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Contrat de maîtrise de la dépense publique : pourquoi l’Etat ne pourra rien attendre de majeur des collectivités locales s’il ne leur donne pas les moyens juridiques et politiques de gérer leur masse salariale
©wikipédia

Finances locales

Le Premier ministre a entamé mercredi une longue visite à Toulouse où il "délocalise" à nouveau les services de Matignon. Il signera avec le maire LR Jean-Luc Moudenc le contrat "de la maîtrise de la dépense locale". L'État entend conclure des contrats avec les 322 plus importantes collectivités territoriales pour réduire leurs dépenses de 13 milliards d'euros d'ici 2022.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La mise en  place des intercommunalités a entraîné des doublons, au lieu de donner lieu à des économies  d’échelle. Entre 2008 et 2015, les  dépenses de personnel ont augmenté de 23% ; le  nombre des agents  a fait un bond de plus de quatre cents mille entre 2002 et 2013. Quels sont les moyens et les leviers sur lesquels les collectivités locales peuvent s'appuyer pour maîtriser leurs dépenses ?

Éric Verhaeghe : Pour réduire leurs dépenses, il faut évidemment que les collectivités en aient envie. C'est le premier sujet politique que nous ayons. Trop d'élus locaux ont un rapport extrêmement dilettante et arrogant vis-à-vis de la dépense publique. Pour beaucoup d'élus, l'essentiel de la politique consiste à "mener des politiques", c'est-à-dire à prendre des décisions qui leur donnent une notoriété et le sentiment d'un pouvoir sur la réalité. Ils se posent ensuite la question de l'incidence financière de leur décision. Autrement dit, les élus sont largement dépendants d'une vision d'une monde où les finances publiques sont un moyen, et pas une fin en soi. Le premier levier à mettre en action consiste donc à placer l'équilibre des finances publiques et la diminution des dépenses au coeur des préoccupations politiques locales. Dès lors que ce point est acquis, les leviers ne manquent pas pour agir. Il y a notamment celui que vous évoquez: la simplification des structures, qu'on appellerait la réduction des coûts dans le secteur privé. Dans la simplification des structures, on mettra la lutte contre les doublons, le développement des guichets uniques et le passage systématique de rabot sur les services qui sous-performent.

Les collectivités ne peuvent pas réduire les effectifs des fonctionnaires territoriaux, sauf à ne pas remplacer les départs. Comment l'Etat pourrait-il leur permettre une évolution dans ce domaine?

Je pense, si vous me le permettez, que vous commettez une confusion ou une erreur. Le statut de la fonction publique territoriale permet de supprimer des emplois. Autrement dit, s'il est difficile de licencier un fonctionnaire pour des raisons économiques, il est toujours possible de supprimer son emploi. Il incombe alors à la collectivité de lui proposer une solution de sortie. C'est l'objet même de l'article 96 du statut. Mais le fait que vous ne le releviez pas illustre bien le problème qui se pose. En réalité, le statut de la fonction publique est beaucoup plus souple qu'on ne le croit ou qu'on ne le répète. Il offre de vraies marges de manoeuvre. Le problème, ce sont les managers publics, et les élus qui ont rarement le courage d'assumer ces dispositions et de prendre les mesures qui vont bien pour diminuer les dépenses. En matière de personnel, on comprend le problème: souvent, les élus sont à la te^te d'équipes dont ils connaissent chaque membre. Leur annoncer des déplacements ou des mutations d'office n'est pas toujours simple. Quand vous devez expliquer à un fonctionnaire que vous connaissez et qui vote probablement pour vous que vous supprimez son emploi et que vous lui proposez une reclassement à cinquante kilomètres de chez lui, vous ne vous rendez pas très populaire... Surtout s'il sait sur vous des choses gênantes, par exemple des petits compromis avec les règles, ou des petites manies qui pourraient vous porter préjudice si elles étaient connues.

Comment ce contrat de "maîtrise de la dépense publique" peut-il s'appliquer dans les départements, qui ont déjà des difficultés à assurer leur rôle dans l'aide sociale ?

Ils peuvent s'appliquer dans les départements comme ils s'appliqueraient dans une entreprise. D'abord en mettant à plat toutes les dépenses pour bien les comprendre. S'agissant des départements et des politiques sociales, des économies pourraient être facilement et sans douleur réalisées par une simple reprise en main des services. Je me souviens d'avoir passé quelques jours, à une époque, dans des équipes sociales d'un département. Il suffisait d'y faire la somme de l'absentéisme des travailleurs sociaux pour mesurer la perte colossale de denier public. Cet absentéisme était producteur de pertes en cascade: dossiers de demandes d'aide mal ficelés, familles demandeuses mal évaluées, et donc forcément pertes, fraudes, mais aussi dérives sociales de certaines familles qui grossissent tôt ou tard les rangs de la délinquance. Quand vous avez, dans une famille, des soupçons répétés d'inceste et que le travailleur social affecté au secteur est absent pour dépression depuis 6 mois, vous mesurez les dégâts que ce genre de "trou dans la raquette" produit dix ou quinze ans plus tard dans le destin de l'enfant victime qui n'est pas correctement pris en charge. La recommandation à faire dans ce genre de choses, c'est le développement de la culture managériale dans les départements, c'est-à-dire la capacité à dégager de la performance dans les services.

Réduire les investissements est certes un levier important pour maîtriser leurs dépenses, mais est-ce vraiment souhaitable ?

La notion d'investissement recouvre tout et n'importe quoi. S'il s'agit d'investissements qui activent la dépense publique (par exemple une mise au bon gabarit d'un pont, d'une route, d'un canal, pour permettre l'augmentation des tonnages qui passent), il faut à tout prix les maintenir. Ils sont en effet ce que Keynes appellent le multiplicateur d'investissements, c'est-à-dire des investissements collectifs qui encourageront les acteurs privés à investir à leur tour. Ils ont une action positive sur la croissance économique générale. En revanche, certains investissements sont en réalité des diviseurs d'investissements. Ils pèsent sur le niveau de vie par la pression fiscale qu'ils causent, et ils n'encouragent personne, ou alors seulement très peu de gens, à investir. On prendra l'exemple de la piétonisation des voies sur berge à Paris, qui bouche complètement la circulation dans les artères du centre, augmente de ce fait la pollution, et appauvrit globalement l'Ile-de-France en freinant les communications. Ces investissements-là doivent être débusqués et arrêtés immédiatement. 

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