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Comment Internet et les réseaux sociaux sont devenus la caisse de résonance du tribunal médiatique
©PASCAL PAVANI / AFP

Bonnes feuilles

Olivia Dufour publie "Justice et médias : la tentation du populisme" chez LGDJ éditions. Et si les médias étaient en passe de se substituer à la justice ? Les offensives de l’opinion sont de plus en plus violentes contre l'institution judiciaire et ses principes. Le secret de l'instruction et la présomption d'innocence ont quasiment disparu. Extrait 2/2.

Olivia Dufour

Olivia Dufour

Olivia Dufour a commencé sa carrière en tant que juriste dans un cabinet d'avocats parisien avant de devenir journaliste en 1995. Spécialisée en droit, justice et finance, elle est actuellement responsable du développement éditorial du site Actu-Juridique (Groupe Lextenso). Elle est l'auteur de « Justice, une faillite française ? », publié en 2018 récompensé par le prix Olivier Debouzy, en 2020 de « Justice et médias, la tentation du populisme » et, en 2021, de « La justice en voie de déshumanisation », tous les trois publiés chez Lextenso Editions.

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Le tribunal médiatique a de multiples visages. Il y a celui qui condamne l’innocent quand la procédure judiciaire ne fait que commencer. Celui qui, à l’inverse, exige la libération du coupable et parfois, comme dans l’affaire Sauvage, l’obtient. Celui qui s’exonère des faits autant que de la raison et de la science pour dénoncer à la vindicte populaire le responsable apparent d’un désordre. Celui qui s’improvise en instance suprême de recours. Sans oublier le tribunal qui condamne les propos d’un avocat dans le prétoire ou celui qui, se croyant au spectacle, critique en public et en direct le déroulement d’un procès. Ces phénomènes, largement encouragés par le fonctionnement des réseaux sociaux et leur capacité à fabriquer des foules vont aller en s’aggravant. Sans doute cette perspective appelle-t-elle de la part des professionnels de justice une vigilance renforcée àl ’égard de la protection des principes fondamentaux que sont la présomption d’innocence, le secret de l’instruction, le contradictoire, le temps, les droits de la défense, la procédure et, bien entendu, la raison et le droit. Mais il semble aussi que le temps soit venu d’élaborer une nouvelle communication judiciaire avec les policiers, les magistrats, les avocats pour fournir aux citoyens l’information qu’ils peuvent légitimement attendre de leurs institutions et couper court aux fuites et autres errements médiatiques. Ainsi pourrait-on espérer protéger la justice des prétentions du tribunal médiatique à lui imposer sa logique et ses valeurs.

Vautour 

Mais il est une autre acception de l’expression «tribunal médiatique» qui correspond à un phénomène émergeant et très inquiétant. Ce tribunal-là se moque bien de la justice. Il a décidé d’usurper sa place. Comment s’en étonner quand on se souvient que les outils conçus au sein de la Silicon Valley ont pour vocation d’émanciper les individus des institutions? C’est ainsi que l’on a petit à petit désintermédié nombre d’activités. Aujourd’hui, c’est au tour de la justice. Dans Informer n’est pas communiquer, Dominique Wolton prévient: «il faut se méfier de ce qui est apparemment moderne et renforce le mythe d’une société “en direct” débarrassée d’intermédiaires». Pour le chercheur, en effet, l’accélération de la production et de l’échange d’informations créées par la technique dans un contexte de mondialisation, en rendant de plus en plus visibles les différences, accentue tensions et contentieux. Cohabiter devient de plus en plus difficile. Se priver d’intermédiaires dans un tel contexte devient très dangereux. «Certes il y a des intermédiaires douteux, mais le sens que j’accorde ici à ce mot est tout autre. C’est la référence à des métiers qui requièrent une compétence professionnelle et une capacité d’organiser la cohabitation entre points de vue différents. En un mot, le rêve de la société du direct ou “live” avec la fin des intermédiaires, et la compétence absolue des individus glisse vite d’une idée d’émancipation à un mirage propice au populisme», note ce chercheur. 

Nouveau maître du monde dès lors qu’il tient en main un smartphone, le citoyen-consommateur-internaute exige en tout domaine de diriger les opérations et d’obtenir un résultat satisfaisant dans un délai rapide. Ceux qui veulent s’émanciper des institutions ne manquent jamais l’occasion de se justifier en invoquant leur prétendue impuissance. On dénonce sur Internet sous prétexte que c’est l’ultime solution, la seule qui fonctionne. Mais n’est-ce pas aussi et surtout la solution que l’on préfère parce qu’elle est facile? Les mouvements #metoo et #balancetonporc ont libéré la parole des femmes, nous répète-t-on à l’envie. De fait, la légitimité de la cause – dénoncer les violences sexuelles faites aux femmes – a rejailli sur le moyen utilisé au point qu’il était et qu’il reste impossible de critiquer ce mouvement. Pourtant, le fait que des noms aient été livrés en pâture interroge. En réalité, ce à quoi nous assistons n’est ni plus ni moins que la contestation de la délégation de la vengeance privée à la puissance publique. Subrepticement s’installe dans les mœurs une relégitimation décomplexée de la vengeance privée. 

En voici une illustration, observée en 2018 sur Twitter. Un jeune homme met en ligne sur le réseau social une vidéo dans laquelle on voit un adolescent se faire attaquer par un autre dans une rue en plein jour. La scène est claire, filmée de près, les deux adolescents aisément reconnaissables. L’auteur du tweet invite les internautes à largement diffuser sa vidéo dont il explique qu’elle illustre le problème du racket à la sortie des lycées. C’est alors que la police intervient sur le réseau et informe l’auteur qu’elle prend en charge le dossier. Elle lui demande en conséquence de supprimer la vidéo. L’intéressé renâcle, demande si c’est obligatoire, tergiverse. Il faut dire que la publication de ce tweet est un succès comme en témoigne le compteur de diffusion. Sans doute se retrouve-t-il piégé par la montée soudaine de son audience et la séduction de la célébrité. Il finit par le retirer mais non sans avoir lancé auparavant une pétition sur le site change.org pour relayer son action. Cet épisode contient en germe tous les dangers de cette tentation de justice privée qui émerge sur Internet.

Extrait du livre d’Olivia Dufour, "Justice et médias : la tentation du populisme", publié chez LGDJ éditions. 

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