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Comment la crise des Gilets jaunes a conduit Emmanuel Macron à s’appuyer sur le soutien des maires de France et à renouer le dialogue avec les citoyens et les élus à travers le Grand débat national
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Victor Roux publie "Les Sentinelles de la République, une histoire des maires de France" aux éditions du Cerf. Manque de financement, manque de reconnaissance, manque de pouvoir : les maires sont en colère. Extrait 1/2.

Jean-Victor Roux

Jean-Victor Roux

Haut fonctionnaire, Jean-Victor Roux s’intéresse particulièrement à l’histoire culturelle de la vie politique française. Son premier livre, La table, une affaire d’État, a été publié aux Éditions du Cerf.

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Il semblait pourtant peu pressé de leur consacrer tous ses égards. Le 17 novembre 2018, les Français se réveillent dans un pays sans dessus dessous. Des centaines de milliers de personnes occupent les ronds-points, bloquent la circulation, manifestent en réponse à un mot d’ordre dont on ignore l’ordonnateur. C’est l’acte 1 d’une suite encore aujourd’hui inachevée. Le vendredi 22 novembre se tient le congrès des maires. Confronté au défi de l’ordre public, le président de la République décide de ne pas s’y rendre, et se contente de recevoir près de 2.000 élus au palais de l’Elysée pour une déambulation dînatoire entre jardins et buffets. Aux interminables palabres avec la France des écharpes tricolores, caractéristiques de ce congrès qui existe depuis plus d’un siècle, le président a préféré le happening, transformant les édiles en quémandeurs. Une photo par ci, une attention par là. Les actes 2 et 3 font vaciller le trône. Des symboles de l’Etat sont attaqués, des casseurs se mêlent aux manifestants. Qu’il s’agisse de l’ordre ou de la justice, on peine au sommet de l’Etat à répondre aux aspirations des Français. Il faut pourtant agir, et vite. Le 10 décembre 2018, le chef de l’Etat amorce une voie de sortie. Aux mesures d’urgence destinées à soutenir le pouvoir d’achat, il adjoint la promesse de l’écoute, fait vœu de modestie. Grand moment de catharsis collective, le grand débat national doit permettre de purger le malentendu entre le peuple et ses élites. Comment canaliser ce flot d’expression, remettre de la médiation au milieu de cette demande d’immédiateté ? Emmanuel Macron doit trouver des relais. C’est vers les maires, intronisés médiateurs en chef, qu’il décide de se tourner. 

Lorsqu’au XIXe siècle la République était menacée, c’est à l’Elysée qu’on les conviait pour que leur présence symbolise la concorde nationale. C’est tout le sens du banquet des maires du 22 septembre 1900. Trêve de mondanités, le peuple exige désormais que ce soit le président qui sorte de son palais. C’est donc un tour de France des maires qu’entreprend Emmanuel Macron. 

Presque cent jours s’écoulent du 15 janvier à ce 15 avril 2019. Les cent jours les plus importants du mandat d’Emmanuel Macron. Qui ne fait pas face à Blücher et à des armées coalisées des quatre coins de l’Europe, mais à la colère coagulée d’une partie du peuple de France qui a pris les ronds-points. Il ne s’agit cette fois pas d’une épopée visant à culbuter des armées étrangères mais de parer au plus pressé pour faire rentrer chez eux les contestataires. Pacifier les rues, rassurer les commerçants, permettre aux villes de retrouver la quiétude des jours chômés. 

De grands moyens sont employés. Le verbe présidentiel n’est qu’assaut d’amabilités pour des élus réhabilités en remparts de la République. La proximité est louée comme jamais, les corps intermédiaires reprennent vie. Dans la Ve République, c’est traditionnellement le député qui dispose du privilège d’interpeller l’exécutif, le mercredi après-midi à l’heure du goûter des enfants,  au cours des questions au gouvernement. Avec ses déplacements, le chef de l’Etat inaugure une nouvelle pratique politique : les questions au président, posées par les premiers magistrats des bourgs du coin. Triomphal retour des maires. Paradoxe d’une figure politique à l’incarnation toujours aussi forte mais dont le pouvoir s’amenuise. 

Le président ne s’arrête plus, le coup du débat est permanent. Commencé en Normandie, le 15 janvier 2019 devant 600 maires, son périple le porte à Souillac le 18 janvier à la rencontre des élus d’Occitanie. 6h46, 6h37, la durée des discussions affole les horloges. La campagne se poursuit avec les maires d’outre-mer, à l’Elysée, le 4 février (7h07). Les élus d’Ile-de-France ont le privilège de se voir associé des « acteurs associatifs » le 4 février à Evry (6h06). Emmanuel Macron gagne ensuite la Saône-et-Loire le 8 février. L’Indre, le 15. La Gironde, le 1er mars. La Bretagne, le 4 avril. Le 5 avril, la Corse a les honneurs de son ultime halte. Cent jours à courir les sous-préfectures et les salles polyvalentes, sous le regard bienveillant d’une Marianne bombant le torse ou d’un drapeau français ne prenant pas l’ombre d’un étendard européen, au milieu d’une foule aux écharpes tricolores. Le format est toujours le même. Le président introduit l’échange par un court propos liminaire, destiné à son auditoire de « facilitateurs ». Il demande aux maires de se dédoubler et les invites à lui faire part « des préoccupations des maires, élus de la République », puis des « attentes des citoyens ». Mais pourquoi seraient-elles différentes ?

Le chef de l’Etat comprend-il cette France des territoires ? Il n’a jamais exercé le moindre mandat local, ni été porté à la tête d’une commune. Son accession à l’Elysée a mis fin à près d’un demi-siècle d’histoire politique au cours duquel le président de la République française avait fait ses classes à l’échelon municipal. Valéry Giscard d’Estaing à Chamalières. François Mitterrand à Château-Chinon. Jacques Chirac à Paris. Nicolas Sarkozy, à Neuilly-sur-Seine, où il connut une notoriété nationale dans le tragique contexte d’une prise d’otage dans une école maternelle. François Hollande, à Tulle, dont il fit un fief électoral. 

A travers son périple, l’ancien banquier d’affaire se trouve confronté à un univers qui ne lui est pas familier, celui de la permanence et de l’enracinement. Les propos de Jean-Jacques Ciccolini, maire de la commune corse de Cozzano (270 habitants) qui accueillit le dernier grand débat, valent d’être rapportés. « Monsieur le président, la vie dans le haut village est faite de petits riens et l’addition ne fait jamais un grand tout. Le lien affectif, spirituel et viscéral avec le sol où s’enfonce et se nourrissent nos racines ne doit pas se dissoudre dans l’acétone de la rationalité administrative d’un monde monocorde […] Le plus bel endroit du monde se trouve à jamais au pied du clocher qui nous a vu naître. Au portail de l’école de la République où nous avons appris l’essentiel des savoirs. Aux marches de la mairie où, pour ma part, comme d’autres ici, j’ai choisi de servir mon village et mes administrés ». La salle se lève. Le président lui emboîte le pas. 

Extrait du livre de Jean-Victor Roux, "Les Sentinelles de la République, une histoire des maires de France", publié aux éditions du Cerf. 

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