Mais qui assiste à Bilderberg, ce mystérieux rendez-vous de l'oligarchie dirigeante mondiale ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Mais qui assiste à Bilderberg, ce mystérieux rendez-vous de l'oligarchie dirigeante mondiale ?
©

Circus politicus

"Circus politicus" de Christophe Deloire et Christophe Dubois révèle les dessous d’un véritable « putsch démocratique », une tentative de neutralisation du suffrage universel par une superclasse qui oriente la décision publique. La « conférence Bilderberg » en est un exemple. Extraits (2/2)

Christophe Deloire et Christophe Dubois

Christophe Deloire et Christophe Dubois

Christophe Deloire est directeur du Centre de formation des journalistes (CFJ), ancien journaliste d’investigation au Point. 

Christophe Dubois est grand reporter pour l’émission 7 à 8 sur TF1.

 

Voir la bio »

A lire aussi :

- L'interview de l'un des auteurs Christophe Deloire :
Ces hommes de l'ombre qui détiennent vraiment le pouvoir en Europe

- Un autre extrait du livre "Circus politicus" :
Proches, si proches... Les liens secrets entre la CIA et les pères fondateurs de l'Europe Schuman et Monnet

Ce 9 juin 2011, l’hôtel de luxe s’est transformé en camp retranché. La raison ? Pendant trois jours, une délégation de l’élite mondiale – hommes et femmes politiques, patrons de multinationales, banquiers… – se réunit ici pour deviser sur les grands problèmes de la planète. Une sorte de Siècle à l’échelle du monde et à la puissance dix. Ce rassemblement d’une centaine de décideurs VIP, totalement méconnu du grand public, existe depuis 1954. Il s’appelle la « conférence Bilderberg », du nom de l’hôtel où les fondateurs se sont réunis pour la première fois aux Pays-Bas. Le lieu des festivités n’est jamais connu à l’avance, et les débats ne sont rendus publics pour rien au monde. La liste des invités n’est communiquée qu’après coup, et encore, depuis seulement quatre ans. Car, officiellement, il s’agit d’une réunion « privée ». Tiens, comme au Siècle justement.

Le rite est immuable. Les invités arrivent le jeudi en fin d’après-midi avant d’entamer trois jours de conférence. Cette année-là, ils atterrissent en jets privés sur le petit aéroport de Samedan, situé à trois kilomètres de Saint-Moritz, puis sont acheminés en limousines vers l’hôtel Suvretta, où des policiers en uniforme leur dégagent le passage. (…)

À l’intérieur de l’hôtel, sur le parquet ciré du bar, monarques et ministres croisent les pas de quelques figures incontournables du pouvoir européen. Familier du Bilderberg, le président du Conseil Herman Van Rompuy s’est fait excuser, mais il est représenté par son bras droit et chef de cabinet, Frans Van Daele. Deux vice-présidents de la Commission, Joaquín Almunia, chargé de la Concurrence, et Neelie Kroes, chargée de l’Agenda numérique, ont répondu présent. Au club Suvretta, où ronronne une imposante cheminée, ils peuvent bavarder avec les anciens de la maison européenne : Pascal Lamy (toujours lui !), le Britannique Peter Mandelson (ancien commissaire au Commerce), l’Italien Mario Monti (pas encore président du Conseil italien) ou l’Irlandais Peter Sutherland (ancien commissaire à la Concurrence comme Monti d’ailleurs). Il est à noter que Sutherland fut le prédécesseur de Pascal Lamy à l’OMC.

Si une photo de famille avait été prise comme au G20, le président de la BCE Jean-Claude Trichet aurait pu poser au bras du moustachu Robert Zoellick, président américain de la Banque mondiale. Les boss des grandes banques privées du monde auraient souri à l’objectif, car ils ont dégagé les trois jours nécessaires pour respirer l’air des montagnes suisses : Peter Orszag (Citigroup), Marcus Agius (Barclays), Douglas J. Flint (HSBC), Kenneth Jacobs (Lazard), Joseph Ackerman (Deutsche Bank). Ce dernier est influent au-delà de sa banque. Président de l’Institut de la finance internationale, le lobby représentatif des plus grandes banques du monde, il négociera avec Merkel et Sarkozy la réduction de la dette grecque en octobre 2011.

La liste n’est pas exhaustive… Hormis les banquiers, Bilderberg accueille aussi quelques businessmen influents : Eric Schmidt (Google), Jeff Bezos (Amazon), Craig Mundie (Microsoft), Chris Hughes (Facebook), George David (Coca-Cola), John Elkann (Fiat), Thomas Enders (Airbus), ou John Kerr (Royal Dutch Shell) ont fait le voyage jusqu’à ce petit coin paisible de Suisse.

Mais au fait, de quoi se parlent-ils ? Selon le communiqué de presse de Bilderberg, les thèmes définis en 2011 n’étaient pas bouleversants : « Défi pour la croissance : innovation et discipline budgétaire », « L’euro et les défis pour l’Union européenne », « Les réseaux sociaux : connectivité et questions de sécurité »… Impossible d’en savoir plus, pour l’instant. Mais interrogeons Pascal Lamy, qui fréquente assidument le Bilderberg, sur ces curieuses fréquentations. Rien que de très banal, selon lui.

« Les conférences Bilderberg sont des séminaires, explique-t-il sur le ton serein de celui qui n’a rien à cacher. Je fais quinze séminaires par an, à Évian, Salzbourg, Aspen, Montréal, Washington, Shanghai ou Djakarta. Si j’assiste à une table ronde sur la cybersécurité, en écoutant un général américain, anglais ou russe en charge de ces dossiers, je ne perds pas mon temps.

– Mais n’y a-t-il pas un risque d’imprégnation idéologique ? » lui demandons-nous.

Lamy fronce les sourcils, comme si on lui servait la thèse complotiste du « gouvernement mondial ». Ce n’est pas ce qu’on a dit. Donc on formule la question autrement : « Ces conférences où l’on passe son temps à deviser savamment avec des patrons, des banquiers, ne finissent-elles pas par orienter les conceptions que l’on a de l’économie ?, insistons-nous. C’est une évidence sociologique, répond-il d’un ton paisible. Si on passe du temps dans un milieu, on finit par en adopter les codes et les croyances, qu’il s’agisse d’ouvriers ou de patrons[1]. »

Si les dirigeants politiques passent plus de temps à deviser avec des patrons dans des clubs huppés qu’au bistrot à fréquenter leurs électeurs, cela oriente incontestablement leur vision du monde. « Je passe 50 % de mon temps sur le terrain, à aller voir le port de Mombasa ou de Libreville », argumente Lamy, soucieux de montrer qu’il reste au contact du monde réel. Mais finalement il ne conteste pas l’existence d’une classe dominante. « La dérive oligarchique, bien entendu qu’il y a un risque. L’oligarchie, il y en a partout. Et notamment en France. C’est la matrice de l’ENA. »

On ne dira pas le contraire. Au fait : cela a-t-il des conséquences sur la façon dont nous sommes gouvernés ?

------------------------------------------------------------------

Extraits de Circus politicus, Editions Albin Michel (1 février 2012)





[1] Entretien avec Pascal Lamy, 30 septembre 2011.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !