Comment la pandémie de Covid-19 a révélé les failles du système français<!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du personnel soignant dans un hôpital de l'AP-HP lors de la pandémie de Covid-19.
Des membres du personnel soignant  dans un hôpital de l'AP-HP lors de la pandémie de Covid-19.
©MARTIN BUREAU / AFP

Bonnes feuilles

Serge Federbusch publie « Covid story : Une étrange défaite » chez VA éditions. La crise que nous vivons du fait du Covid-19 ne pourra être surmontée que si nous parvenons à prendre de la hauteur et à comprendre ce qu'il nous arrive. Une analyse synthétique des dysfonctionnements de l'État et du système de santé publique nous montre à quel point le mélange d'autoritarisme et d'inertie qui caractérise la bureaucratie française a failli. Extrait 1/2.

Serge  Federbusch

Serge Federbusch

Serge Federbusch est président du Parti des Libertés, élu conseiller du 10 ème arrondissement de Paris en 2008 et fondateur de Delanopolis, premier site indépendant d'informations en ligne sur l'actualité politique parisienne.

Il est l'auteur du livre L'Enfumeur, (Ixelles Editions, 2013) et de Français, prêts pour votre prochaine révolution ?, (Ixelles Editions, 2014).

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Pourtant, nous avions l’un des sinon LE meilleur des systèmes de santé au monde, qu’on se le dise. C’était ce qu’il fallait répéter dès que la question des soins médicaux en France était abordée dans les médias. C’était ce que le pouvoir rétorquait aux personnels soignants ulcérés de ne pas être suffisamment bien traités.

 Et il avait moult chiffres, courbes et tableaux à l’appui de ses dires, le gouvernement ! La France consacre 14 % de son PIB aux dépenses de santé, plus que la plupart des autres pays de l’OCDE. Les dépenses par habitant y sont peu ou prou les mêmes qu’en Allemagne alors que nos Germains cousins ont pourtant une richesse par tête bien supérieure. Nous ne sommes aucunement des radins, la santé est le bien le plus précieux, n’est-ce pas ?

Hélas la débandade fut totale, historique, grotesque.

Malgré la vigilance inerte de Dame Buzyn, on laissa revenir de Wuhan, sans mise en quarantaine ni protection réelle les militaires envoyés sur place pour ramener les Français qui s’y trouvaient. On envoya même par acte de grande générosité des masques de protection aux Chinois, tant nous étions persuadés que le mal ne nous atteindrait pas. À moins que Dame Buzyn n’ait voulu lutter contre sa mauvaise conscience ?

Las ! Ces masques étaient les derniers qu’il nous restait, on n’allait pas tarder à s’en apercevoir. Les premières victimes tombaient du côté de Compiègne, où stationnaient les militaires de retour. On laissait cependant des semaines le prolétaire picard venir travailler à Paris en s’entassant dans des trains de banlieue et ramener ses miasmes dans la capitale.

On nia effrontément la gravité des risques. Dans les aéroports, les seules mesures sanitaires se résumaient à des affiches placardées. Emmanuel Macron plastronna au théâtre jusqu’au 7 mars 2020 après avoir déclaré que rien n’empêcherait les Français de vivre comme ils l’entendaient et de jouir de la terrasse des bistrots. Dix jours seulement avant la proclamation du confinement et bien après que Dame Buzyn l’ait informé des risques encourus par la population… Du reste, il finit par s’écrire dans les colonnes du Canard enchaîné que l’ambassadeur de France en Chine avait prévenu son chef suprême dès décembre 2019. C’était de la non-assistance à population en danger mon gailLard !

Par commodité politicienne, on maintint le premier tour d’élections municipales au risque concrétisé d’entraîner la mort de présidents et assureurs de bureaux.

C’est du reste à l’un d’entre eux, Alain Le Garrec, un vieux camarade, que ce livre est dédié

Ce déni n’était pourtant encore qu’une vulgaire sous-estimation politicienne, une banale manœuvre pour rassurer l’opinion. Là où la faute devint crime en bande désorganisée, c’est qu’on découvrit tout à coup que notre fameux système de santé n’était absolument pas prêt nonobstant ces rodomontades. Nous n’avions ni masques de protection, ni gel hydroalcoolique, ni tests, rien à même de prémunir nos concitoyens. Et ces pénuries allaient durer deux terribles mois, le temps que le virus s’égaye dans la nature. Il fallait descendre dans les abysses des classements internationaux pour trouver pays plus démuni. En Italie même, en Espagne, partout, au Maroc, jusqu’au fin fond de l’Afrique, les masques étaient à la portée du premier acheteur venu, en pile dans les supermarchés. De toute manière, l’État en interdisait la détention à d’autres qu’à ceux qu’il désignait. Il prétendait aussi se mêler du prix de vente avec pour résultat que des entreprises renoncèrent à en produire de peur de devoir les commercialiser à perte.

Les Français eurent recours au système D et, quand les masques officiels arrivèrent dans les échoppes et les pharmacies, beaucoup s’étaient débrouillés par eux-mêmes. Pour parachever le désastre et la frustration, l’esprit polémique s’empara des médecins de ville et des pharmaciens quand ils découvrirent que les grandes surfaces disposaient par millions de protections qu’ils avaient eu tant de mal à se procurer et qu’ils avaient dû refuser à leurs clientèles.

Pendant ce temps, à Paris, ministres et autres sachants expliquaient tour à tour que masques, tests et gels étaient puis n’étaient pas puis étaient quand même indispensables, à proportion des équipements qu’ils espéraient pouvoir fournir à un peuple interloqué par tant d’atermoiements et de versatilité. Comment cette pantalonnade était-elle possible après tout cet argent dépensé ? Là est la vraie et terrible question. Et c’est là que l’étrange virus s’attaque à l’étrange faiblesse d’une étrange société.

Des enquêtes furent rapidement menées par quelques journaux et sites Internet, Médiapart en tête, qui crucifièrent le gouvernement, démontrant des manquements d’État. De sombres petits bureaucrates avaient touché leurs antennes avec de misérables prétentieux de cabinets ministériels pour décider que nous n’avions plus besoin de tels équipements, que le risque de pandémie ne concernerait plus jamais la France. On cita les noms de Benjamin Griveaux, un masturbateur dont les exploits filmés égayèrent la chronique électorale municipale parisienne. Avec un ou deux burlesques de son acabit, il avait œuvré en 2013 au cabinet de la ministre socialiste Marisol Touraine pour qu’on se débarrasse des stocks de masques qu’ils jugeaient inutiles.

Puis les erreurs se sont empilées, les commandes indispensables se sont noyées dans les méandres du fleuve administratif. Pour les tests, ce fut la même débandade. Les Agences régionales de santé parlaient peu aux préfectures qui ne dialoguaient pas avec les ministères. Partout, des chefaillons et des empileurs de normes s’interposaient entre les Français et les moyens de les protéger. L’organigramme du système de santé, fourmillant de services et d’agences en tout genre, a tout à fait l’aspect d’une vieille raffinerie. Pas étonnant que les carburants vinrent à manquer. La brigade des sapeurs-pompiers de Paris elle-même, dans un pré-rapport aussi corrosif que rapidement escamoté, recensa les preuves d’incurie dans la prise en charge des malades.

Quoi ? Le pays qui inventa ou participa à l’élaboration de tant de produits sophistiqués, capables de fabriquer des bombes atomiques, des lanceurs de satellites et des vêtements de haute couture n’était pas en mesure de produire des masques en tissu ou en plastique dans un bref délai ? La verticalité d’un pouvoir ignorant les conditions dans lesquelles, sur un territoire assez vaste, ses oukases pouvaient ou ne pouvaient pas être exécutés a contribué à l’inefficacité de la réponse sanitaire qu’elle se traduise en masques, en tests ou en vaccins.

Envisager dans ces conditions la fabrication de respirateurs ou de produits anesthésiants en quantité suffisante paraissait hors de portée de notre économie en voie de sous-développement. Nous avons fini par payer cash le sacrifice de notre industrie sur l’autel de la construction européenne avec un verbiage glorifiant l’économie de services comme bruit de fond.

Et il y avait tout aussi grave et plus profond. À quoi donc la montagne d’argent dédié à la santé publique était-il employé depuis une bonne vingtaine d’années ? À alimenter une clique hospitalière et gouvernementale insatiable. Au ministère de la Santé, une salle impressionnante remplie de fonctionnaires d’astreinte attend, depuis des années, l’affreuse pandémie. Et que se passe-t-il quand la catastrophe arrive ? La sidération.

Par l’action conjointe des syndicats et des ronds-de-cuir, depuis vingt ans, dès qu’un problème se pose à l’hôpital public, on cherche le remède par l’embauche. L’inflation du personnel a conduit à des économies sur le matériel. Selon les renseignements fournis à l’OCDE, on compte 405 600 équivalents temps plein à l’hôpital public officiant à des tâches non médicales. 33,7 % de personnel administratif en France contre 25,5 % en Allemagne et 21 % au Danemark. Et, n’en déplaise aux adorateurs du service public et aux amoureux inconditionnels des blouses blanches, cette dilatation a outrepassé les purs parasites des services généraux : les équipes soignantes sont loin d’être en sous-effectifs. L’hôpital étouffe simplement sous une mauvaise graisse. Comme le coronavirus abat par priorité les grabataires, les diabétiques et les obèses, il en a fait de même avec les entités sociales accablées de tares similaires.

La gauche caviardeuse a beau agiter l’épouvantail ultralibéral comme responsable commode, ce sont au contraire, dans un pays malmené par sa bureaucratie, les gangsters de l’État dit providence qui co-signent le scénario de nos malheurs. Car l’affaire a vite empiré, les manquements ont surinfecté. Comme le secteur public se méfie souvent du privé et le jalouse, il le tint largement à l’écart de la réponse sanitaire. Les lits disponibles dans les cliniques furent sous-utilisés pendant des semaines, voire carrément interdits d’accès. Une capacité importante d’accueil était ainsi laissée sous le boisseau, un scandale dont les médias, adulateurs par construction idéologique du secteur public, ne se firent au début que très peu l’écho laissant les braves gens applaudir l’hôpital public sur leurs balcons.

On orienta les malades recueillis par les Samu vers les gros paquebots des centres hospitaliers universitaires. Et, puisque les hôpitaux publics devaient se consacrer prioritairement aux malades du Covid-19, on poussa le vice jusqu’à interdire au privé de traiter les autres pathologies pour que ce dernier ne bénéficie pas indirectement de la charge assignée au public.

Comme l’hôpital manquait de lits et de respirateurs, il fallut confiner tous les Français ou presque pour éviter un afflux ingérable de patients. Corporatisme, jalousies et petits arrangements vinrent donc aggraver durement les effets du virus. Bah ! Tant que les ovations perduraient du haut des balcons, ce n’était pas si grave.

Cette méfiance de la bureaucratie d’État pour ce qu’elle ne contrôle pas totalement s’étendait aux médecins de ville. Le 28 avril 2020 Édouard Philippe, toujours Second du Premier, en était encore à déclarer qu’il fallait rationner les masques et : « réserver le stock existant aux soignants hospitaliers pour garantir la fourniture de ces masques à ceux qui en première ligne auraient à soigner les gens ». Manière de dire que les médecins de famille n’avaient pas vocation à se porter au secours des patients.

Pendant ce temps, les maisons de retraite furent les lieux de meurtres par abdication, livrées à elles-mêmes durant plus d’un mois avec comme conséquence qu’on y dénombra en fin de compte 15 000 morts et que, trop souvent, des soins à peine palliatifs étaient administrés à ceux qu’on aurait pu sauver. Tant de procès en perspectives !

Au passage on négligea ce qui avait réussi dans beaucoup de pays, notamment en Asie du Sud-Est : interdiction d’entrée des voyageurs venant de zones contaminées, prises de température fréquentes, mise en quarantaine des malades, chaîne de solidarité avec les plus fragiles, vieillards et/ou obèses. Ces conditions réunies, le coronavirus aurait à peine tué plus qu’une grippe saisonnière.

À Hong-Kong ou à Taïwan, où les dépistages furent systématiques et où chacun a pu disposer d’un masque et les malades étaient immédiatement pris en charge, très peu de décès ont été déplorés et la vie économique et sociale fut à peine troublée par la sale bestiole. En Chine, un hôpital de mille lits a été édifié en seulement dix jours par une noria de quatre mille ouvriers et ingénieurs. La structure a été construite grâce à des personnels mobilisés jour et nuit, tous équipés de masques. Après avoir aplani le terrain, coulé les fondations en béton et raccordé le site aux réseaux d’eau et d’électricité, les Chinois ont installé grâce à des matériaux préfabriqués plus de 400 chambres, équipées d’appareils médicaux dernier cri et de salles de bains. Pour mémoire, la capacité totale d’admission en réanimation des hôpitaux français atteignait péniblement les 5000 lits après des décennies d’investissements.

La Reine Bureaucratique française était nue, sans même un masque pour cacher son visage. La France allait payer cher la désorganisation régnant au ministère de la Santé, les luttes entre les corporations – médecins, inspecteurs des affaires sociales, cadres hospitaliers, administrateurs civils – qui accablent une armée mexico-parisienne sans ordre de bataille. Dans le pudique langage de l’administration, on parle des ratés de l’organisation en « silos ».

L’Assemblée nationale et le Sénat, dans des rapports corrosifs, mirent six mois plus tard la dernière touche au recensement de cette incroyable succession d’erreurs et d’à-peu-près qui caractérisa la réaction désordonnée de l’État macronien à une pandémie que nous étions pourtant censés prévoir grâce à des plans soigneusement concoctés par nos administrations depuis des années. Pour faire taire ces critiques, à l’Assemblée nationale la majorité décida de dissoudre la commission d’enquête.

Extrait du livre de Serge Federbusch, « Covid story : Une étrange défaite », publié chez VA éditions

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