Coupe du Monde au Qatar 2022 : le Mondial de tous les dangers<!-- --> | Atlantico.fr
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Lors de leur premier match de qualification pour la prochaine Coupe de monde, l'équipe de football d'Allemagne a manifesté pour les droits de l'homme au Qatar.
Lors de leur premier match de qualification pour la prochaine Coupe de monde, l'équipe de football d'Allemagne a manifesté pour les droits de l'homme au Qatar.
©Tobias Schwarz / AFP-Pool dpa Picture-Alliance via AFP

Bonnes feuilles

Kévin Veyssière publie « Mondial : Football Club Geopolitics - Tome 2 : 22 histoires insolites sur la Coupe du Monde de football » aux éditions Max Milo. L’auteur décrypte comment depuis 120 ans, la plus grande compétition sportive a toujours été un outil puissant et propice aux jeux d’influence et de pouvoir. Extrait 2/2.

Kévin Veyssière

Kévin Veyssière

Kévin Veyssière est collaborateur parlementaire. Passionné de football, de géopolitique et d'histoire, il a créé le Football Club Geopolitics, média qui vulgarise la géopolitique du football. La page rassemble aujourd'hui plus de 30 000 abonnés sur Twitter.

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Comme il le désirait, le petit émirat du Moyen-Orient aura tous les projecteurs braqués sur lui, en accueillant sur ses terres la Coupe du monde de football en fin d'année 2022. Un choix qui surprend tant le Qatar n'est pas un pays de tradition footballistique ; son équipe nationale ne s'était jamais qualifiée auparavant pour un Mondial. Surtout, cette compétition soulève de nombreuses questions éthiques, de l'impact écologique à la responsabilité de la FIFA dans l'organisation d'un tel évènement, en passant par la question cruciale du respect des droits humains.

« Le monde arabe mérite une Coupe du monde. Ils ont vingt-deux pays et n'ont eu aucune opportunité d'organiser le tournoi. » C'est ainsi que s'exprime le Président de la FIFA Sepp Blatter, le 2 décembre 2010, lorsque le Qatar obtient l'organisation de la Coupe du monde 2022. L'émirat recueille en effet la majorité des suffrages des vingt-deux membres du Comité exécutif de la FIFA, battant la candidature des États-Unis. Malgré l'argument géographique avancé par Blatter, ce succès qatari interroge déjà à l'époque. Comment un petit pays du Moyen-Orient de 2,7 millions d'habitants aujourd'hui (dont 300 000 nationaux), de la taille de l'île-de-France (environ 12 000 km2), sans culture football et sans participation à une Coupe du monde, a-t-il pu obtenir l'organisation de la reine des compétitions de football? Pour le comprendre, il faut s'intéresser à sa politique ambitieuse de diplomatie sportive, mise en place à partir des années 1990.

Le Qatar est déjà un État relativement jeune. Alors que le Royaume-Uni se désengage politiquement du Golfe persique, ses anciens protectorats (Qatar, Bahreïn et sept autres États) s'organisent pour former une fédération. Les conflits régionaux poussent toutefois le Qatar à déclarer son indépendance en 1971 vis-à-vis de la coalition, qui deviendra plus tard les Émirats Arabes Unis (EAU). Malgré ce nouveau statut et bien que reconnu par l'ONU, le nouvel État, à l'époque composé d'à peine 100 000 habitants, va être soumis à l'influence, voir l'ingérence, de ses nombreux voisins, en particulier l'Arabie Saoudite. C'est en 1995 que la situation évolue puisque l'émir Hamad ben Khalifa al Thani renverse son père et prend les commandes du pays. Avec ce nouvel homme fort aux manettes, le Qatar tente de se libérer de la tutelle saoudienne, en utilisant plusieurs moyens de « puissance douce », mieux connue sous le nom de soft power.

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L'émirat lance en 1996 la chaîne d'information Al Jazeera, dans le but de rompre le monopole saoudien dans les médias arabes. Cette entreprise ne s'arrête pas là puisque le Qatar cherche à attirer l'attention internationale pour préserver son indépendance et accentuer son ouverture sur le monde. C'est pourquoi dans le même temps il choisit de miser sur le sport, et ses valeurs dites « positives » et « universelles », pour briller et se différencier. Notamment de ses voisins qui sont reconnus dans d'autres domaines : le pétrole pour l'Arabie saoudite, la finance pour le Bahreïn, le commerce pour Dubaï (l'émirat alors le plus visible des EAU). Problème : le Qatar est loin d'incarner cette nation tournée vers le sport qu'elle veut être.

L'Etat qatari investit donc de manière importante dans le sport, bien aidé par les revenus tirés de l'exploitation de son riche sous-sol gazier (environ 13% des réserves mondiales). La première pierre à l'édifice est le tournoi de tennis ATP de Doha, lancé dès 1993. Ces investissements se poursuivent dans des sports haut de gamme : le golf avec les Qatar Masters depuis 1998, les sports mécaniques avec le Grand Prix moto du Qatar depuis 2004 ou encore des compétitions hippiques et de voile. Autant d'évènements qui permettent au Qatar de gagner en visibilité grâce à l'organisation de grandes compétitions sportives internationales, en particulier les Jeux asiatiques de 2006. L’émirat, grâce à ses investissements réfléchis, gagne en notoriété et en crédibilité auprès de nombreux partenaires, ce qui lui permet d'intégrer les cercles décisionnels sportifs, attirés par la masse financière qatarie.

Cette stratégie lui ainsi donne l'opportunité d'avancer ses pions dans des sports plus grand public, comme le football. Le Qatar y entre par la grande porte avec, comme nous l'avons vu, l'obtention, en 2010, de l'organisation de la Coupe du monde 2022. Une surprise entachée toutefois de soupçons de corruption, comme a pu le révéler en 2014 le livre L'Homme qui acheta une Coupe du monde — le complot qatari, des journalistes Heidi Black et Jonathan Calvert. Des suspicions qui vont amener plusieurs enquêtes du FBI et le rapport Garcia sur l'attribution controversée des Coupes du monde 2018 et 2022. L'institution de la FIFA est ébranlée par ses affaires, qui conduisent notamment au « FIFAGate » en 2015 et à l'arrestation de plusieurs hauts dirigeants de cette organisation, à la démission de son président Sepp Blatter et même du président de l'UEFA Michel Platini. Avec ces polémiques, enquêtes et scandales, le Mondial 2022 conserve cette réputation de compétition achetée par le Qatar.

L'émirat cible aussi d'autres pistes que la Coupe du monde. Il réussit le coup de force de devenir sponsor de l'un des clubs les plus populaires au monde, le FC Barcelone, et ainsi d'afficher sur leur maillot le logo Qatar Foundation. C'est surtout le 31 mai 2011 que les investissements sportifs qataris prennent une nouvelle dimension, puisque le fonds d'investissement souverain Qatar Sport Investment (QSI) rachète pour 70 millions d'euros le club du Paris-Saint-Germain. Un choix stratégique pour, redorer le blason d'un club historique, mais surtout pour associer l'image du Qatar à la ville la plus visitée du globe : Paris.

Une image de marque à laquelle vont s'additionner de nombreux investissements sportifs onéreux, notamment en 2017 avec les signatures des joueurs Neymar et Kylian Mbappé pour 422 millions d'euros à eux deux. Cela permet ainsi au Qatar de s'appuyer sur la notoriété de ces sportifs-influenceurs aux millions d'abonnés, qui pourront ainsi véhiculer l'image du Qatar, au point de devenir en quelque sorte des ambassadeurs de la « marque » Qatar. Nouveau coup de force à l'été 2021 puisque c'est la superstar Leo Messi qui rejoint le club de la capitale : un nouveau coup de projecteur pour promouvoir le Qatar et sa Coupe du monde à l'international.

En un peu plus de dix ans, le Qatar a fait du PSG l'une des plus grandes marques de football, avec près de 150 millions de supporters à travers le monde. Bien que le volet sportif soit un semi-échec compte tenu des prestations décevantes du club en Ligue des Champions, le PSG a changé de dimension et s'impose comme un des clubs les plus riches et les plus influents d'Europe. Également dans les instances, puisque le président qatari du PSG, Nasser al-Khelaïfi, est sorti grandi de la crise de la Super Ligue, en devenant le 21 avril 2021 le président de l'ECA, l'association représentant les intérêts des clubs de football en Europe.

Ces réussites dans l'industrie sportive permettent au Qatar d'être aujourd'hui identifié comme étant un acteur important du sport mondial. Une influence présente également sur le créneau des médias sportifs puisque le réseau qatari de chaînes BeIn Media Group, créé en 2011, est présent dans plus de quarante pays sur cinq continents. Il est considéré comme le plus grand acheteur de droits sportifs dans le monde. Avec tous ces investissements, le Qatar cherche à mettre sur pied un écosystème autour de l'économie du sport : pour vendre la marque du pays (nation branding), diversifier son économie et devenir le leader mondial de l'excellence sportive.

C'est pourquoi le Qatar cherche aussi à s'imposer comme un pays hôte capable d'accueillir différents grands évènements sportifs internationaux : championnats du monde de handball en 2015, de cyclisme en 2016, d'athlétisme en 2019. Le Comité olympique du Qatar s'est d'ailleurs fixé l'objectif ambitieux d'organiser cinquante compétitions internationales d'ici 2030. Une nouvelle terre du sport qui s'accompagne d'investissements sur son territoire pour accompagner les performances des sportifs du monde entier et former les champions (qataris) de demain, et qui se concrétise avec la création de l'Aspire Academy, en 2004. Il faut dire que pour l'instant le Qatar n'a remporté que sept médailles depuis sa première participation aux Jeux olympiques de 1984. Quant à son équipe de football, Al-Annabi (les Bordeaux), elle ne s'est jamais qualifiée pour une Coupe du monde avant 2022 et n'a obtenu qu'un seul titre, une Coupe d'Asie des nations en 2019.

Sur le volet géopolitique, la consécration qatarie en 2010 a tendu terriblement les relations avec ses voisins du Golfe persique. En particulier avec l'Arabie Saoudite, qui va même imposer avec ses alliés un blocus au Qatar en 2017. Malgré l'important dispositif et les menaces d'attaques militaires, l'émirat qatari réussit à maintenir son économie à flot et à mobiliser la communauté internationale autour de son cas. Son influence politico-sportive n'y est d'ailleurs pas étrangère. Le blocus fragilise l'équilibre économique de la région, déjà précaire avec les conséquences de la crise du covid-19. Ce qui pousse finalement l'Arabie Saoudite à mettre un terme à ce blocus en janvier 2021, et permet au Qatar de préserver son statut de pays influent du monde arabo-musulman. Les relations entre les deux rivaux se sont depuis considérablement détendues, avec une première coopération économique autour de la création d'un Conseil d'affaires qataro-saoudien. Mais c'est sans doute le cas du rachat du club anglais de Newcastle par l'Arabie saoudite, en octobre 2021, qui est l'exemple le plus démonstratif. En effet, avant la fin du blocus, ce rachat était bloqué, car BeIn Sport, principal détenteur des droits TV à l'international de la Premier League, prétextait que l'investissement saoudien allait à l'encontre des intérêts anglais, puisque l'Arabie saoudite piratait les chaînes du groupe qatari. La reprise des relations diplomatiques a permis la fin du piratage et donc de débloquer la situation pour que l'Arabie saoudite puisse aussi acquérir son club de football européen.

Un rachat qui a remis en lumière les principales critiques autour des investissements sportifs des pays du Golfe persique, avec la question du sportwashing. C'est-à-dire utiliser le sport comme un élément pour « laver » l'image de ces pays, notamment en ce qui concerne leur piètre bilan en matière de droits humains. Le Qatar est lui aussi dans l'oeil du cyclone compte tenu de l'importance internationale de la Coupe du monde (évènement vu par plus de 3,5 milliards de personnes sur la planète).

L'organisation du Mondial au Qatar a d'abord révélé les conditions de travail dans le pays, autour du système de la /cela : un système de mise sous tutelle de n'importe quel travailleur étranger (dont les ouvriers qui travaillent sur les chantiers du Mondial). Pire, en février 2021, le journal The Guardian révèle que ce sont près de 6 500 d'entre eux qui seraient morts depuis le début des travaux en 2014. Une terrible annonce qui vient s'ajouter aux nombreux reportages autour des conditions dans lesquelles travaillent les 800 000 ouvriers étrangers de de chantier titanesque : ils sont parqués dans une zone industrielle à 20km du strass et des paillettes de Doha et travaillent sous des températures suffocantes pour sortir de terre des stades ultra-modernes.

Ces stades génèrent d'ailleurs aussi leur lot de critique, autour du coût écologique et économique (près de 200 milliards de dollars investis, soit dix fois plus que la précédente édition russe en 2018) de cette Coupe du monde. Bien que la FIFA ait décidé de faire jouer la compétition au Qatar en hiver pour éviter les températures estivales intenses, l'hiver dans ce pays peut tout de même atteindre une trentaine de degrés. L'ensemble des 8 stades est donc climatisé, avec des systèmes permettant de faire chuter le thermomètre de 15 degrés.

Quid par ailleurs de la question de la durabilité de ces infrastructures, à l'heure où les enceintes construites pour le Mondial sud-africain ou brésilien sonnent creux? Les stades qataris pourront accueillir en moyenne 40 000 personnes, alors même que la première division qatarie de football accueille à peine 4 000 spectateurs à chaque match. Enfin, la Coupe du monde ayant lieu dans la seule ville de Doha dans un périmètre réduit, le Qatar a mis en place des partenariats avec des compagnies d'autres États du golfe Persique, pour affréter rapidement une partie du 1,2 million de supporters attendus qui ne pourront pas tous loger au Qatar. Ce qui pose encore une fois la question du coût écologique d'un tel évènement organisé dans de telles conditions.

Face à ces importantes critiques, Doha a mis en place une stratégie de contre-communication pour faire évoluer son régime et mieux correspondre aux standards des pays de l'hémisphère Nord, dont proviennent la plupart des griefs. En premier lieu, un assouplissement du régime conservateur avec la tenue des premières élections législatives de l’histoire du pays le 2 octobre 2021. Par ailleurs, d'autres mesures ont été annoncés par les autorités qataries, comme la fin de la kafala et la mise en place d'un salaire minimum. Malgré des avancées notables pour le régime conservateur qatari, les accusations contre le Qatar perdurent, car les dérives autour de son Mondial dépassent le simple cadre de l'émirat. 2022 est une année qui cristallise les critiques autour de l'industrie du sport. À l'image des Jeux olympiques d'hiver de Pékin en février 2022, eux aussi décriée du fait de la nature autoritaire du régime chinois, de la répression des Ouïghours, des violations des droits de l'homme et de la question écologique. Ces deux évènements, parmi les plus médiatiques de la scène mondiale, relancent le débat autour des limites auxquelles peut être confronté le grand divertissement mondial qu'est devenu le sport.

Une fois ce constat fait, comment faire en sorte que les prochains grands évènements sportifs s'inscrivent dans un minimum de standard autour de l'écologie et du respect des droits humains? Une question complexe tant les organisations sportives internationales se voilent la face sur ces questions et ne les prennent pas suffisamment en compte en amont même de l'attribution. Chaque grand évènement sportif peut être un enjeu géopolitique, pour mettre sur le devant de la scène des différends entre tel ou tel gouvernement.

La FIFA est en tout cas loin d'être le garant d'une telle évolution pour le sport de demain. Son président Gianni Infantino vient de s'installer à Doha pour superviser l'évolution du Mondial, une première dans l'histoire de la Coupe du monde, qui relance le débat autour de l'intégrité même de l'organisation. Infantino qui n'hésite pas à faire des actions de communication en mai 2022 autour de la Green Card, pour sensibiliser à la protection de l'environnement, alors même que le coût écologique de la Coupe du monde au Qatar s'annonce déjà désastreux, et que la prochaine Coupe du monde 2026 connaîtra des distances folles puisqu'elle s'étalera sur trois pays (Canada, États-Unis, Mexique), donc presque la moitié du continent américain.

Serait-ce donc aux joueurs eux-mêmes de se mobiliser pour faire évoluer la dangereuse tangente qu'est en train de prendre le football? Le poids des footballeurs et leur parole ont parfois plus d'impact que n'importe quelle organisation, mais ils font eux aussi partie d'un système qui s'empressera de les remettre à leur place s'ils prennent telle ou telle position, sachant qu'une carrière ne tient qu'à un fil.

Extrait du livre de Kévin Veyssière, « Mondial : Football Club Geopolitics - Tome 2 : 22 histoires insolites sur la Coupe du Monde de football », publié aux éditions Max Milo

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