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Comment la crise de la biodiversité favorise l'émergence de maladies infectieuses comme la peste
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Bonnes feuilles

Les émergences ou réémergences actuelles de maladies infectieuses comme Ebola, Zika ou les grippes aviaires et porcines doivent être appréhendées à la fois dans le cadre historique de cette longue co-évolution et dans un cadre géographique global lié à la mondialisation des échanges. L’urgence est d’en tirer des leçons pour la gestion des crises sanitaires actuelles et futures. Extrait de "La prochaine peste", de Serge Morand, aux éditions Fayard 1/2

Serge Morand

Serge Morand

Serge Morand est chercheur au Cnrs et au Cirad. Il travaille également au Centre d’infectiologie Christophe Mérieux du Laos. Écologue évolutionniste et parasitologue de terrain, il conduit de nombreuses missions sur les relations entre biodiversité et maladies transmissibles. 

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La prochaine peste

Conservation Society – en association avec les virologues et les épidémiologistes de l’Institut Pasteur ou de l’hôpital Mahosot de Vientiane – tentent de mesurer les conséquences sanitaires et les risques d’émergence de nouvelles pestes chez les chasseurs ou les vendeurs d’animaux sauvages. Étrangement, des sommes considérables sont dépensées pour connaître la diversité virale de ces pays, alors que leur biodiversité est encore si mal connue.

Pourquoi s’intéresser à la faune sauvage en danger? Nous avons vu précédemment qu’il existe un lien entre la biodiversité et la diversité des maladies infectieuses. Dès lors, la perte de biodiversité ne devrait-elle pas s’accompagner d’une perte d’agents infectieux? Le déclin de la biodiversité n’est-il pas une bonne nouvelle pour la lutte contre les pestes?

La sixième extinction et les pestes

Les parasites, vers et microbes pathogènes inclus, constituent plus de la moitié de toute la diversité biologique. Il n’existe pas une seule espèce animale ou végétale qui ne soit pas infectée par au moins un virus, sans compter les bactéries pathogènes et tous les types de parasites. Même les parasites peuvent être parasités. Ils sont d’ailleurs également touchés par la crise de la biodiversité, bien qu’on soit loin de pouvoir estimer leur taux d’extinction avec précision.

Nous l’avons vu précédemment : la diversité des pathogènes est positivement corrélée à la diversité animale et culturelle. Le nombre d’épidémies de maladies infectieuses et celui des émergences ont augmenté au cours des dernières décennies, en lien avec le changement climatique, la globalisation et l’accroissement des échanges, l’intensification agricole et… la baisse de la biodiversité. Cependant, toutes les études montrent que la mondialisation s’accompagne d’une crise de la diversité biologique et d’une homogénéisation des environnements du fait de la fragmentation des habitats. Nous sommes en route vers ce que certains auteurs appellent la sixième extinction de masse.

Ne faut-il pas voir là une contradiction? Si une biodiversité riche en oiseaux et en mammifères est associée à un grand nombre de maladies infectieuses humaines, l’extinction massive de ces mêmes oiseaux et mammifères devrait logiquement affecter leurs pathogènes : nous devrions constater une diminution du nombre de pathogènes, une homogénéisation et une simplification des environnements épidémiologiques. Or c’est le contraire qui se produit. Comment expliquer cet accroissement du nombre d’épidémies et de nouveaux agents infectieux alors que la biodiversité est en danger?

L’explication que nous pouvons donner est que la perte de biodiversité se traduit d’abord par une phase d’augmentation des interactions entre les humains, leurs animaux domestiques et la faune sauvage. La fragmentation des habitats, l’intensification agricole et de l’élevage affectent la biodiversité locale, tant en termes de richesse en espèces que de composition des communautés animales et végétales. Mais, surtout, la fragmentation favorise des contacts nouveaux entre animaux – domestiques et sauvages – et humains.

Un exemple caractéristique est l’émergence du virus Nipah en Malaisie. Les déforestations massives dans ce pays ont conduit les grandes roussettes à migrer vers de nouveaux territoires, en particulier les grandes plantations de palmiers, qui constituent de nouvelles sources de nourriture. Celles-ci sont situées dans des zones de production intensive de porcins qui alimentent le marché international. Des contacts infectieux nouveaux se produisent alors entre chauves-souris et porcins, suivis par des contacts infectieux entre ces derniers et les éleveurs. Le virus se disperse ensuite grâce au commerce international de viande porcine, notamment à destination de Singapour.

Les atteintes à la biodiversité affectent-elles le nombre d’épidémies de maladies infectieuses vectorielles ou zoonotiques ? C’est l’hypothèse que j’ai voulu tester avec des collègues thaïlandais, malaisiens et singapouriens. Pour ce faire, nous avons repris l’ensemble des données disponibles concernant les maladies infectieuses liées aux animaux ou à transmission vectorielle par des arthropodes, comme la dengue ou le chikungunya, des années 1950 aux années 2010, pour la région Asie-Pacifique. Dans cette étude macro-épidémiologique, nous avons tenu compte des aspects socio-économiques – population, PIB par habitant, dépenses de santé publique… –, ainsi que des aspects géographiques, climatiques et de biodiversité. Nous avons également considéré la richesse des pays étudiés en espèces d’oiseaux et de mammifères, leur couverture forestière et le nombre de mammifères et d’oiseaux en danger d’extinction dans chacun d’eux.

Les résultats sont intrigants : le nombre total d’épidémies de maladies zoonotiques est positivement corrélé au nombre d’espèces de mammifères et d’oiseaux menacées d’extinction. Par ailleurs, le nombre d’épidémies de maladies infectieuses vectorielles est négativement corrélé à l’importance de la couverture forestière : il augmente lorsque celle-ci diminue. Moins de forêts veut bien dire moins de diversité en oiseaux et en mammifères, mais en aucun cas moins de risques d’infection par des maladies vectorielles.

Cela signifie que les épidémies de zoonoses et de maladies à transmission vectorielle sont effectivement associées aux pertes de biodiversité, mesurées par le nombre d’espèces sauvages menacées ou par la densité du couvert forestier. Les agents infectieux liés à l’animal semblent également favorisés par la crise de la biodiversité, mesurée par le nombre d’espèces d’oiseaux et de mammifères en danger d’extinction.

Dans une seconde étude, nous avons repris cette ana-lyse à l’échelle du globe. Nous avons abouti aux mêmes résultats, mais observé le rôle d’un nouveau facteur : le développement économique, estimé par le PIB. En effet, les pays dotés d’un PIB élevé connaissent une forte baisse de leur biodiversité. Cette baisse, toujours mesurée par le nombre de mammifères et d’oiseaux en danger d’extinction, favorise en retour les épidémies de maladies infectieuses zoonotiques, donc les risques d’émergence de nouvelles pestes. Outre l’exemple du virus Nipah en Malaisie, que nous venons d’évoquer, citons, toujours pour la Malaisie, celui de l’émergence du paludisme zoonotique à Plasmodium knowlesi, consécutive à la conversion des forêts tropicales en plantations de palmiers à huile.

Un autre paradoxe apparaît alors : si l’augmentation du PIB permet d’améliorer le système de santé publique, le bien-être et la santé des populations tout en surveillant et en détectant mieux les maladies infectieuses, elle favorise aussi les épidémies liées à la faune sauvage en affectant la biodiversité.

Extrait de "La prochaine peste", de Serge Morand, publié aux éditions Fayard, novembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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