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François Hollande a englouti la France dans un trou noir (ici en illustration) de la carte d’influence européenne.
François Hollande a englouti la France dans un trou noir (ici en illustration) de la carte d’influence européenne.
©Reuters

Influence en perdition

Selon des organigrammes qui ont fuité dans la presse, Pierre Moscovici, qui devait être promu commissaire à l'Economie en échange de la nomination de Donald Tusk au Conseil européen, devra finalement se contenter de la Concurrence. Un épisode qui, s'il se confirmait, pourrait illustrer la perte d'influence française en Europe, où les accords passés n'ont plus à être respectés.

Olivier Costa

Olivier Costa

Olivier Costa est directeur de recherche au CNRS au Centre Emile Durkheim de Bordeaux et directeur d’études au Collège d’Europe. Il a publié avec Nathalie Brack Le fonctionnement de l’Union européenne aux Editions de l’Université de Bruxelles, 2° édition, 2013

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Deux organigrammes temporaires en date du 30 août et du 2 septembre ont été publiés ce jeudi 4 septembre par le Financial Times(voir ici) et Euractiv.fr(voir ici), faisant état d'une prochaine nomination de Pierre Moscovici au poste de commissaire à la Concurrence, alors que ce dernier et François Hollande pensaient que l'Economie lui était acquise. En effet, ce devait être la contrepartie obtenue par la France à la nomination du Polonais Donald Tusk à la présidence du Conseil européen. Que révèle cette situation incertaine du niveau actuel de l'influence française dans le cadre des nominations à la Commission ?

Christophe Bouillaud : Elle rappelle tout d’abord que la composition de la Commission européenne dépend désormais d’une multitude de paramètres, de contraintes, par exemple, la nouvelle Commission est censée être beaucoup plus paritaire que la précédente, mais comme ce sont les Etat membres qui nomment leur propre commissaire selon des logiques de carrière interne, cela complique beaucoup les choses.

Le poste à attribuer au Commissaire français, Moscovici, n’est qu’une petite partie d’un puzzle. En plus, il ne faut pas oublier qu’ensuite, chaque Commissaire pressenti doit être auditionné par les Commissions parlementaires du Parlement européen concernées par son action à venir. Cela rajoute une  contrainte supplémentaire de compétence minimale aux yeux des élus européens à occuper avec succès le poste et de conformité avec l’orientation dominante au Parlement européen. 

Par ailleurs, sur le cas Moscovici, il faut bien dire que la France a fait un choix médiocre en proposant un ancien Ministre de l’Economie à peine congédié du gouvernement, il aurait été plus subtil de garder Moscovici à son poste dans le gouvernement Valls formé ce printemps pour bien montrer qu’en France on le considérait comme un très bon ministre, pour ensuite le faire sortir en pleine gloire vers la Commission européenne. Dans le cas présent, Moscovici apparait de fait comme un cheval de retour, ayant échoué largement, que la France veut caser à Bruxelles. Cela ne facilite sans doute pas sa nomination à un poste central et prestigieux – même si le portefeuille de la concurrence serait un très beau lot de consolation, puisqu’il permet d’avoir un mot à dire sur tous les mécanos industriels en Europe, puisqu’il fait partie des plus anciennes et fortes prérogatives communautaires.

Olivier Costa : Ce n'est pas Angela Merkel qui décide des nominations, mais J.C. Juncker. Au titre du traité, et ce depuis le traité de Nice, c’est le président de la Commission qui ventile les portefeuilles et les vice-présidences au sein du Collège des Commissaires.

Il ne peut faire abstraction des rapports de force et des négociations, mais il n’est pas non plus aux ordres des Etats : une fois que ceux-ci ont proposé leur candidat respectif, la procédure leur échappe. Le Président choisit les attributions et le Parlement européen seul peut les désapprouver. Maintenant, il est vrai aussi que Mme Merkel jouit d’une grande influence à Bruxelles et que les Français ne sont pas en situation de négocier, compte tenu de leur situation politique et économique.

Tout ceci explique qu’il ne faut pas trop espérer que P. Moscovici devienne le n° 2 de la Commission.

François Hollande a multiplié les signes forts à en direction des partenaires européens en remerciant Arnaud Montebourg et en confirmant le mouvement de réduction des dépenses initié par le gouvernement Valls. Comment expliquer qu'il n'ait pas été davantage récompensé de ces efforts ?

Christophe Bouillaud : Nous sommes dans une Europe à 28 ! Il n’y a pas que la France qui doive être servie ! La France n’a pas non plus aligné un candidat extraordinaire pour participer à la Commission. On aurait pu jouer la carte d’un Pascal Lamy, ou même d’un Hubert Védrine, peut-être aurait-on obtenu plus.  Il paye aussi le fait que la France est actuellement présentée par une bonne part de la presse européenne comme l’homme malade de l’Europe qui ne sait pas faire des  "réformes" - ce qui, à mon sens, est plutôt faux si l’on regarde les faits sur la moyenne période. Il y a peut-être aussi le fait que beaucoup de dirigeants européens savent qu’une bonne part du déroulement de la crise européenne depuis 2010 tient à la volonté des dirigeants français de préserver les intérêts des grandes banques universelles françaises, et pas vraiment l’intérêt général européen. Notre réputation n’est pas excellente.

Olivier Costa : Parce qu’une partie de nos partenaires nationaux, de nos interlocuteurs à Bruxelles et des commentateurs, n’ont pas confiance dans la capacité des autorités françaises à tenir les objectifs affichés. Cela fait des années qu’ils ne sont pas tenus, et il n’y a aucune raison pour que cela change. En outre, certains estiment qu’aucune des grandes réformes nécessaires au redémarrage économique de la France n’a été entreprise. Enfin, la situation politique en France laisse penser que les responsables français se soucient désormais moins des déficits que de l’état de l’opinion et de leur parti.

Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission, Luis de Guindos président de l'Eurogroupe, Donald Tusk en remplacement d'Herman Van Rompuy (qui n'a pour langue étrangère que l'allemand, en dépit du fait que le français soit une des langues officielles de l'UE) : tous s'inscrivent dans la ligne d'Angela Merkel. Quelle influence reste-t-il à François Hollande ? Qu'a fait ce dernier pour empêcher cette déperdition ?

Christophe Bouillaud : Ces choix reflètent assez exactement les rapports de force dans l’Europe élargie à 28 membres, rapports de force à la fois géographiques et politiques. La nomination d’un Polonais libéral-conservateur à la tête du Conseil est une consécration de l’élargissement de 2004. Le choix de Luis de Guindo, conservateur-libéral, pour présider l’Eurogroupe tient au fait que les gouvernements conservateurs et libéraux sont dominants dans la zone Euro. De fait, les partisans d’une autre solution économique pour la crise de la zone Euro, si on les identifie avec certains socialistes – pas les socialistes allemandes en tout cas -, sont minoritaires. A partir du moment, où vous êtes minoritaires au Conseil européen et au Parlement européen, mais que vous avez décidé de participer au gouvernement consensuel de l’Union européenne, vous n’avez qu’à subir le rapport de force, et prendre les strapontins qu’on vous offre. Ces choix sont simplement la conséquence du fait que la gauche socialiste de l’ouest européen se trouve minoritaire dans l’Europe des 28.

Olivier Costa : La donne actuelle est, c’est vrai, assez favorable à Mme Merkel. Elle traduit bien son influence et la solidité des alliances qu’elle a su contracter. La France, pour sa part, manque d'esprit d’initiative en matière européenne. Il suffit de voir le rôle périphérique qui est donné au ministre chargé des affaires européennes en France et la manière dont les élections européennes y ont été traitées par les principaux partis. François Hollande ne donne pas à voir une ligne politique européenne claire et semble tout entier absorbé par ses difficultés sur la scène politique nationale.

Plutôt que de chercher à obtenir sans certitude le poste de commissaire à l'Economie pour Pierre Moscovici, quels autres postes François Hollande aurait-il eu intérêt à "chasser" ?

Christophe Bouillaud : Il ne nous est pas encore donné de savoir quel poste aura finalement Moscovici, il faut espérer qu’on ne lui conférera pas à titre de lot de consolation le multilinguisme…  De fait, le choix d’essayer d’avoir le commissariat aux affaires économiques était bien vu, puisque la France prétend défendre depuis des années un "gouvernement économique de l’Europe", c’est vraiment logique.  Le candidat n’était peut-être pas cependant le meilleur possible. Le poste de Haut représentant, celui attribué à l’Italienne Mogherini, aurait sans doute était un choix intéressant, puisque la France prétend défendre une plus grande intégration diplomatique et militaire de l’Europe. Un commissaire en charge des affaires sociales aurait sans doute été un bon choix pour un Président socialiste, pour défendre le "modèle social français".

Olivier Costa : Il est difficile de raisonner ainsi. La répartition des postes relève de nombreux équilibres et logiques (politiques, nationaux, géographiques, de genre, de génération…), et dépend aussi de la manière dont les personnalités envisagées comme candidats sont perçues. Je pense que dans le contexte actuel, la France n’était pas dans une situation très favorable pour décrocher un poste important et, surtout, qu’elle n’avait pas de candidat capable de susciter un certain enthousiasme.

Quelles sont les grandes étapes de la perte d'influence française au sein de l'Union européenne depuis l'arrivée de François Hollande à la présidence de la République ?

Christophe Bouillaud : L’étape fondamentale et fondatrice, c’est le premier sommet européen auquel F. Hollande a participé en 2012. Il incarnait alors la légitimité du suffrage universel français – ce qui n’est pas rien dans l’Europe des 28 où nous sommes le seul pays ayant un régime semi-présidentiel -, il avait soulevé beaucoup d’espoir dans son électorat, et ailleurs en Europe, de revenir sur l’austérité.

Selon les propos de Cécile Duflot dans son livre, les Verts allemands eux-mêmes auraient espéré quelque chose de la part de F. Hollande. Et là, il plie, il accepte un compromis, il signe sans y changer une virgule un traité dénoncé auparavant dans son propre camp politique comme le "Merkozy". Il n’ose pas entrer en conflit ouvert avec l’Allemagne, et de lui poser le dilemme suivant : ou l’Union européenne change de politique économique, ou l’Euro n’est plus. Mon pari, c’est qu’il aurait sans doute gagné à ce moment-là, parce que tout montre que les élites politiques et économiques allemandes ne voulaient pas perdre l’Euro, que personne parmi les grands groupes économiques européens ne veut perdre l’Euro. Cela aurait supposé une bonne engueulade avec l’Allemagne "conservatrice" d’A. Merkel, mais il aurait sans doute gagné. Il a aussi complètement sous-estimé que ce conflit entre A. Merkel et ses soutiens et lui-même et ses soutiens aurait été un vrai conflit droite /gauche transeuropéen sur la politique économique à mener pour sortir de la crise économique, et pas un conflit entre nations ! Il n’a pas compris qu’il pouvait jouer la politisation de la politique européenne sans risquer d’apparaître comme un nationaliste français borné – puisqu’il est un socialiste, donc par définition même internationaliste.

Depuis, la position de F. Hollande s’est bien sûr affaiblie dans la mesure même où la politique d’austérité qu’il suit ne donne aucun résultat économique positif aux yeux des Français, et que sa popularité s’est écroulé en conséquence. Il ne peut du coup plus jouer du tout la carte de la crise dans une telle position de faiblesse intérieure. Tout le reste ne sont ensuite que des détails. Il ne lui reste plus qu’à espérer être sauvé par la politique de la BCE ou par une reprise européenne spontanée.

Olivier Costa : Le mal est plus ancien. La perte d’influence de la France a été constante depuis le début des années 1990. Les leaders français n’ont pas su agir comme une force de proposition crédible et ont souvent manqué de réalisme. Désormais, le différentiel qui existe entre la situation économique en Allemagne et en France contraint les responsables français à faire profil bas, en particulier sur les questions monétaires.

Même en matière de relations internationales, on voit que l’Union européenne « politique », que la France appelait de ses vœux  à Maastricht, à Amsterdam et à Nice, reste très embryonnaire et que l’OTAN joue un rôle de plus en plus central dans l’organisation militaire des Etats de l’Union.

De même qu'il n'a émis aucune remarque sur l'incertitude de la nomination de Pierre Moscovici à l'économie, François Hollande n'en est jamais arrivé à taper du poing sur la table publiquement, même lorsqu'il a voulu se poser en leader des dirigeants sociaux-démocrates partisans d'une politique de relance économique plus arrangeante. Face à la fin de non-recevoir allemande systématique, la France aurait-elle tout de même pu hausser le ton ?

Christophe Bouillaud : Oui, mais il fallait le faire au début de la Présidence, en s’appuyant sur la légitimité que confère cette élection au suffrage universel direct, et éventuellement en menaçant ses partenaires européens de faire appel au peuple français par référendum pour appuyer sa démarche.  La stratégie de négociation et de petits pas a négligé complètement le fait que la dégradation de la situation économique française lui ferait perdre son soutien populaire et serait utilisé par les partisans de l’austérité pour prouver par a+b que la France a besoin d’une bonne saignée.

Olivier Costa : Ce n’est pas dans la nature de M. Hollande que de déclencher un conflit avec l’Allemagne. Je crois en outre que peu d’acteurs seraient disposés à le suivre dans une telle démarche.

A quelles conditions la France retrouvera-t-elle de l'influence sur les affaires européennes ? En combien de temps peut-elle parvenir à rétablir la situation en sa faveur ?

Christophe Bouillaud : Pour la nouvelle Commission, il n’est pas encore dit que Moscovici n’ait pas le poste envisagé. Il peut par ailleurs se révéler un personnage clé de cette dernière quel que soit le poste qu’il aura finalement. L’histoire n’est pas écrite. Pour l’avenir plus lointain, il est difficile d’entrevoir comment la France peut regagner de l’influence, sauf à parier sur une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne qui permettrait déjà de reposer la question linguistique. Plus sérieusement, la France ne regagnera de l’influence qu’à deux conditions opposées : soit, elle se normalise complètement par rapport aux demandes que lui font, explicitement et implicitement, son appartenance à l’Union européenne.

Pour prendre un exemple, cela veut dire arrêter résolument de polluer aux nitrates en Bretagne, et donc  accepter de casser les reins d’un certain lobby agricole breton pour en finir avec ces condamnations à répétition de la France devant les tribunaux européens. Soit elle joue une politique radicale d’affrontement, en faisant bien comprendre, un peu à la Cameron en somme, que maintenant, il va falloir tout revoir dans cette Union, ou bien que la France partira sous peu de cette pétaudière.

Olivier Costa : La France retrouvera son influence à Bruxelles quand elle aura une politique européenne et des responsables dignes de ce nom, et quand elle encadrera plus efficacement la campagne pour les élections européennes.

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