Conseil national de l’UDI : ce qui se passe vraiment dans la tête des électeurs centristes par ces durs temps dans le Doubs<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans le Doubs, l'UDI a appelé à voter pour le candidat socialiste.
Dans le Doubs, l'UDI a appelé à voter pour le candidat socialiste.
©Google Maps

Décentrés

Sur fond de conseil national et d'élection législative partielle dans le Doubs, où le parti centriste a appelé à voter pour le candidat socialiste, l'UDI apparaît en pleine crise identitaire. Et si ses électeurs n'étaient pas si au centre qu'on le pense ? La tentation des idées de droite n'est en tous cas jamais bien loin.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Un sondage d'octobre 2014 montre que seulement 58% des sympathisants de l'UDI s'estiment au centre. Et quand on leur demande s'il y a trop d'immigrés en France, ils répondent favorablement à 73%. A-t-on une image erronée de ce qu'est un électeur centriste ?

Jean Petaux : Dans le sondage IFOP auquel vous faites référence il apparaît que seulement 12% des Français en octobre 2014 se situent eux-mêmes au centre quand 28% se placent « ni à droite, ni à gauche ». Ces deux chiffres sont très intéressants parce qu’ils tendent à montrer que se dire « centriste » n’est pas « tendance » ou peut apparaître comme dévalorisant. Une des constantes que l’on mesure dans tous les sondages c’est que les personnes interrogées répugnent à se disqualifier à travers leurs réponses. Dans ce sens-là, près de 30% des personnes interrogées représentant les Français, préfèrent se déclarer « ailleurs » (« ni de droite, ni de gauche ») que « centristes ». C’est à noter.

Le second sondage auquel vous faites référence (septembre 2013) montre de grandes différences entre les sympathisants MODEM, UDI et UMP sur des thématiques « sociétales ». Par exemple sur la question du mariage homosexuel et sur l’adoption d’enfants par ces mêmes couples 52% des personnes qui se disent proches du MODEM sont favorables à cette proposition pour seulement 41% de sympathisants UDI et seulement 27% de l’UMP. Sur les immigrés, item que vous citez (« Il y a trop d’immigrés en France »), la hiérarchie dans les réponses est la même, mais inversée, ce qui somme toute correspond à une certaine logique : 56% des proches du MODEM adhèrent à cette proposition, 73% des proches de l’UDI et 87% des sympathisants de l’UMP. On mesure clairement qu’il faut bien distinguer entre les uns et les autres, parmi ceux qu’on nomme communément (et imprécisément) « les centristes ». C’est sans doute la raison pour laquelle la vision généralement partagée des « centristes » est faussée et surtout exagérément consensuelle. Comme si « le » « centriste » était une sorte de « Normand » pratiquant une forme du « ninisme » bien connue : « le ni oui, ni non ». De fait cette image-là est bien un stéréotype, aussi inepte que le Normand pratiquant le « p’tet ben qu’oui, p’tet ben qu’non »…

Qu'est ce qui les différencie des électeurs de droite ? 

Je viens, pour partie, à travers les deux exemples que j’ai cités, de répondre, par l’illustration, à cette question. Deux autres items étaient également présentés au jugement des sympathisants des forces composant le centre et la droite républicaine dans ce même sondage réalisé en septembre 2013. Le premier concernait la question de la sécurité. La proposition formulée était celle-ci : « On se sent en sécurité nulle part ». Une fois encore on retrouve la distribution des opinions dans le même ordre sur un axe allant de la non-adhésion à la pleine adhésion à cette affirmation. Les proches du MODEM n’adhéraient qu’à 40% à cette phrase traduisant un sentiment fort d’insécurité. A l’opposé les sympathisants de l’UMP se sentaient franchement en danger : 73% d’accord avec la phrase proposée et ceux de l’UDI étaient encore au « centre » entre ces deux groupes (le MODEM et l’UMP) : 58% .

Second item proposé : « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient bien ». 46% des proches du MODEM sont d’accord avec cette phrase ; 55% des proches de l’UDI et 71% des proches de l’UMP.

Sur l’ensemble des quatre propositions citées ici : l’une sur les chômeurs qui ne cherchent pas de travail, l’autre sur le mariage de personnes du même sexe , une troisième sur l’insécurité généralisée et la dernière sur la présence excessive des immigrés, il est manifeste que les sympathisants de l’UDI sont toujours « au milieu » du groupe des sympathisants du MODEM et de ceux de l’UMP en termes d’adhésion aux propositions telles qu’elles sont formulées. Et, à chaque fois, on constate que les proches du MODEM sont entre 20% et 25% moins nombreux que les sympathisants de l’UMP. Je dirais donc que les sympathisants centristes se distinguent entre eux par une sensibilité variable aux thématiques sociétales quand ils sont, très majoritairement, d’accord, MODEM et UDI confondus, pour réduire la part d’intervention de l’Etat dans la vie des entreprises. Ce sont bien, au sens originel de l’expression, des « libéraux économiques » alors que sur les questions de mœurs ou sur le problème du rapport à l’étranger ils se divisent entre plus ou moins « libertariens » (pour faire référence à une catégorie plus connue aux USA – dont le chef de file est Rand Paul – qu’en France bien sûr).

Les élus centristes n'ont-ils pas tendance à éviter ce genre de sujets sensibles, comme la question de l'islam, qui intéresse pourtant leurs électeurs ? Y a-t-il un décalage entre les électeurs et les dirigeants du centre ?

Vous avez parfaitement raison. Mais ce n’est pas une situation nouvelle. Sous la IVème République où les centristes « Radicaux-socialistes » devaient constamment constituer des alliances avec les centristes « Chrétiens-démocrates » du Mouvement Républicain Populaire et les centristes « opportunistes » de l’UDSR (Union des Démocrates Socialistes de la Résistance) eux-mêmes divisés entre une fraction de droite (René Pleven) et une fraction « de gauche » (François Mitterrand), il y avait un souci permanent de ne pas aborder les « sujets qui fâchent »… A l’époque il s’agissait de la « question scolaire », de la « question coloniale » avec sa déclinaison encore plus complexe après le 1er novembre 1954, la « question algérienne ». On peut ajouter à cela la « question européenne » et son corollaire, la « question atlantiste »… Bref, les « pommes de discorde » ne manquaient pas. D’où une instabilité politique chronique et permanente mais aussi une capacité très supérieure à la moyenne à glisser « la poussière – de la division - sous le tapis » pour ne pas avoir à en subir les effets néfastes. En conséquence de quoi les électeurs qui se reconnaissaient dans toutes ces formations, si proches les unes des autres, mais pour autant tellement capables de s’entredéchirer assistaient impuissants à une « guerre des chefs » à laquelle ils ne comprenaient la plupart du temps absolument rien d’autant que l’issue de ces luttes intestines était toujours la même : après trois ou quatre semaines de crise gouvernementale « on prenait les mêmes et on recommençait ». La seule chose qui changeait était celle de l’attribution des portefeuilles ministériels.

Ce qui se passe aujourd’hui avec une thématique aussi importante que celle de la situation de la religion musulmane (deuxième de France en termes de fidèles) relève de la même logique. Les cadres politiques des partis centristes ont tendance à ne pas aborder la question frontalement. Sont-ils les seuls dans ce cas-là ? Il est permis d'en douter. En observant une telle attitude il est incontestable qu’ils creusent le fossé existant entre eux et leurs électeurs. Les dirigeants centristes apparaissent de plus en plus souvent comme « hors-sol », ignorants des réalités sociales. Mais, dans le même temps, peut-on reprocher à des élus de ne pas chercher à « surévaluer » tel ou tel trait sociétal ? Ne peut-on pas, au contraire, saluer leur responsabilité ? J’aurais tendance (sans doute par excès d’optimisme) à considérer que les cadres dirigeants des formations politiques centristes (avec toutes les nuances qui les distinguent entre elles et leur diversité évoquée précédemment) se caractérisent par un esprit de mesure supérieur à ce que l’on trouve chez d’autres leaders politiques. En d’autres termes là où l’on rencontre pas mal de « pompiers pyromanes » qui ont tendance à jeter de l’huile sur le feu à des fins d’hystérisation de la vie politique (exemple : le Nicolas Sarkozy de 2012… et plus tout à fait celui de 2014 qui semble plus qu’amorti…), les dirigeants des formations centristes sont plutôt des « anesthésistes »… ou si l’on veut rester dans la « métaphore incendiaire » : des « marins pompiers ».

L'électorat centriste n'est-il pas plus courageux que ceux qu'il soutient ? Y-a-t-il un risque de malentendu ?

Raisonner en termes de « courageux » (ou de « lâches » ou « couards », deux antonymes au mot « courageux ») ne permet guère de comprendre le décalage existant entre ce que mesurent les sondages en termes de  valeurs partagées  par les électeurs centristes et le discours et les actes des leaders de cette même sensibilité politique. Parler de « courage » c’est introduire une qualité morale là où elle n’a rien à faire puisqu’il est question ici de comportements et d’attitudes politiques. En revanche ce que l’on peut dire pour être plus rigoureux dans le choix des termes et sans que cela remette en cause le risque potentiel de malentendu, c’est que l’électorat centriste est sans doute plus clivé dans ses options et dans ses préoccupations que les cadres dirigeants, quant à eux plus consensuels et plus mesurés. Et de fait, dans ce type de situation, la probabilité d’une fracture entre « base » et « sommet » est croissante au fur et à mesure que les thématiques « fracturantes » en somme sont de plus en plus prégnantes dans l’agenda politique.

C’est le cas de la question de l’Islam dans la société française actuelle, bien entendu. Comme ce fut le cas de la question algérienne entre 1955 et 1962.. et même ensuite. Une partie de l’électorat centriste a rejoint l’OAS (le groupe armé clandestin hyper-violent partisan de l’Algérie française). Ce fut même le cas d’un des leaders du MRP et non des moindres puisqu’il avait été le successeur de Jean Moulin à la tête du Conseil National de la Résistance (CNR), Georges Bidault, qui va vivre hors de France de 1962 à 1967 après que son immunité parlementaire lui eût été retirée en 1962 pour activités subversives. Mais en dehors du cas Bidault, les autres grandes figures centristes vont se rallier au général de Gaulle en 1958 et encore le soutenir jusqu’en mars 1962. Elles ne vont rompre avec lui que sur la question de la révision constitutionnelle d’octobre 1962. Entre temps, une part non négligeable des militants chrétiens-démocrates mais surtout radicaux-socialistes sera venue grossir les rangs des « Indépendants » à la droite du gaullisme, plus nettement encore ceux de « l’Alliance républicaine » incarnée par Jean-Louis Tixier-Vignancourt, l’avocat d’extrême-droite bien connu qui se présentera contre le général de Gaulle à la présidentielle de novembre 1965.

Cet écart entre le discours des dirigeants et les attentes des sympathisants peut-il expliquer la difficulté du centre à s'imposer comme une force électorale ?

Sans doute. Mais ce n’est pas la principale raison. Celle-ci tient plus au mode de scrutin électoral (en particulier pour l’élection des députés, mais on peut dire la même chose des futurs conseillers départementaux). Le scrutin « uninominal, d’arrondissement, majoritaire à deux tours » (« binominal » pour les conseillers départementaux, les 22 et 29 mars prochains) favorise la bipolarisation et tend à écraser les candidats non-affiliés aux grandes formations majoritaires à droite ou à gauche. Pour l’élection présidentielle le fait que le second tour soit encore plus « binaire » puisque seuls les deux candidats arrivés en tête au soir du premier tour peuvent se maintenir accentue encore cette exclusion mécanique du centre. La seule exception constatée a été celle de 1969 avec la (courte) victoire de Poher sur Duclos qui a autorisé le premier à affronter Pompidou au second tour de cette présidentielle.

Cette bipolarisation structurelle et électorale est, à mon sens, la principale raison du « nanisme partisan chronique » dans lequel se situent toujours les formations centristes sous la Vème République. Si vous ajoutez à cette explication exogène au centre, un élément totalement endogène celui-là et qui peut se résumer dans la formule suivante : « Deux dirigeants centristes = trois opinions » ou, à tout le moins, « une même ambition : conquérir le même siège », vous comprenez immédiatement que la « quadrature du centre » en France, n’est pas un mince problème de géométrie électorale…

La vraie différence n'est-elle pas sur la forme plutôt que sur le fond ? Le centre serait plus dans une politique apaisée, du consensus ?

C’est tout à fait ce que j’ai indiqué précédemment. Avec cette nuance à retenir sans doute : ce constat vaudrait plus pour les cadres dirigeants que pour les électeurs comme l’ont montré les chiffres des sondages que j’ai cités dans mes premières réponses. Mais, pour autant, cette mesure (cette « tempérance » centriste) ou si l’on veut faire référence à l’antiquité grecque, ce sens du « médiété », demeure incontestablement un trait dominant du « caryotype politique » centriste. De la base au sommet.

Les centristes ne sont pas sectaires. Cela ne signifient pas qu’ils soient totalement étrangers aux luttes d’appareil, aux querelles personnelles, aux cabales et à l’ostracisme… Bien au contraire. Mais tous ces éléments de la vie politique qui font le sel de l’engagement partisan se déroulent sans outrances.  Autrement dit : « tous les coups sont permis, au centre comme ailleurs en politique, mais il convient d’y mettre les formes »…

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