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Comment la lutte contre l’impôt a pu porter les germes de la Révolution française
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Bonnes feuilles

Jean-Baptiste Noé et Victor Fouquet publient "La révolte fiscale. L’impôt : histoire, théories et avatars" aux éditions Calmann-Lévy. Du Moyen-Âge aux Gilets jaunes, les révoltes fiscales jalonnent l’histoire de France. Ces mouvements portent une vraie réflexion sur la philosophie de l’impôt, la place de l’État et la liberté des personnes. Les auteurs retracent ces événements qui ont contribué à façonner le monde contemporain. Extrait 1/2.

Victor Fouquet

Victor Fouquet

Victor Fouquet est doctorant en droit économique et fiscal à la Sorbonne, auteur de La Pensée libérale de l'impôt - Anthologie (Libréchange, 2016).

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Jean-Baptiste  Noé

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire, rédacteur en chef de la revue de géopolitique Conflits. 

Il est auteur notamment de : La Révolte fiscale. L'impôt : histoire, théorie et avatars (Calmann-Lévy, 2019) et Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015)

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La Révolution française peut se lire comme l’aboutissement des luttes fiscales de la France médiévale et moderne. Tout débute par un schéma très classique que nous avons déjà croisé au long de l’histoire de France : le roi a besoin d’argent pour financer la guerre (ici la guerre d’aide aux insurgés américains), il demande au Parlement de lui voter un nouvel impôt, celui-ci refuse de payer et se révolte contre lui. en 1789 se rejoue la fronde, laquelle aboutit cette fois-ci. elle dépasse même le cadre initialement prévu puisque le roi voit ses pouvoirs fortement limités. après quoi il est renversé et de nouveaux régimes apparaissent, sans que la marche révolutionnaire puisse être arrêtée. La question fiscale et financière est omniprésente dans les débats et les gouvernements qui se succèdent entre 1789 et 1800 tentent différentes mesures pour essayer d’éviter la faillite.

Abolir la corvée

Intendant du Limousin puis contrôleur général des finances, Turgot s’essaye à des réformes audacieuses pour restaurer les finances du pays. Face au déficit grandissant, sa politique tient en quelques points : pas de faillite, pas d’emprunt et pas d’augmentation des impôts. Le salut ne doit venir que d’une gestion plus rigoureuse des deniers de l’état. Les ministères sont soumis à une rude cure d’austérité, ce qui, bien évidemment, est loin d’emporter l’adhésion des personnes contraintes. Le roi restreint les pensions accordées sans raison valable et tranche dans les dépenses superflues. De telles mesures commencent à faire grogner. Turgot tente alors une mesure audacieuse : abolir la corvée (1776). Cette contrainte apparaît complètement obsolète dans un pays qui a beaucoup changé. Pour Turgot comme pour Louis Xvi, elle est une survivance injuste qui se fait au détriment des plus pauvres. Il en dénonce l’injustice dans le préambule de l’édit d’abolition (janvier 1776) : « Un motif plus puissant et plus décisif encore nous détermine : c’est l’injustice, inséparable de l’usage des corvées. Tout le poids de cette charge retombe et ne peut retomber que sur la partie la plus pauvre de nos sujets, sur ceux qui n’ont de propriété que leurs bras et leur industrie, sur les cultivateurs et sur les fermiers. […] comment pourrait-il être juste d’y faire contribuer ceux qui n’ont rien à eux ? De les forcer à donner leur temps et leur travail sans salaire, de leur enlever la seule ressource qu’ils aient contre la misère et la faim, pour les faire travailler au profit des citoyens plus riches qu’eux ? » Le Parlement de Paris bloque cette réforme fiscale et s’oppose à la publication de l’édit lors de solennelles remontrances en date du 4 mars 1776. Lui aussi manie l’argument de la justice, estimant au contraire que c’est l’abrogation de la corvée qui est injuste : « Le noble consacre son sang à la défense de l’état, et assiste de ses conseils le souverain. La dernière classe de la Nation qui ne peut rendre à l’état des services aussi distingués s’acquitte envers lui par les tributs, l’industrie et les travaux corporels. » Ce sont deux visions de l’impôt et donc de la société qui s’opposent à travers ces échanges juridiques. Le Parlement avance l’argument de l’impôt du sang : puisque la noblesse participe à l’effort de guerre par la présence de sa personne sur les champs de bataille, elle n’a pas à verser l’impôt fiduciaire. Si cet argument était recevable au XIIIe siècle, il l’est beaucoup moins en 1776, où de moins en moins de nobles combattent dans l’armée. Mais, attaqué par les corporations et les privilégiés, Turgot est contraint de céder. 

Les successeurs de Turgot –  Charles-Alexandre de Calonne puis le cardinal Loménie de Brienne – reprennent les grandes lignes de sa politique fiscale. Ils sont décidés à étendre l’assiette de l’impôt sur le revenu et à faire enfin payer la noblesse. L’égalité devant l’impôt est portée par Louis XVI, qui opère ainsi une véritable révolution royale et fiscale. Les libéraux des années 1780 reprennent à leur compte les idées de Vauban pour proposer une dîme royale actualisée. Mais sans cesse, ils se heurtent à l’hostilité du Parlement qui refuse d’entériner les textes, provoquant la chute des ministères de Calonne (1787) puis celui de Brienne (1788). La convocation des états généraux a pour finalité de résoudre la crise fiscale et financière. Le roi comme le Parlement la soutiennent, avec des objectifs différents. Pour le roi et ses ministres, il s’agit de s’appuyer sur le tiers état pour faire reconnaître l’égalité devant l’impôt. Pour les parlementaires, il s’agit au contraire d’assurer un vote par ordre et de couper court à toute réforme fiscale. Jeu de dupe qui montre que la monarchie absolue n’est pas omnipotente et qu’elle est incapable de faire adopter des réformes que refuse le Parlement. Le président d’aujourd’hui a beaucoup plus de pouvoir que le monarque absolu d’hier, notamment en matière de décision fiscale. Lorsqu’au printemps 1789 s’ouvrent les états généraux, personne ne se doute qu’un processus révolutionnaire est enclenché et que celui-ci balayera toute la société.

Du libéralisme à l’autoritarisme

Affaibli par la mort de son fils, isolé au sein de son gouvernement, Louis  XVI se retrouve incapable de prendre la main sur les désirs de réforme. il ne parvient pas à rallier le tiers état à sa cause et à se lier avec lui contre la noblesse, alors même qu’il soutient des réformes qui vont dans l’intérêt du tiers. Les parlementaires eux-mêmes sont débordés par l’attente populaire, par les manifestations parisiennes, par l’idée de révolution qui commence à émerger. Cette noblesse qui refuse toutes les réformes qu’on lui propose depuis une vingtaine d’années est soudain prise de frénésie égalitaire. La nuit du 4 août 1789, les grands du royaume décident l’abolition des privilèges. Celle-ci est défendue par les ducs de La Rochefoucauld, de Noailles et d’aiguillon, qui sont les trois plus gros propriétaires terriens du royaume et dont la fortune est plus importante que celle du roi. Les privilèges, les offices ainsi que les exemptions fiscales sont abolis. Tout ce contre quoi Charles VI, Richelieu, Mazarin, Louis XIV et Louis XVI avaient lutté, parfois en vain, disparaît en une nuit de folie. L’assemblée nationale proclame solennellement le roi Louis XVI « restaurateur de la liberté française ». La Révolution est finie, du moins le croit-on ; les blocages fiscaux ont sauté. Puis c’est le 26 août et la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui peut se lire comme la charte d’une fiscalité juste et rationnelle :

« Art. 13. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. 
Art. 14. tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. 
Art. 15. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

L’impôt est aboli et remplacé par une contribution commune à laquelle tous les citoyens doivent participer. Une contribution qui n’a d’autre finalité que d’assurer la force publique et les dépenses d’administration. Avec ces principes fiscaux, nous sommes très loin de l’idée actuelle selon laquelle l’impôt doit servir à établir l’égalité par la redistribution. Nous sommes très loin aussi de l’idée d’un impôt comportemental qui aurait pour finalité d’éduquer et de sanctionner les comportements des personnes. De même, il n’apparaît pas que l’impôt puisse servir à financer la protection sociale, l’éducation nationale, les transports, etc. autant de services qui sont très bien assurés par le secteur privé, et à moindre coût. En référence à l’article 14, quel citoyen peut se targuer aujourd’hui de pouvoir consentir librement à la contribution publique et d’en suivre l’emploi, tandis que les prélèvements obligatoires sont en hausse constante, que le jour de libération fiscale ne cesse de reculer, et que l’usage des deniers publics est particulièrement opaque ? En suivant l’article 15, si un citoyen n’est pas satisfait de l’usage que l’administration fait de l’argent public, s’il estime que celui-ci est mal employé, voire dévoyé, peut-il cesser pour autant de participer à la contribution commune ? Cette déclaration a beau être régulièrement citée, être insérée dans le préambule de la constitution du 4 octobre 1958 et avoir une valeur constitutionnelle, comme l’a reconnu le conseil constitutionnel en 1971, elle demeure inappliquée quant à son volet fiscal. La vraie rupture aujourd’hui serait donc de revenir aux sources de la Révolution de 1789, qui a permis l’aboutissement des idées portées par les libéraux, avant que l’étatisme et l’autoritarisme ne prennent la main sur le processus révolutionnaire à partir de 1791.

Extrait du livre de Jean-Baptiste Noé et Victor Fouquet, « La révolte fiscale. L’impôt : histoire, théories et avatars », publié aux éditions Calmann-Lévy.

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