Compte pénibilité : gouvernement, syndicats, patrons... comment chacun y est allé de ses mensonges<!-- --> | Atlantico.fr
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Compte pénibilité : tout le monde ment.
Compte pénibilité : tout le monde ment.
©Reuters

Pinocchio

Le compte pénibilité qui sera créé dès 2015 cristallise le mécontentement des entrepreneurs, las des mensonges proférés sur le sujet.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le compte pénibilité continue de cristalliser ce qui agace le plus les entrepreneurs: le sentiment que la parole officielle (du gouvernement comme des syndicats patronaux) est coupée de la réalité. Je me suis amusé ce matin à faire le point des petits mensonges sur le sujet.

Thierry Mandin parle de ce qu’il ne connaît pas

Ce matin, sur France Inter, Thierry Mandon, le sous-ministre de la simplification administrative, est venu expliquer aux Français que tous les pays européens avaient mis en place un système de pénibilité… pourquoi la France n’y parviendrait-elle pas?

Voilà un joli mensonge, ou alors une phrase échappée de la bouche de quelqu’un qui connaît mal ses dossiers. Beaucoup de pays de l’OCDE abaissent l’âge de départ à la retraite de certaines professions. La France l’avait fait aussi avec le régime spécial de la RATP, de la SNCF, des mineurs. Elle y a renoncé ces dernières années pour tenir compte de la réalité de ces métiers. Du coup, la France réinvente un système de régime spécial, mais en comptabilisant la pénibilité poste par poste. Une vraie usine à gaz que personne ne nous enviera jamais.

Une fois de plus, un sous-ministre nous montre toute la différence entre un responsable qui connaît ses dossiers et un responsable qui se contente de parcourir sa revue de presse chaque matin pour suivre les affaires.

Marisol Touraine à côté de la plaque

De son côté, la ministre en charge du dossier, Marisol Touraine, dont la méconnaissance des dossiers et l’absurdité des choix sont de notoriété publique, a encore proféré un certain nombre de contre-vérités sur le sujet:

Le compte pénibilité sera simple d’utilisation pour les patrons et ne nécessitera qu’un «clic» une fois par an, a défendu jeudi la ministre de la Santé, Marisol Touraine, alors que le patronat s’élève contre la mise en place du dispositif. «Nous avons discuté avec eux», les chefs d’entreprises, «il y a eu une concertation qui a abouti à la définition de la manière dont les choses allaient se mettre en place. En quoi ça va être compliqué?», a déclaré Marisol Touraine sur RTL.

«Il y aura une déclaration annuelle qui va consister à faire un clic, à dire oui ou non, un clic», a-t-elle assuré. «On ne me fera pas croire que cocher une case sur le bulletin de paye une fois par an pour dire si oui ou non ces personnes sont concernées par les critères de pénibilité, c’est un travail extrêmement difficile et très complexe», a fait valoir Marisol Touraine, défendant la mesure phare de sa réforme des retraites, promulguée en janvier dernier.

La concertation à la mode Touraine? Il faudra un jour publier les témoignages de ceux qui ont été concertés… Rappelons là encore que, dans l’affaire récente des contrats responsables, Marisol Touraine a promulgué un décret MALGRE l’opposition de tous les organes consultatifs. C’est fou comme la langue de bois résiste à tous les traitements – même aux naufrages électoraux.

A quoi va ressembler le compte pénibilité

Pour mesurer les mensonges ministériels, il suffit de se reporter au site officiel mis en place sur la pénibilité. Voici ce qu’on y lit:

Dès 2015, vous avez l’obligation d’évaluer l’exposition de vos salariés aux 4 facteurs de risques en vigueur (travail de nuit, en équipes successives alternantes, répétitif ou en milieu hyperbare).

Cette évaluation s’inscrit dans une démarche globale : le document unique d’évaluation des risques vous sert de repère pour l’appréciation des conditions de travail de chaque salarié ; par ailleurs, vous pourrez vous appuyer sur les accords collectifs de branche ou les référentiels de branche ainsi que des guides et documents qui seront établis par les institutions et organismes de prévention.

Au regard des informations déterminées et répertoriées dans la fiche de prévention, vous devez déclarer l’exposition de vos salariés via votre déclaration annuelle de données sociales (DADS) ou pour la MSA via la déclaration trimestrielle des salaires (DTS) ou viale titre emploi simplifié agricole (TESA). Vous devez ainsi préciser si vos salariés sont exposés à un ou plusieurs facteurs.

Qu’en termes pudiques ces choses-là sont dites. A simple lecture de ces quelques lignes, on pourrait penser qu’effectivement la déclaration se fait une fois par an, donc… qu’un clic suffit.

Il faut pousser un peu pour comprendre ce que cela recouvre. En effet, Marisol Touraine oublie de dire que la pénibilité se mesure par un nombre d’heures annuelles et parfois quotidiennes d’exposition au risque. Par exemple, dans le cas de l’exposition au froid, il ne faut pas que le salarié soit exposé plus de 3h55 par jour à des températures extrêmes. L’employeur sera donc bien contraint d’établir une comptabilité quotidienne des heures d’exposition au risque, que le salarié pourra corriger à tout moment…

Voici le tableau officiel de la pénibilité:

Autrement dit, la déclaration sera annuelle, mais la comptabilité sera quotidienne. Une nuance que Marisol Touraine comprendrait si elle avait étudié son dossier.

La mauvaise foi patronale

Face à ces mensonges gouvernementaux, la réplique patronale n’est pas plus brillante, et donne paradoxalement raison à Marisol Touraine qui soutient que le sujet du MEDEF comme de la CGPME est de refuser la prise en compte de la pénibilité en elle-même.

Rappelons en effet qu’en 2003, lorsque François Fillon avait réformé les retraites en allongeant la durée de cotisation, la loi avait prévu une négociation interprofessionnelle sur la pénibilité. Les syndicats patronaux ont à cette époque tout fait pour torpiller la négociation, qui s’est d’ailleurs officiellement achevée sur un constat de désaccord en 2008.

Cette stratégie de la forteresse assiégée a évidemment son prix: la CFDT a profité du changement de majorité pour troquer sa signature sur la réforme Touraine contre la mise en place autoritaire d’un système de pénibilité.

Les principaux responsables de ce désastre sont ceux qui faisaient le MEDEF et la CGPME entre 2003 et 2008: ils sont encore largement présents dans les instances actuelles…

Le débat discret sur le burn-out

La presse vient de se répandre largement sur la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle. Le burn out touche majoritairement les cadres, notamment dans le secteur tertiaire.

Le burn out est un vrai sujet. Mais, avec la mise en place du compte pénibilité, on voit bien quelle boîte de Pandore s’est ouverte: bientôt, les employeurs devront aussi comptabiliser les heures de stress des cadres, les heures passées devant un écran, les heures passées au téléphone, etc.

Dans quelques années, les entreprises passeront plus de temps à comptabiliser les heures de travail qu’à travailler.

Cette situation est d’ailleurs paradoxale: comment inciter à recruter, quand tout est fait pour privilégier l’automatisation des tâches. La pénibilité participe de cette désincitation au travail…

Pour un système à l’allemande

L’Allemagne a abandonné son système ancien de reconnaissance de la pénibilité, pour mettre l’action sur la prévention. Tout faire pour limiter effectivement la pénibilité, plutôt que l’indemniser…

Je vais radoter, mais ce qui est rageant pour les entrepreneurs est de devoir passer du temps à faire des choses nouvelles et absurdes, quand tout le monde nous bassine sur la simplification et bla bla bla.

Le système de pénibilité qui se met en place en 2015 n’est pas seulement chronophage, alors qu’on manque de temps. Il est nuisible: il permettra aux salariés qui font des tâches pénibles de partir plus tôt à la retraite. Il sera donc incitatif. Il permettra aux employeurs de se dédouaner de toute responsabilité en matière de prévention, puisqu’ils paieront une cotisation supplémentaire, non liée à leur investissement en matière de prévention des risques.

Bref… tout est fait pour alourdir le coût de la pénibilité et pour pénaliser les entreprises, au nom de la bonne santé des salariés et de l’incitation à entreprendre.

Ce pays marche sur la tête.

Article initialement publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

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