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Coronavirus, le Shabbat planétaire : un rude choc d’infériorité
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Méditation

A la faveur du confinement, retrouver le silence et la méditation pour un salutaire retour à sa vie intérieure.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Dans l’épreuve du Coronavirus que nous traversons actuellement, on entend fréquemment cette question : « Quel est le sens de ce qui se passe ? Il faudra bien un jour qu’on en comprenne le sens ». Face à cette question, il existe trois façons de répondre. La première consiste à fuir la question en voyant là un faux problème pour lequel il n’existe aucune réponse. La seconde consiste à basculer dans la culpabilité et la terreur en voyant dans l’épidémie qui a lieu une punition du ciel ou de l’histoire pour les péchés ou les fautes que l’humanité a commis. La troisième consiste à aller au-delà de la fuite et de la culpabilité afin de vivre ce qui arrive de l’intérieur.

Dans L’évolution créatrice Bergson souligne que si l’on veut comprendre quelque chose à la nature, il  n‘y a rien de mieux que d’envisager celle-ci comme une gigantesque vie intérieure. Quand on vit les choses de l’intérieur, cherchant à vivre les choses on cherche à les sentir de tout son être. Les vivant de tout son être on les imagine, on les mémorise, on les perçoit, on les sent, on les démultiplie, on les enrichit. On les rend débordantes de vie, de créativité, d’originalité et de liberté. Dans la nature, il en va de même. Celle-ci agit exactement comme la vie intérieure. Ce qui vaut pour la nature vaut pour les épreuves que l’on traverse.

Quand on vit de l’intérieur, allant au fond de soi-même dans l’intime de soi-même afin d’être vraiment dans l’intérieur de soi, on vit le choc éprouvant qui consiste à aller ainsi dans l’intérieur. Il ne va pas de soi de passer de la vie courante à la vie intense. Cela bouscule les habitudes, le confort, l’indolence, la paresse naturelle, l’irresponsabilité. Aussi souffre-t-on en vivant ce bouleversement intérieur comme un choc douloureux. En même temps toutefois, libérant l’intime de soi-même qui n’a jamais été libéré, ce choc bouleversant n’est pas simplement douloureux. Il est salutaire. Il est aussi étonnant.

Quand on a la force de supporter la violence de l’intime mais aussi sa liberté, un dialogue se fait entre nous et l’intime de nous-mêmes. Quand ce dialogue se fait, la question d’Hamlet surgit : être ou ne pas être ? Aller dans l’intime ou ne pas y aller ? Vivre la liberté avec ce quelle peut avoir de bousculant ou régresser, revenir en arrière, oublier l’intime ?

En général, on régresse, on revient en arrière, on oublie, on laisse tomber l’intime, avant d’y revenir et de découvrir la force qu’il y a à vivre de l’intérieur, de façon sensible, vraie et libre.

Au cours de l’aventure intérieure, il n’est pas rare qu’il y ait des dérapages. Lorsque l’on remporte quelques succès intérieurs, étant étourdis par le succès on s’imagine arrivé. S’imaginant arrivé, on se croit tout permis. Se croyant tout permis, on est pris d’euphorie, d’ivresse, de fièvre, de douce folie. Il n’y a alors qu’un moyen de revenir à la réalité : laisser faire la vie intérieure.

On ne peut pas à la fois être et ne pas être, vivre et être fou. À un moment, il faut choisir. La vie choisit toujours d’être et de ne pas être folle. Quand elle fait un tel choix, elle le fait à travers un combat et un engagement absolu en vivant de façon intense, « comme une malade ». Dans cet état intense où la vie vit comme une malade, en apparence, tout est désorganisé, chaotique. En réalité, tout est désorganisé et chaotique parce que tout est en train de se réorganiser et de retrouver son ordre.

Les artistes et les créateurs qui vont dans l’intime de la vie connaissent bien ces passages un peu fous de l’existence. Les amoureux. Tous ceux qui ont affaire au succès également. Toute vie humaine rencontre à un moment ou à un autre le succès, l’ivresse et la maladie pour revenir sur terre.

Aujourd’hui, nous connaissons l’épidémie du Coronavirus. Quand on y réfléchit, il est frappant de constater le lien qu’il y a entre cette épidémie et la vie intérieure. D’abord, dans les causes.

Lorsqu’il apparaît dans les années 80 le Sida se présente comme une atteinte du système immunitaire due dans les milieux gay puis au-delà d’eux à la multiplication des rapports sexuels avec des partenaires différents. Dans l’euphorie de la libération sexuelle, les êtres humains ne se protégeant plus, ceux-ci perdent leur immunité. Avec le Coronavirus, pour des raisons différentes du Sida, on retrouve le même symptôme.  L’humanité post-moderne est une fois de plus en proie à une déficience de son système immunitaire. Elle n’a plus d’immunité. La communication est à nouveau au cœur de l’épidémie, mais pour des raisons sociales et non plus sexuelles. Trop d’échanges sociaux contribuant à la propagation du virus, la distanciation sociale apparaît comme le remède si l’on veut combattre cette propagation. À l’évidence, dès que l’humanité sort d’elle-même en multipliant les échanges  sexuels ou sociaux, dès donc qu’elle perd le sens de son intériorité ainsi que de sa vie intérieure, l’humanité postmoderne subit les maladies liées à l’hyper-communication.

Par ailleurs, il convient de s’interroger. Le virus du Corona s’appelle virus de la couronne parce qu’il ressemble à une couronne. Dans la Baghavad Gîtâ qui est l’un des plus grands livres de sagesse de l’humanité, il est rappelé que l’être humain ayant un royaume intérieur, celui-ci ne doit pas se laisser voler ce royaume. Il ne doit pas perdre sa couronne royale intérieure. Tout le yoga qui repose sur la pratique de la vigilance intérieure est l’art de ne pas se laisser voler son trône et sa couronne. Comme par hasard, lorsque l’humanité postmoderne se livre à une ivresse de communication, elle perd son immunité. Quand elle perd son immunité, elle est prise de fièvre. Quand elle est prise de fièvre, l’image du virus de cette fièvre est celle d’une couronne. Quand on décrypte cette image, on découvre derrière elle comme sens, celui de l’intériorité folle.

Cette piste de réflexion semble confirmée par le remède qui est prescrit afin de retrouver l’immunité perdue à savoir la mise à l’arrêt, la quarantaine et le confinement. Dans toutes les sagesses du monde, quand il s’agit d’accéder à la vie intérieure, le premier geste qui est proposé est celui de la mise à l’arrêt. En Orient, qu’est-ce qu’enseigne le Taoïsme pour devenir sage et ainsi devenir capable non seulement de se diriger mais de diriger les autres ? Le wu wei, le non-agir. Dans la tradition juive, qu’est-il proposé pour accéder à la divine sagesse source de toutes choses ? Tout arrêter le vendredi, jour du Shabbat,  afin de ne vivre que pour la divine sagesse. Quand Pascal constate que l’humanité devient folle à force de vivre hors d’elle-même dans un divertissement continuel, que conseille-t-il ? Que les êtres humains rentrent en eux-mêmes dans leur cellule intérieure, « tout le malheur des hommes venant de ce que ceux-ci ne savent pas vivre vingt-quatre heures seuls avec eux-mêmes dans leur chambre ».

Dans les projets transhumanistes de créer un homme nouveau hyperpuissant grâce à un corps augmenté sur quoi repose ce projet ? Sur l’idée que l’on n’arrête pas le progrès et qu’on ne doit en aucun cas l’arrêter. Aujourd’hui, que conseillent tous les médecins afin que l’on puisse arrêter le développement de la pandémie ? Que l’on arrête tout en confinant chacun chez soi.

Notre intériorité est devenue folle. Étant devenue folle, elle tue notre intériorité. Qui dit confinement dit confins. Qui dit confins dit extrémité. Si l’on veut pouvoir mettre fin à l’intériorité devenue folle, il importe que nous rentrions en nous-mêmes afin d’aller aux confins de nous-mêmes retrouver notre vie intime et avec elle le sens de notre liberté. Une fois de plus, après la question de l’immunité et celle de la couronne, sous la forme du confinement, un appel pour que nous retrouvions notre vie intérieure nous est lancé. Mieux que cela, on ne nous laisse désormais plus le choix, ce retour devenant une urgence.

Aujourd’hui, face au Corona virus, on agit et quantité d’actions remarquables  ont lieu grâce à la mobilisation exemplaire et au dévouement des professionnels de santé, de la vie économique, sociale et politique. Par ailleurs, un travail critique a commencé et va se développer afin de voir quelles erreurs ont été commises, pourquoi, comment et par qui. Toutefois, si l’on veut pouvoir vraiment agir contre l’épidémie et juger avec sagacité il va falloir que l’on comprenne que la question qui est posée est celle de la mutation planétaire vers la vie intérieure. Dans nos villes les rues s’étant vidées et un silence impressionnant s’étant installé, on a vu apparaître une mise à l’arrêt de notre quotidienneté donnant au monde l’allure d’un gigantesque Shabbat. Il s’agit là d’un fait nouveau, totalement révolutionnaire. Nous avons beaucoup pensé le progrès par le bruit et l’agitation. Un autre progrès est en train de naître à travers le silence et le calme. Ce progrès qui rend extraordinairement heureux et vivant, les sages ne cessent de l’enseigner depuis toujours. Dans notre monde, il y a de nombreux sages qui l’enseignent et qui sont prêts à l’enseigner davantage. Un moine zen vietnamien contemporain Thich Naht Hahn a montré qu’il est possible d’enseigner la plus haute sagesse qui soit de façon particulièrement originale. Lorsqu’il a été invité à s’exprimer à la tribune de l’ONU, en arrivant dans la grande salle des conférences, il s’est contenté de descendre les marches menant à son pupitre durant cinq bonnes minutes au milieu du silence de toute l’assistance. Arrivé au micro, il s’est contenté de dire « Voilà ce que j’avais à vous dire ». Subjuguée, l’assemblée entière de l’ONU s’est levée et lui a offert une standing ovation.

Le monde comme gigantesque Shabbat. Le silence de Thich Nhat hahn à l’ONU. Le confinement. Il y a là un lien à méditer pour l’ouverture des temps futurs. Affaire à suivre.

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