Comment expliquer le silence des dignitaires musulmans français face aux appels au jihad ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris et Ahmed Jaballah, président de l'Union des organisations islamiques de France
Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris et Ahmed Jaballah, président de l'Union des organisations islamiques de France
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Qui ne dit mot...consent ?

La France n'a jamais été aussi menacée par les djihadistes. Prise d'otages en Algérie, guerre au Mali : les intégristes ont prévu de se venger. Des mots violents qui se heurtent au silence des instances musulmanes françaises

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer est maître de conférences en science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon (IEP)

Il est aussi chercheur au Triangle, UMR 5206, Action, Discours, Pensée politique et économique à Lyon et chercheur associé à l'Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique (ORCRA), Centre d'Études des Religions (CER), UFR des Civilisations,Religions, Arts et Communication (CRAC), Université Gaston-Berger, Saint-Louis du Sénégal.

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Atlantico : Depuis l’intervention française au Mali, les appels au Jihad contre les intérêts français sur le territoire et à l’extérieur se multiplient de la part des leaders islamistes. Ces appels sont adressés aux musulmans de France qui sont invités à devenir des "dizaines de Mohamed Merah et de Khaled Kelkal". Pourquoi les dignitaires musulmans de France (CFCM, grande mosquée de Paris etc) ne prennent-ils pas la parole pour leur répondre que les musulmans de France ne sont pas des terroristes ? Ce silence est-il le signe du mépris ou du malaise ?

Haoues Seniguer : Il faut apporter quelques nuances. Certes, l'UOIF brille par son silence, empêtrée dans sa préoccupation actuelle de réintégrer les instances du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) et de négocier au mieux une nouvelle place en son sein, afin d'y exercer un nouveau leadership. Il est vrai aussi que le CFCM ne s'est pas clairement exprimé sur les appels au Jihâd, en les condamnant explicitement.  En effet, la direction, par la voix de son président Mohamed Moussaoui, s'est seulement contentée d'un communiqué lapidaire publié le 14 janvier sur son site, au cours duquel ce dernier sait gré au président de la République française, François Hollande, d'avoir évité l'amalgame entre islam et terrorisme à l'occasion du conflit au Mali. Quant à la Grande Mosquée de Paris (GMP), sur son site internet a été publié un texte dénonçant "la prise d'otages meurtrière des employés du site gazier d’In-Amenas en Algérie qui choque profondément la conscience humaine, et salue la mémoire de toutes les victimes innocentes qui représentent toutes les nations surprises de l’ampleur que peut prendre la violence terroriste, en priant Dieu que cette partie du monde retrouve la paix séculaire des peuples du Sahel qui la composent".

Cela est-il dû à l’absence de système hiérarchique dans la religion musulmane qui prône une relation direct avec Dieu ? Les musulmans de France se sentent-ils représentés par celles-ci ?

Je pense tout d'abord qu'il faut interpréter certains de ces silences comme une exaspération de la part de ces organisations communautaires systématiquement sommées de condamner au pied levé tout acte de violence commis au nom de l'islam, quel que soit le lieu où il prend forme. Vous pouvez ensuite, effectivement, ajouter à cela la profonde dispersion ou éclatement de la conscience musulmane française, laquelle, dans une immense majorité, dénonce pourtant l'horreur perpétrée au nom de sa religion. Il y a aussi un paradoxe sinon une contradiction qu'il faut s'efforcer de lever: il est attribué une communauté aux musulmans qui leur est ensuite reprochée d'avoir...Ainsi, si les musulmans ne s'expriment pas comme un seul homme est tout simplement le signe d'une "communauté imaginée".

Doit-on comprendre qu’il n’y a pas de voix unique de l’Islam en France comme il y en a une pour le judaïsme ou le christianisme ?

Absolument. Il n'existe pas, parmi les musulmans de notre pays et au-delà, de représentation unique ou homogène de l'islam qui ne saurait ainsi être enfermé dans des carcans organisationnels, quels qu'ils soient. À défaut, on verserait dans l'essentialisme. Aucun musulman ne ressemble tout à fait à un autre, sinon que l'immense majorité des musulmans de notre pays communie largement dans certaines valeurs universelles et universalistes qui recoupent celles des laïques, des athées, des agnostiques ou des croyants d'autres religions.

Y a-t-il un plus grand risque de montée de l’extrémisme dans une religion que n’a pas d'autorité incontestable pouvant prêcher la paix ?

En effet, quand il n'y a pas d'autorité spirituelle centrale, une figure tutélaire respectée de tous ou du plus grand nombre, qui détient suffisamment de capital symbolique pour que sa parole soit écoutée par la base, alors, forcément, l'autorité spirituelle ou ce qu'il en reste demeurera éclatée et livrée à n'importe quel imam autoproclamé. Cela est d'autant plus aisé compte tenu du silence assourdissant des personnalités religieuses du monde musulman qui ont un écho auprès de leurs fidèles et qui confortent "une orthodoxie de masse": chaque fidèle s'improvisant, en toute liberté, en redresseur de torts au nom d'une tradition prophétique incomprise appelant au "Commandement du bien et au combat du Mal".

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