Comment l’industrie culturelle commence à renoncer à tout ce qui n’est pas un blockbuster potentiel <!-- --> | Atlantico.fr
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Salle de stockage de pellicules de film pour le cinéma.
Salle de stockage de pellicules de film pour le cinéma.
©Reuters

En haut de l'affiche

De plus en plus de films ne sont que des suites ou des "reboot". De même, seule une poignée d'artistes semble avoir les faveurs des investisseurs, la faute aux hommes de finance et du marketing, qui ont la haute main sur le secteur.

Pascal Comas

Pascal Comas

Pascal Comas est trader pour son propre compte. Passionné de musique, il collabora avec de grandes maisons de disques à la sortie des albums d'IAM, Massive Attack... Auteur d'un pamphlet intitulé Pensées à Rebrousse-Poil, il fut également co-directeur d'une grosse start-up suédoise.

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Atlantico : Franchises de films misant sur quelques acteurs "bankable", compilation d’une poignée d’artistes mondialement connus : la stratégie des blockbusters, parier de plus en plus d'argent sur de moins en moins de titres, est en train de gagner le monde du divertissement. Pourquoi cette stratégie d’investissement s’impose-t-elle dans l’univers du spectacle ? Investir plus sur un nombre limité de projets est-il la forme la plus sûre d’assurer son retour sur investissement ?

Pascal Comas Je pense que le monde du spectacle n'est à ce titre pas différent des autres domaines, et que moins la diversification est importante, plus le risque est grand. Et dans le domaine du cinéma et de la musique, les exemples d'échecs commerciaux juste après un énorme succès sont nombreux (2eme ou 3eme album ou version 2, 3 ou 4 d'un blockbuster). Cette stratégie commerciale s'impose car ce sont les hommes de la finance et du marketing qui ont pris le pouvoir dans toutes les structures (maisons de disque et studios de cinéma). Le marketing, et bien sûr la finance, adorent s'appuyer sur les succès passés. Pour les premiers cela rend leur travail beaucoup plus facile, et pour les seconds c'est plus rassurant que l'inconnu du saut dans le vide, de la nouveauté. Mais le spectacle est indissociable de l'art, et il n'y a pas d'art sans créativité, donc sans nouveauté, sans incertitude et sans prise de risque. 

Les financiers veulent effacer le risque de l'équation ; on a vu ce que ça donne dans la finance : des subprimes et des produits structurés qui ont ruiné des millions de gens et coûtent une fortune en procès et indemnités. On ne peut faire disparaître le risque lorsque l'on investit, a fortiori dans le spectacle. Et plus on diminue le coefficient artistique dans l'équation en faveur du marketing (essayer de répliquer la formule gagnante de manière presque mathématique), plus on prend le risque de ne pas séduire le public. Si je me trompe sur ce dernier point, alors il y a vraiment de quoi déprimer.

Est-ce un cercle vertueux économiquement, dans le sens où la réussite d’un premier blockbuster (éditorial, film ou musical) favorise le suivant en  termes de réputation et d’attraction des artistes ?

En général un premier blockbuster crée un public captif qui sera d'office intéressé par la nouvelle édition. Mais l'effet d'entrainement est variable selon les domaines.

Je pense qu'il est assez important dans le cinéma, un peu moins dans l'édition, et moins encore dans la musique, ou les gens peuvent écouter avant de décider un achat éventuel.

Donc, en termes de réputation, il y a bien sûr un impact compte tenu de la notoriété et de l'affect déjà acquis, mais en terme de succès ce n'est pas assuré, même si plus probable que pour une nouveauté.

La stratégie des blockbusters est-elle rationnelle dans le sens où ces projets correspondent aux goûts du plus grand nombre ? Est-ce finalement la faute des spectateurs ? Cela nuit-il à la diversité et à la qualité artistique de l’industrie du divertissement ?

Comme je l'ai évoqué plus haut, le consommateur, aussi "beauf" soit-il, a besoin de nouveauté et de créativité. Ce sont des choses que la majorité des consommateurs perçoivent et valorisent. Raison pour laquelle il est rare qu'un excellent film soit un échec, et il n'est pas rare qu'un gros navet le soit. Même si parfois certains films manquent leur public sans que cela paraisse mérité, la critique, le bouche à oreille et un bon marketing permettent en général a un bon produit de trouver son public, alors que dans le cas d'une mauvaise œuvre, même la suite d'un succès au box-office ou un mauvais 2eme album, cela est beaucoup plus rare.

Je pense en effet que cela nuit énormément à la qualité et à la diversité des productions artistiques, et se retournera contre l'industrie du divertissement. L'industrie du disque est un exemple déjà éclatant de cela. Depuis les années 90 elle n'a fait que transférer le pouvoir en faveur des hommes du marketing et de la finance au détriment des profils les plus artistiques (les hommes qui avaient une oreille, une vraie culture musicale et du flair). On voit le résultat. Un déclin impressionnant, alors que toute la créativité musicale s'est exprimée dans l'underground et les labels indépendants.

Il ne faut pas faire l'erreur d'attribuer leur déclin a internet. Les maisons de disque ont souffert d'internet à cause de leur absence totale de stratégie intelligente pour s'adapter à la nouvelle donne. Ce que Steve Jobs a très bien exprimé dans sa biographie. Mais si elles avaient continué a travailler comme elles le faisaient jusqu'aux années 80, elles n'en seraient pas là. Aujourd'hui elles ne sont plus que des relais marketing et des gestionnaires de vieux catalogues. Aucun artiste vraiment créatif, donc prometteur, ne rêve plus de signer sur une "major". Il sera "développé" ailleurs et si ensuite les majors veulent le signer, cela leur coûtera beaucoup plus cher et sera donc beaucoup moins rentable pour elles.

Cette stratégie permet-elle d’éviter les flops artistiques ?

Absolument pas !! Je dirais même, pour parler du cinéma, qu'il est plus facile de faire un flop artistique avec des suites de blockbuster, car il est plus difficile d'avoir la fraîcheur de la première version, et souvent l'effort pour s'inscrire dans les clous des premières versions nuit à la créativité. Dans le domaine musical, la question n'a pas vraiment de sens car si l'on essaie d'appliquer une "formule gagnante", on ne parle plus d'art mais de business. Donc, c'est peut être de la musique mais ce n'est plus de l'art. De plus, une œuvre réussie est le fruit de la collaboration de plusieurs personnes, et d'un moment donné, équation qui peut être difficile a reproduire pour de multiples raisons. Mais c'est sur le long terme qu'il faut voir les conséquences d'une telle stratégie. Et comme je l'ai exprimé plus haut, je suis convaincu qu'elle nuit aux intérêts a long terme des industries concernées et à la créativité dans son ensemble.

Propos recueillis par Pierre Havez

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