà. C'est sans doute cette alchimie que François Hollande voudrait retrouver, pour une meilleure communication et une meilleure coordination de l’action gouvernementale.

François Hollande a confié comme mission à Manuel Valls d'appuyer les efforts de la France dans le respect de ses engagements auprès de l'Europe. Manuel Valls s'était opposé à la signature du Traité constitutionnel européen en 2005, sera-t-il alors crédible en Europe dans son nouveau rôle ?

Olivier Rouquan : Laurent Fabius est tout à fait crédible en matière de politique étrangère alors qu'il était bien plus engagé dans la campagne pour le non, Valls étant resté en retrait. Donc je pense que ce n'est pas rédhibitoire.

La posture de Hollande est simple, il souhaite, si c'est possible un jour, être en position de renégocier les choses au niveau européen et de porter des politiques un peu plus sociales. 

Quelle est la ligne idéologique de Manuel Valls ? On connait bien sa vision sur les sujets de sécurité et les valeurs républicaines, que sait-on en revanche de sa vision économique ?

Olivier Rouquan : Sur le plan de la politique économique, Valls est un réaliste. Il tient cela de son engament assez ancien d'abord auprès de Michel Rocard puis de Lionel Jospin. C'est un social-démocrate totalement décomplexé, qui vient de la deuxième gauche. Il a donc une culture politique assez ouverte sur la société civile et son dynamisme, qu'il s'agisse du dynamisme des entreprises ou des associations. De ce point de vue il n'aura aucun mal – et c'est je pense ce qui a facilité sa nomination –  à porter le pacte de compétitivité et le volet attractivité de la politique économique en cours d'application. C'est cependant un homme de gauche, un communiquant et un politique qui va profiter de l'occasion qui lui est donnée pour diversifier son capital politique et promouvoir des politiques sociales. Il risque d'annoncer une diminution de la fiscalité sur les classes moyennes et aura à cœur d'en faire deux fois plus, même si il est évident que les moyens disponibles limitent les choix en la matière.

Que sait-on de son positionnement en termes de politique étrangère et de défense ?

Laurent Borredon :Ce sont des sujets sur lesquels il est resté très discret. Dans le livre "Valls à l'intérieur", on décrit assez précisément l'un des grands voyages diplomatiques qu'il a pu faire en tant que ministre de l'Intérieur, une tournée américaine à New-York et Washington. Il a montré là-bas qu'il était assez nettement dans la ligne de François Hollande. Il a également une conscience assez marquée du risque terroriste en France et donc des conséquences que certains engagements de politique étrangère peuvent avoir sur les risques terroristes sur le territoire français, cela peut donc l'amener à une certaine prudence. La seule chose sur laquelle il pourrait avoir une position davantage personnelle, ce serait vis-à-vis d'Israël. Il n'a jamais caché son lien très fort avec Israël.

Quelle est la stratégie poursuivie par François Hollande dans la nomination de Manuel Valls à Matignon ?

Olivier Rouquan : Dès qu'il est arrivé à l'Elysée, le Président avait dit qu'il ne garderait pas Jean-Marc Ayrault pendant 5 ans. Sa stratégie, c'est d'abord dans le court-moyen terme de se donner une chance de rebondir face à l'opinion publique. Sur le plan institutionnel, c'est sans doute de se repositionner en tant que Président, sur des enjeux régaliens. Hollande gardera ainsi la main sur les thèmes de la défense et de la politique étrangère, qui ne sont pas les domaines de prédilection de Manuel Valls.

Sur le plan tactique, sa décision est à double tranchant. Il se donne la possibilité d'avoir un  peu d'oxygène face à l'opinion, de relancer les choses grâce à une meilleur communication. A moyen terme, laisser Valls s'user pendant 3 ans à Matignon le mettrait dans une position défavorable pour 2017. Ce qui arrange François Hollande qui, je pense, n'a pas fait le deuil de 2017.

Il est vrai que nommer un premier ministre populaire est un risque mais sur tous les premiers ministres arrivés très populaires à Matignon, très peu en sont ressortis indemnes. Dans la période actuelle qui est très difficile, même un très bon communiquant énergique aura du mal à durer.  

Laurent Borredon :Pour François Hollande, cette décision de nommer Manuel Valls à Matignon est risquée mais elle représente aussi un certain nombre d'avantages. On sait que Matignon use les hommes,  le Président place donc un potentiel rival pour 2017 à un poste très usant. Dans le calcul plus politique et plus noble, on peut considérer que François Hollande peut tabler sur l'activisme, le dynamisme et le sens de communication de Manuel Valls pour permettre à l'exécutif de sortir la tête de l'eau.  Tout reposera aussi sur sa capacité à fédérer autour de lui la majorité. On voit qu'il y a des tiraillements actuellement et nous y verrons plus clair dans les jours qui viennent lors de la nomination du gouvernement puis lors de son discours de politique générale au Parlement. 

Propos recueillis par Amandine Bernigaud

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !