Comment les objets connectés vont bouleverser votre vie sexuelle<!-- --> | Atlantico.fr
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La sexualité revêt plusieurs formes aujourd'hui, avec par exemple les "sextos", le poids de l'image à travers le porno illimité sur internet.
La sexualité revêt plusieurs formes aujourd'hui, avec par exemple les "sextos", le poids de l'image à travers le porno illimité sur internet.
©Reuters

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Entre sextoys branchés, place croissante de l'image et développement de poupées sexuelles dotées d'une intelligence artificielle, les objets connectés envahissent notre quotidien, allant jusqu'à passer la porte de notre chambre.

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle est docteur en sociologie et ingénieur télécom (ENST Bretagne). Elle est professeur à l'ISC Paris et co-fondatrice de la Chaire Digital BusinessSes domaines de recherche couvrent les usages des TIC (téléphone portable, Internet, médias sociaux…)

Elle a publié La télévision mobile personnelle : usages, contenus et nomadisme,  Les usages du jeu sur le téléphone portable : une mobilisation dynamique des formes de sociabilité  aux Editions L'Harmattan et J'arrête d'être hyperconnecté ! : 21 jours pour réussir sa détox digitale chez Eyrolles.

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Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Atlantico : Quelles sont les principales évolutions de la société en matière sexuelle ces dernières années ?

Catherine Lejealle : Pour comprendre la place prise et que prendra encore les objets connectés dans notre sexualité, il importe d’abord de rappeler l’importance de la porosité des univers. De quoi s’agit il ? La porosité des univers est ce constat que le digital a eu un impact sur le décloisonnement de nos vies. Il n’y a plus d’un côté séparément une vie professionnelle, une vie privée, une vie intime etc.. mais des outils de connexion qui permettent d’entrelacer la rédaction d’un mail professionnel, la lecture d’un sexto et l’envoi d’un commentaire sur Facebook. Nous utilisons des supports multi fonctionnalités nomades qui nous suivent tout au long de la journée, dès le saut du lit et qui interagissent avec toutes les dimensions de nos identités.

L’autre conséquence de cette porosité concerne le transfert d’expérience d’un univers vers l’autre, qu’il s’agisse d’expertise technique (agilité à se servir des outils de connexion) que la confiance dans la mise en relation avec des inconnus. Qu’on achète un bien sur le bon coin, qu’on loue un appartement à des particuliers pour un week end à Barcelone ou encore qu’on rencontre des inconnus pour une après-midi de Molkky,  Internet favorise les contacts.
Ainsi, dans la sexualité aussi, le digital a pris une place importante, pour initier des liens, entretenir ceux existants ou fantasmer en solo ou en duo derrière un écran.

Michelle Boiron : Le porno a pris une place considérable dans la sexualité des individus, même si le phénomène varie en fonction du sexe féminin ou masculin. Quand les femmes se "mettent" au porno, c'est souvent encore pour faire plaisir aux hommes. Parfois elles peuvent aussi éprouver une certaine excitation qu'elles ignoraient. Quant aux sextoys, elles les utilisent depuis qu'on leur a expliqué que cela pouvait les aider à obtenir un orgasme plus facilement en les sensibilisant pour ressentir une certaine excitation. En revanche il est  vrai que les femmes ne connaissaient pas leur propre corps et restent encore très novices sur leur anatomie.  En témoigne en effet qu'elles sont  rares celles qui savent que leur clitoris "jouit" d'un prolongement de 10 cm  à 14 cm de racines. Pour la plupart des femmes le sextoy est utilisé pour arriver à une jouissance qu'elle n'obtienne ni avec l'homme ni en se caressant et pas forcément pour éviter le rapport aux hommes. Ce genre d'objets peut leur permettre après moult essais d'obtenir un orgasme. A chacune son objet! En témoigne certaines femmes frigides qui ont ainsi découvert leur première jouissance grâce à lui... Hélas pour elle dans la vraie vie en chair et en os il n'y a pas de pénis qui vibre ! Si la femme découvre  son premier orgasme avec un sextoy, il lui sera difficile de le "retrouver"  avec l'homme. En effet pour réussir un rapport intime, il est surtout important de  lâcher prise. Or il n'y a pas de possibilité de dupliquer ce mode là dans la rencontre avec l'autre corps.  Lâcher la maitrise et l'idée de performance sont les meilleurs moyens de laisser se produire un panel de sensations, d'émotions qui mèneront à la jouissance partagée. L'alchimie des corps fera le reste...
Si l'excitation à bon compte est surtout un trait masculin, les femmes, elles, ont en revanche besoin d'un scénario, d'une atmosphère . L'homme ne l'oublions pas doit obtenir une érection et il est prêt en 1 minute c'est pourquoi il recherche d'avantage le mode d'excitation qui "marche" pour  lui (le visuel a fait ses preuve) alors que la femme  a besoin d'un temps plus long pour que son corps réponde.

La sexualité revêt plusieurs formes aujourd'hui, avec par exemple les "sextos", le poids de l'image à travers le porno illimité sur internet. Se dirige-t-on vers des rapports sexuels de moins en moins "charnels" et de plus en  plus distanciés et connectés ?

Catherine Lejealle : On ne peut rien affirmer de tels. Quantitativement d’une part, le digital permet à moindre frais, avec une connexion partout à portée de main, d’échanger, d’interagir, de voir aussi, en solo ou en duo des contenus à caractère plus ou moins explicites. Qualitativement aussi, avec les objets connectés que sont les sex toys connectés, ils permettent de découvrir de nouvelles pratiques. Rappelons que de tels objets connectés sont en vente pour 149 euros sur tous les sites ou magasins. On peut ainsi intensifier ses pratiques et les diversifier pour un surcout faible et sans se déplacer.  

Michelle Boiron : On est pris dans une sexualité de moins en moins charnelle. Il y a d'un côté internet qui témoigne d'une grande difficulté à se rencontrer... Les sites de rencontres ont pris du galon et/ou les réseaux sociaux ressuscitent  le premier amour qui resurgit comme une garantie et une nostalgie d'un autre temps. D'un autre côté en deux clics on peut trouver une sexualité facile. Internet joue sur l'excitation sans désir, ce qui diffère de la relation avec l'autre. 
Il y a aujourd'hui une injonction à réussir la sexualité depuis la libération Sexuelles de 68. Les femmes veulent des orgasmes, les réclament à l'homme, et si elles sont insatisfaites, elles achètent des sextoys ce qui effraient certains hommes  touché dans leur virilité et pas habitués à être des hommes objets. 
En parallèle, sous couverts d'une jouissance libérée  certains hommes se sont fait "prendre" par le porno. En effet, le cerveau encode un mode d'excitation  et cette excitation marche juste sur le visuel. Cela s'inscrit dans le cerveau et alimente le circuit d'excitation qui génère plaisir et récompense. Or dans la réalité, il est impossible que le cerveau  retrouve ce qu'il a enregistré visuellement par l'image effrayante du porno. L'homme est passif devant  le porno , alors que dans la relation  sexuelle il doit être actif.  En revanche Il n'y a pas d'égalité entre les individus sur les effets délétères produits par le visionnage du porno dans le cerveau.  Le porno vient mettre un certain chaos dans les rapports hommes femmes. En effet le virtuel ne peut pas remplacer la réalité des corps, il ne fait que le différer pour certains. A cause du porno, certains hommes ont du mal à retrouver une sexualité qui ne génère pas la même intensité d'excitation avec une partenaire aussi sexy soit elle! 

Le sexto est le prolongement de la pornographie, on singe ses codes, non pas dans l'image, mais dans une forme de manipulation avec le passage à l'acte différé. Le passage à l'acte était le temps des premières rencontres et premiers émois avec une initiation à deux... Aujourd'hui chaque nouvelle rencontre semble générer une angoisse de performance et une obligation de résultat... La hantise du "bon rapport sexuel" a aussi contaminé les femmes. L'injonction de la vraie jouissance dite vaginale devient l'objectif à atteindre! Clitoridienne s'abstenir ... C'est le baccalauréat à chaque fois ! 
On est clairement dans une dérive. mais on ne passe  pas impunément d'une sexualité interdite culpabilisante à une sexualité débridée permissive et obligatoire sans passer par des excès qu'on ne maîtrise pas. On ne faut pas tout maîtriser, certains sont dans l'excès d'autres sont dans un usage équilibré. Le porno ne peut pas servir néanmoins d'initiation pour les adolescents.
Internet est souvent utilisé à mauvais escient, de manière systématique sans protection et les dérives peuvent être préjudiciable à retrouver une sexualité harmonieuse. 

Depuis la libération sexuelle  on a déconnecté nos instincts de reproduction avec la contraception maitrisée.  L'acte sexuel devenu au service de la jouissance pure donc tributaire de l'excitation.  La relation sexuelle nécessite cette du  désir mais aussi de l'excitation.  Dans le virtuel seule l'excitation agit. Désormais, on fait l'amour pour jouir et non pas pour se reproduire. En témoigne la difficulté que certains couples rencontrent quand ils décident de faire un enfant. Ils n'arrivent plus a faire l'amour sur l'injonction "Procréation"! Nos instincts ont perdu du terrain dans notre cerveau! Ils ont été laminés à coup de jouissances pures et dures. Il serait bien d'essayer de préserver la relation charnelle entre les deux sexes pour éviter de  déshumaniser la relation sexuelle. Faire l'amour n'est pas un examen, c'est plutôt une belle aventure!  Nous avions en nous tous les instincts pour y parvenir...pas seulement celui de la reproduction mais aussi l'odeur, la vision, le toucher, la voix...En les annihilant on est obligé de les refabriquer virtuellement... Alors reconnectons nous avec nous mêmes et retrouvons l'altérité

Si les robots tendent à remplacer bon nombre de métiers aujourd'hui dans notre société, les poupées gonflables ont intégré la sphère privée. Certains entrepreneurs travaillent même sur des poupées améliorées grâce à l'intelligence artificielle (humeur, émotions etc.) Peut-on imaginer que ces robots post modernes finissent par remplacer nos partenaires notamment dans le domaine de l'intime ?

Catherine Lejealle : Nous sommes des animaux sociaux qui avons besoin d’échanger, de partager aussi in real life. Il suffit de voir l’explosion des manifestations de free hugs ! Je vois plutôt l’intégration de tels objets dans les pratiques IRL en solo ou en duo comme manière de diversifier ses pratiques, les renouveler et essayer autre chose.

Peut-on voir un lien entre développement de l'usage des objets sexuels et inquiétude autour des MST ?

Michelle Boiron : Je n'en n'ai pas l'impression, au contraire. Les gens paraissent de moins en moins se protéger des maladies sexuellement transmissibles. Même dans l'adultère, beaucoup ne se protègent pas. 
C'est la performance et l'individualisme qui fait qu'on se débrouille tout seul. On se dirige donc vers une forme d'auto érotisme. Certaines personnes, suite à une rupture, se retrouvent seules et c'est à ce moment-là qu'elles vont sur internet. La difficulté de la rencontre est aussi un enjeu aujourd'hui. Soyons clairs, dans le fond les gens préfèrent une relation sexuelle à deux, mais cela devient tellement compliqué de nos jours, avec notion de performance notamment, que les individus se retranchent vers la masturbation, seuls. A quelle dose et à quel rythme, telle est la question.

Toutes ces avancées technologiques ont-elles brisé certains jugements moraux en matière de sexe ?

Catherine Lejealle : Un usage est une rencontre entre un dispositif qui permet des usages et une disposition d’une personne. Le digital n’est que la transposition, l’accompagnement d’évolution de sociétés. On voit les ravages de trop d’exposition sur des média sociaux, de e-réputation qui nous échappent parce que d’autres y contribuent sans notre accord. 

Oui le digital accompagne, facilite sans doute, les évolutions sociétales. Les applications à la Tinder basées sur la géolocalisation et la disponibilité rapide permettent une mise en relation plus facile et plus immédiate entre candidats à la rencontre amoureuse. Des applications qui envoient des photos à durée de vie réduite invitent à un usage ludique qui accompagne un jeu amoureux. Le faible coût des abonnements 4G, la qualité des réseaux et la gratuité de ces applications jouent dans la diffusion de ces innovations. Mais jamais on ira contre la volonté des internautes. Je ne vois pas une innovation qui se diffuserai à grande échelle qui n’apporterait pas un bénéfice aux usagers. Elle ne durerai pas et Gossip en est l’illustration. Avec Gossip on a vu une limite d’utilisation du digital par les humanoides que nous sommes, preuve qu’on ne peut pas tout faire.

Se multiplient aussi sur internet des vidéos qui mettent en scène des professionnels désireux d'expliquer aux jeunes ce que sont réellement les rapports sexuels et ce qui relève de la sexualité propre aux films pornographiques. Face une forme de révolution sexuelle, est-ce une manière de mettre plus de "naturel" et de "vrai" dans les rapports sexuels ?

Catherine Lejealle : Je viens de voir Casa Grande au cinéma, un magnifique film brésilien qui raconte l’initiation sexuelle d’un jeune garçon de 17 ans, l’année du bac. A qui pose-t-il les questions qui l’intriguent ? C’est à son chauffeur qu’il pose des questions sur comment passer du stade du baiser à la suite… ce même chauffeur qui l’a emmené voir des prostitués pour avoir une première expérience. Le jeune homme s’appuie également sur Rita, la jolie domestique de ses parents qui loge chez eux et qu’il rejoint le soir dans sa chambre. De tout temps, cette information est mieux passée par des tiers, cousins, oncle ou marraine, toujours du même sexe que celui qui pose la question. Les professionnels, les films, les animateurs radio bien connus permettent aussi de se renseigner de façon plus ou moins anonyme. Là encore le digital permet un accès plus facile avec un écran qui protège le jeune qui s’interroge. Tant mieux s’il permet un accès plus facile à plus de jeunes qui s’interrogent.

L’autre volet de votre question concerne la pornographie dont là aussi l’accès est facilité mais le digital n’est pas seul en cause. Autant sur l’information il est intéressant de pouvoir avoir accès à une information personnalisée et claire, de pouvoir poser des questions, autant le porno pose un problème dans la mesure où il ne représente qu’une partie des pratiques et peut donner l’impression d’une généralisation comme s’il n’y avait que cela. Mais à fréquenter tous les jours des jeunes adultes, je constate qu’ils sont bien plus mûrs et lucides qu’on le pense et savent faire la part des choses entre un contenu fictif et fabriqué et la réalité. Ils sont nés avec photoshop et savent se mettre en scène… faisons leur confiance pour discerner l’arbre et la forêt. La meilleure preuve est qu’ils ne raisonnent jamais en termes de vrai et de naturel mais que leur réalité est un entrelacement, leur propre miel de tout ce qu’ils consomment comme fiction, écran et aussi bouche à oreille ! Ce vieux média n’a pas dit son dernier mot.

Article publié le 9 juin 2015

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