Comment la filière nucléaire enchaîne revers sur revers depuis Fukushima<!-- --> | Atlantico.fr
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Quel avenir pour l'énergie nucléaire ?
Quel avenir pour l'énergie nucléaire ?
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Déclin

La "conférence environnementale" des 14 et 15 septembre déterminera la stratégie des années à venir sur l'énergie nucléaire. La transition énergétique n'est prévue que pour 2025. Pourtant, de plus en plus d'autorisations de construire des réacteurs se heurtent à des refus, la gestion des déchets pose problème et le risque d'accident inquiète.

Corinne Lepage

Corinne Lepage

Corinne Lepage est avocate, ancien maître de conférences et ancien professeur à Sciences Po (chaire de développement durable).

Ancienne ministre de l'Environnement, ancienne membre de Génération écologie, fondatrice et présidente du parti écologiste Cap21 depuis 1996, cofondatrice et ancienne vice-présidente du Mouvement démocrate jusqu'en mars 2010, elle est députée au Parlement européen de 2009 à 2014. En 2012, elle fonde l’association Essaim et l’année suivante, la coopérative politique du Rassemblement citoyen. En 2014, elle devient présidente du parti LRC - Cap21.

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L’establishment très majoritairement pro-nucléaire - sans du reste nécessairement savoir pour quelles raisons, car celles de 1980 ne sont pas celles de 2012 - veut nous persuader que le nucléaire est une industrie d’avenir. Le président dans son propos du 8 septembre a lui-même parlé de transition énergétique après 2025. Le dernier numéro de la revue des Mines est consacré à l’avenir radieux du nucléaire grâce à la 4ème génération, aux projets sino et nippo-français (qui sont en concurrence exacerbée) et à la fusion qui est pour dans 30 ans comme il y a 30 ans. 

Soit. Mais la vraie vie est bien différente et il serait temps de sortir du déni de réalité dans ce domaine comme dans d’autres. Le nucléaire en tous cas sous une forme de sûreté telle que nous l’exigeons – même si elle n’exclut pas un accident – n’est pas rentable pour l’avenir.

Le 30 août, l'autorité de sûreté nucléaire des Etats-Unis, l'ASLB (atomic safety licensing Board) a refusé à EDF l'autorisation de construire un réacteur EPR à Calvert Cliffs, cette décision était évidente depuis la cession de Constellation (entreprise américaine de production et de distribution d'énergie basée à Baltimore).

En 2011 dans « La vérité sur le nucléaire », j’écrivais : "Aux Etats-Unis, EDF a racheté en 2009, pour 3,1 milliards d’euros un gros producteur, Constellation Energy mais on en restera là car la construction d’un réacteur aux Etats-Unis exige un partenaire local : or la rentabilité n’est pas assurée du tout… Et surtout, l’intérêt initial que présentait la possibilité de construire des centrales nucléaires aux Etats-Unis a disparu. En effet, EDF a refusé d’accepter la garantie de l’Etat américain au niveau de 5,5 milliards pour la construction d’une centrale nucléaire au motif que ce montant était insuffisant. Le président d’EDF a lui-même admis que la construction d’un EPR aux Etats-Unis n’était pas rentable... Depuis, le dossier semble aujourd’hui enterré outre-Atlantique."

On a beaucoup parlé de Calvert Cliffs en France car EDF est concernée, sans pour autant commenter la décision du régulateur américain du 7 août qui gèle les projets nucléaires suite à une décision fédérale. Cette décision fédérale constate l’impasse du stockage et notamment le site de Yucca Mountain.

Ce n’est pas sans rappeler ce qui se passe à Eurajoki, en Finlande, qui se prépare depuis la fin des années 70 à accueillir les déchets nucléaires finlandais pendant 100 000 ans. La question se pose naturellement à cette ville s’il faut se souvenir du lieu et être hanté pendant des années ou oublier le centre d’entreposage des déchets et risquer un changement de la situation géologique (avec une faille affectant le site) et les conséquences du changement climatique (inondation, glaciation, sécheresse, incendie).

La centrale d’Olkiluoto, à une vingtaine de kilomètres de là, voit les retards s’accumuler sur l’EPR. L'opérateur finlandais TVO a annoncé le lundi 16 juillet que l'entrée en service était repoussée après 2014 alors qu’elle était initialement prévue en 2009. Il en va de même à Flamanville où le coût de construction a doublé et où les retards ne cessent de s’accumuler faisant peser un doute sur l’achèvement avec succès de cette réalisation en tous cas dispendieuse. Les opérateurs attendront probablement de voir l’évolution d’un EPR en fonctionnement en Chine. N’oublions pas que l’âge est un facteur de risque sur une centrale mais la centrale de Three Miles Island avait seulement six mois de fonctionnement.

Et que dire du cas de la Corée et de l’opérateur Kepco qui connaît une année horribilis avec des scandales de contrefaçon, de corruption et un grand manque de transparence normale pour cette activité ? Kepco est soupçonné d’avoir contrefait des pièces détachées d’Areva et une procédure judiciaire est ouverte. Au delà des déboires judiciaires, les prix contrôlés en Corée de l’électricité nuisent à la rentabilité du groupe (toute ressemblance avec un autre pays ne serait que pur hasard). Pour remporter des marchés à l’export, Kepco s’endette notamment auprès d’Eximbank qui rencontre aujourd’hui des difficultés de financement. Kepco souhaitait pour renouer avec des marges se développer dans les mines d’uranium mais n’obtient pas le contrat pour Abou Dhabi.

En parlant de difficultés financières, que dire encore d’EDF qui fait appel à la Chine pour financer le renouvellement des centrales britanniques ? Certains se demandaient pourquoi EDF était fournisseur officiel des Jeux olympiques et du club France à Londres. En parlant de mines d’ailleurs, Uramin a encore une fois défrayé la chronique cet été avec un rebondissement en Afrique du Sud et l’actualité de nos compatriotes retenus en otage au Niger, dont je souhaite une libération rapide, ce qui nous ramène inexorablement vers notre dépendance si souvent niée par les partisans de cette industrie.

Au Japon, l’état de la centrale de Fukushima post-catastrophe n’est pas rassurant et en écrivant cela je pense aux militants d’ONG et aux mères de Fukushima que j’ai rencontrés lors de mon dernier déplacement au Japon et dans la préfecture de Fukushima en particulier. Qu’adviendrait-il en cas de gros typhon ou lors d’un tremblement de terre ? Qu’advient-il aujourd’hui des cuves d’eau contaminée de TEPCO et quel est le rejet réel dans les eaux souterraines ? Qu’en est-il des concentrations dans la mer et quelle confiance pour le consommateur de poisson, si important dans l’alimentation japonaise ? Que se passe-t-il pour les pêcheurs ? Que se passe-t-il pour les agriculteurs des provinces contaminées ?

Dans ce pays, les choses changent, le ministre de l'Economie, du commerce et de l'industrie, Yukio Edano, pourtant non taxé d’être un antinucléaire, a affirmé en conférence de presse que le Japon pourrait se passer de l'énergie nucléaire d'ici à 2030. Il s’appuie d’ailleurs sur un scénario financé produit par ses services.

Et surtout, la situation financière d‘Areva et d’EDF, leur niveau d‘endettement, l’état réel des carnets de commandes et en ce qui concerne AREVA la nature des projets (éolien off shore, conseil et non construction d’EPR ni a fortiori retraitement) ne font l’objet de communication et d’éléments forts du débat public.

La question de la rentabilité financière sur le long terme devrait donc être très clairement posée. S’y ajoute la question des conséquences d’un accident puisque enfin, la possibilité d’une telle occurrence en France est reconnue et l’ASN évalue à 70Mds le coût d’un accident moyen et à 700 milliards le coût d’un accident type Tchernobyl.

C’est inacceptable ! C’est dans ce contexte que se repose la question de Fessenheim après Marcoule et Tricastin!

L’incident mineur qui a affecté la centrale de Fessenheim mercredi 5 septembre, conduit à trois observations : la difficulté à disposer d’une information claire et rapide en cas d’incident sur une centrale, les contradictions entre l’exploitant et la préfecture, le flou sur l’origine de l’accident.

L’opacité de l’information sur les blessés montre l’extrême difficulté à communiquer sur un incident pourtant mineur ! Que se passerait-il en cas d’incident plus grave ? Le précédent du Tricastin laisse planer quelques doutes.

Même si cet incident est modeste, il s’ajoute aux innombrables incidents qui affectent cette centrale vieillissante : elle a subi quatre fois plus d’incidents que les autres centrales. De plus, en terme d’exposition aux risques, Fessenheim présente des particularités : une enceinte de confinement alors que les autres en ont deux ; pas d’autorisation de rejets chimiques dans l’eau sans doute en raison de l’impossibilité pour cette centrale de respecter les normes actuelles ; enfin, risque sismique sous-estimé lors de la construction de la centrale (7,2 et non 6,5 sur l’échelle de Richter) qui se cumule avec un risque d’inondation. Ce cumul n’a pas été évalué à l’origine et rien ne peut corriger ce vice initial.

Tous les sujets autour de Fessenheim reviendront sur la table européenne à l’occasion de l’examen des stress tests. Compte tenu de la différence d’évaluation des autorités nationales de sûreté et des conclusions à tirer des fissures observées sur les cuves des réacteurs (constatées sur le réacteur de Doel 3 en Belgique et dont on nous dit que les défauts en France ne sont pas les mêmes), il est probable que les débats que nous aurons au sein du Parlement européen seront argumentés et serrés notamment à propos de Fessenheim, centrale sur laquelle les Européens exercent un regard particulièrement attentifs. 

Des travaux considérables ont été réclamés par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Est-il judicieux, en période de vaches très maigres, de dépenser des sommes importantes pour une centrale qui doit fermer dans les années qui viennent ? La question mérite d’autant plus d’être posée que EDF s’empresse d’investir, comme si l’exploitant imaginait pouvoir maintenir contre vents et marées le fonctionnement de cette centrale au-delà de 2017.

Alors, le nucléaire une industrie d’avenir et surtout rentable à long terme ? Oui pour les déchets, oui pour le démantèlement, probablement non pour l’exploitation. En tous cas, la charge de la preuve incombe à l’industrie et il n’est pas acceptable de considérer comme fait acquis ce qu’il convient de démontrer.

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