Comment les progrès fulgurants des voitures électriques menacent la planète pétrole<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Comment les progrès fulgurants des voitures électriques menacent la planète pétrole
©Reuters

Eau dans le gaz

Malgré l'accélération des niveaux de production de voitures électriques et la baisse du prix des batteries ces derniers mois, le secteur pétrolier n'a pas encore trop de soucis à se faire, du moins à moyen terme. A long terme, en revanche, la situation pourrait être toute autre...

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

Voir la bio »

Atlantico : Selon Bloomberg, au cours de ces derniers mois, le prix des batteries a chuté de 35%, une tendance qui laisse à penser que les véhicules électriques pourront concurrencer les véhicules à essence d’ici six ans. Ainsi, toujours selon Bloomberg, les véhicules électriques pourraient représenter 35% des ventes de véhicules neufs en 2040. Dans le cas où une telle hypothèse se produirait, quelles en seraient les conséquences pour le prix du pétrole et le secteur pétrolier en général ?

Stephan Silvestre : Il faut tout d’abord relativiser ce chiffre. Pour l’obtenir, les analystes de Bloomberg ont appliqué des taux de croissance importants, observés notamment chez Tesla, par rapport au marché actuel (environ 1% du marché automobile). Or ce calcul est un peu brutal : si ce scénario est réalisable dans les grandes villes, surtout occidentales, il n’est pas généralisable partout. Les zones rurales des pays en développement, où le réseau électrique est peu fiable, voire inexistant, ne passeront pas aux véhicules électriques, même à prix d’achat égal. De plus, le carburant y est nettement moins onéreux qu’en Occident et le restera encore longtemps. Enfin, le marché des carburants adresse l’ensemble du parc mondial de véhicules, existants comme nouveaux ; il est peu probable que le nombre cumulé de véhicules électriques dépasse 5% de ce parc en 2040, sans compter les autres flottes (camions, avions, trains, bateaux) qui ne seront pas encore passées à l’électrique. C’est pourquoi l’Opep ne s’affole pas, en tout cas pour le moyen terme. À long terme, on peut, bien sûr, présager un impact sur la demande en pétrole, et donc son prix. Actuellement, la demande est toujours orientée à la hausse, sous l’impulsion des pays en développement qui s’équipent progressivement. Il est difficile d’estimer à quel moment la substitution des véhicules thermiques par des électriques sera plus importante que la croissance de la demande des émergents, mais il faudra probablement quelques décennies. D’ici là, les compagnies pétrolières auront le temps de s’adapter. Certaines, comme Total avec Saft, ont déjà investi dans le secteur électrique. 

À l’inverse, quels seraient les avantages réels procurés par un tel bouleversement ? 

Ils seraient de plusieurs ordres. Tout d’abord, une grande partie des technologies relatives aux véhicules électriques sont développées dans les pays occidentaux, ainsi qu’au Japon et en Chine. Le développement de ce marché sera donc bénéfique à l’industrie occidentale, donc créateur d’emplois. À condition, cependant, que les industriels misent sur les bonnes technologies. Il existe plusieurs technologies en concurrence, et toutes ne connaîtront pas la même fortune, sans compter celles qui ne manqueront pas d’émerger.

Ensuite, il y a la forte baisse des coûts de fabrication des batteries électriques consécutive à l’augmentation de la production de véhicules. Cette baisse bénéficiera aussi à d’autres secteurs, notamment la production d’électricité à base de sources intermittentes, qui a besoin de solutions de stockage capacitives et bon marché. Ce double effet aidera les pays les plus fortement émetteurs de gaz à effet de serre à atteindre leurs objectifs de baisse de leurs émissions.

Enfin, la baisse de la consommation de pétrole engendrera aussi un tarissement des flux financiers vers des pays qui font de cette manne un usage néfaste, par le financement d’organisations terroristes ou de mouvements de guérilla violents. Bien sûr, il ne faut pas souhaiter un effondrement économique pur et simple de ces pays car l’instabilité qui en résulterait ne ferait qu’amplifier le chaos. Mais la perspective d’une diminution de leurs rentes pétrolières devrait les obliger à restructurer leurs économies pour qu’elles soient davantage tournées vers l’investissement productif plutôt que vers la dilapidation des pétrodollars dans des causes discutables. En tout cas, c’est ce que l’on peut espérer. 

Si l'on considère les pays producteurs de pétrole, quelles pourraient être les conséquences de cette situation pour eux ? Seraient-ils capables d'y faire face ? 

Bien entendu, la première conséquence néfaste serait une pression baissière sur le prix du pétrole, donc une baisse de revenus. La plupart des pays producteurs sont bien conscients de ce risque, mais celui-ci reste encore assez futuriste. D’une part, parce que la demande mondiale est toujours à la hausse et, d’autre part, parce qu’ils espèrent toujours maintenir leurs parts de marché, voire les augmenter si possible. Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne. Certains ont des économies déjà très diversifiées et ne sont pas exposés à ce risque : c’est le cas des États-Unis, de la Chine, du Canada ou du Mexique. D’autres se sont déjà engagés sur la voie de la diversification ou sont en mesure de la faire : la Russie, la Norvège, les Émirats arabes unis ou le Brésil. L’Arabie saoudite et l’Iran en auraient probablement la capacité, mais préfèrent profiter de la rente pétrolière le plus longtemps possible. D’autres encore, comme l’Algérie ou le Nigéria, auront beaucoup de mal à changer de modèle, bien qu’ils en aient la volonté. Enfin, il y a ceux qui sont très dépendants de la rente et pas du tout préparés, comme l’Irak, le Venezuela, l’Angola ou le Kazakhstan. Ceux-là n’ont certainement pas fini de manger leur pain noir. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !