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Comment les Français en sont venus à douter des "valeurs de la République"
©Reuters

Bonnes feuilles

En crise morale, sociale et économique, déchirée par des questionnements identitaires inédits, meurtrie par les attentats, la France se pose mille questions. Nous aussi ! Comme souvent en période de crise - et en période pré-présidentielle, la France est le sujet de préoccupation préféré des Français. Extrait de "Ce qui nous rassemble - Comment peut-on encore être français ?" d'Arnaud Zegierman et Thierry Keller, aux Editions Les Belles Lettres (1/2).

Thierry Keller

Thierry Keller

Journaliste, Thierry Keller est directeur éditorial du magazine de prospective Usbek & Rica.

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Arnaud Zegierman

Arnaud Zegierman

Arnaud Zegierman est sociologue et co-fondateur de l'institut Viavoice.

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En France, la République, ce sont des institutions, et ce sont des valeurs. Or, il n’a échappé à personne que les discours sur les « valeurs de la République », en dépit de l’éphémère « esprit du 11 janvier », sont devenus inopérants : d’après un sondage IFOP datant de mai 2015 pour le site Atlantico, 65 % des Français ne se reconnaissent plus dans les termes de « République » et de « valeurs républicaines » (dont 70 % chez les électeurs du Front national) parce qu’ils ont « été trop utilisés et ont perdu de leur force et de leur sens ». On a beau les invoquer, les mots magiques ne font plus effet. Pire, ils sont des repoussoirs. Est-ce parce qu’on ne leur fait plus confiance, à la manière d’un amoureux déçu qui ne croit plus au bla-bla de l’ancien être aimé ? Ou parce que les mentalités ont brutalement basculé vers autre chose, un désir d’ordre qui ne nous dit rien qui vaille ? D’après ce même sondage, « 67 % des Français estiment qu’il faudrait que la direction du pays soit confiée à des experts non élus qui réaliseraient les réformes nécessaires », et « 40 % seraient favorables à l’arrivée d’un pouvoir politique autoritaire ». Alors quoi ? D’un côté on réclame plus de démocratie, des modes de prise de décisions moins verticaux, et de l’autre un gouvernement non élu qui ferait fi de l’État de droit ? Ne nous emballons pas : selon notre enquête, 85 % des Français considèrent comme « important » ou « très important » de « voter à chaque élection » (97 % chez les plus de 65 ans !). L’attachement au vote, mais aussi au « programme » (plus qu’aux individus qui les portent) ne sont pas susceptibles d’être jetés aux orties du jour au lendemain. Mais il y a doute. Et donc éloignement, en particulier chez une partie de la jeunesse de France, pour qui la République est une vieille chose au minimum ringarde, au pire à combattre.

Dans son rapport parlementaire intitulé Génération radicale, l’iconoclaste (quoique socialiste) député Malek Boutih, pointait à l’été 2015 l’éloignement grandissant d’une partie de la jeunesse française vis-à-vis du modèle politique de leur pays. Sorti en juillet 2015, entre Charlie et le Bataclan, le rapport pose le cadre d’emblée : « Du point de vue de nos agresseurs, le point faible de la France n’est pas tant son déclin économique que son modèle républicain fragilisé. »

Plongée dans une mondialisation libérale qui fabrique du désarroi, bien obligée de constater les limites des réponses politiques à la Syriza ou Podemos, aussi bien que des printemps arabes, habituée à vivre dans un monde anxiogène depuis le 11 septembre, reléguée aux marges territoriales du pays et enfermée socialement, une partie de la jeunesse de France, notamment celle qui est issue de l’immigration, ne voit pas dans la République l’élément émancipateur qui pourrait la « sortir de là ». Mais pas seulement elle : la jeunesse « blanche » des classes moyennes navigue entre petits boulots, addictions diverses et sentiment de frustration, sentiment encore plus exacerbé dans les zones rurales et périurbaines. Au total, une grande partie de la jeunesse est susceptible de basculer dans la radicalité. Cette dernière est de deux ordres : « Il apparaît nettement que le radicalisme islamiste est aujourd’hui le plus dangereux, du point de vue de son emprise et des failles qu’il creuse au sein de notre société. » Islamisme, menace numéro 1, prévient le député. Mais aussi radicalité frontiste : « L’implantation de l’extrême droite dans le paysage politique, et notamment son audience auprès de la jeunesse, est également très préoccupante car facteur de division et de délitement de la cohésion nationale. »

Islam politique d’un côté, Front national de l’autre : on se croirait dans le Houellebecq de Soumission (Fayard, 2015), lui qui imaginait dans son roman polémique un second tour de présidentielle opposant le parti des musulmans aux identitaires, avec victoire des premiers et imposition d’une « charia douce », s’en prenant à l’un des fondements de la République : la laïcité à l’École.

C’est bien la République en tant que projet philosophique, en tant que transcendance et que réalité tangible, qui ne parvient plus à entraîner.

Extrait de "Ce qui nous rassemble - Comment peut-on encore être français ?" d'Arnaud Zegierman et Thierry Keller, aux Editions Les Belles Lettres

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