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Coma avancé pour la démocratie française : ces pistes pas si compliquées pour la réveiller
©Reuters

Trucs et astuces

Démocratie directe, conférences citoyennes, voire ubérisation complète de la vie politique... Plusieurs réponses sont possibles face au désengagement des citoyens de la chose publique.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Angèle Malatre-Lansac

Angèle Malatre-Lansac

Angèle Malâtre-Lansac a rejoint l’Institut Montaigne en 2010 après une première partie de carrière dans le secteur public. En tant que chargée d’études, elle a piloté les publications relatives aux questions de santé, de diversité et d’emploi avant de devenir directrice des études au printemps 2011. Chargée de l’activité éditoriale de l’Institut Montaigne pendant quatre ans, elle a également développé les dispositifs de participation citoyenne lancés par l’Institut Montaigne au cours des dernières années en coordonnant notamment la conférence de citoyens conduite par l’Institut à l’automne 2012 (www.conferencedecitoyens.fr). Elle représente l’Institut Montaigne au sein de l’association Sortir de Prison, Intégrer l’entreprise dont elle a été à l’initiative aux côtés de l’association l’Ilôt et du groupe M6. Elle devient à compter de juillet 2015 directrice adjointe de l’Institut Montaigne. Angèle Malâtre-Lansac est diplômée de Sciences Po et a fait une partie de ses études en Grande-Bretagne (Université de Warwick) et au Mexique.

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Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico : N’est-il pas préférable d’inclure, au moins, une part de proportionnelle aux législatives. A quel pourcentage ?

Didier Maus : La question d'assurer "une meilleure représentation" du FN à l'Assemblée nationale ne peut pas se poser dans l'immédiat, sauf à imaginer que le Président Hollande cherche avant tout à empêcher l'opposition du centre et de la droite à gagner en 2017, dans l'hypothèse où son candidat l'emporterait lors de l'élection présidentielle. Ce débat sur le mode de scrutin est éternel. Et il n'existe aucun système idéal.

Regardez le système allemand, son système mixte combine scrutin majoritaire et représentation proportionnelle est satisfaisant sur le papier, mais ne permet pas toujours de dégager une vraie majorité. Mme Merkel, qui a très largement gagné les élections législatives, a été obligée, pour des raisons d'absence de majorité au Bundestag, de constituer une grande coalition avec le SPD, parti nettement battu dans les urnes. 

Il n'y a donc aucune raison de changer le mode de scrutin en fonction des résultats. Il est évident qu'un scrutin proportionnel, si le FN maintient son potentiel, donnerait à cette formation une représentation importante. Il ne faut pas, pour autant, croire que le scrutin majoritaire lui est  systématiquement défavorable. Sans qu'il soit possible de procéder à la moindre projection, il est évident qu'une formation politique qui réunit entre 30 et 35% des voix au premier tour est bien placée pour l'emporter dans le cadre d'un second tour triangulaire. Le PS ou l'UMP en ont été bénéficiaires lorsqu'ils avaient des scores de cette importance. Dans le cas d'un duel entre un candidat FN et un autre candidat, le résultat dépend largement du report des voix. On sait, d'expérience, que le report PS vers le centre et la droite républicaine est bon, alors que l'inverses est aléatoire. Pour une partie de l'électorat de droite la question est de savoir si l'adversaire n°1 est le Parti socialiste ou le Front national. La stratégie du "Ni, ni" conduit, dans une situation FN/PS à l'abstention, ce qui n'est pas une réponse adaptée aux valeurs de la citoyenneté républicaine.

De plus, la proximité des élections législatives de 2017 rend très difficile une modification de la loi électorale. Il est techniquement impossible, compte tenu des formalités à et des délais à respecter, de procéder à un nouveau découpage des circonscriptions. Celui serait nécessaire si, par exemple, il était décidé d'élire 15 ou 20% des députés à la proportionnelle (voir 50% comme en Allemagne). La seule réforme possible est donc l'adoption,  comme en 1985 pour les élections législatives de 1986, d'une représentation proportionnelle intégrale dans le cadre du département. Celle-ci ferait automatiquement entrer à l'Assemblée nationale un nombre important de députés FN, mais le maintien du scrutin majoritaire est encore favorable aux grandes formations politiques classiques (PS et ex UMP), à condition qu'elles arrivent, circonscription par circonscription, en tête pour un éventuel second tour triangulaire. Par conséquent, d'un strict point de vue constitutionnel le fait qu'il y ait actuellement l'état d'urgence est sans conséquence sur la possible modification de la loi électorale. Il n'existe aucune interdiction à le faire, simplement des arguments politiques incitent à la prudence, voire au statut quo.

>>> Lire aussi - Les régionales ou le crépuscule de la démocratie parlementaire : mais quand rendra-t-on le pouvoir au peuple ?

Jean Garrigues : Sur la question du déficit démocratique, il me semble évident qu'à partir du moment où vous avez, dans une élection comme celle qui vient d'avoir lieu, à savoir un premier tour d'élections régionales, une abstention qui dépasse les 50% des électeurs ainsi qu'un vote de protestation qui arrive en tête de 6 régions, c'est qu'il y a un souci. Il y a un problème d'inadéquation entre l'offre et la demande politique. On peut aisément en déduire qu'il y a un déficit démocratique.

En ce qui concerne le sujet de la proportionnelle, il paraît là aussi évident que le modèle qui s'offre à nous montre qu'il y a, potentiellement, 30% des suffrages exprimées qui se portent sur le Front National, c'est à dire sur une formation qui par ailleurs n'a que deux élus à l'Assemblée nationale ainsi qu'au Sénat. Il ne dirige que 10 mairies, ce qui est peu par rapport aux 36 000 communes que compte la France. C'est dérisoire pour un parti capable de dépasser les 25% au premier tour des élections régionales. Cela signifie que le FN possède un certain nombre de thèmes et d'idées qui ne trouvent pas de relais institutionnel, ce qui pose un vrai problème. Mais cette question se pose aussi sur la question du centre qui est sous-représenté par rapport à ce qu'il pèse dans la plupart des élections. C'est moins le cas dans ces régional car il est noyé dans une union de la droite et du centre, néanmoins le centre oscille en moyenne 10 et 17% des suffrages exprimées. Je parle du centre car la revendication en faveur d'une dose de proportionnelle dans la représentation ne concerne pas uniquement le FN mais aussi le centre et l'extrême gauche. Il est donc éclatant que cette disposition est souhaitable pour une partie importante des citoyens. Si l'on prend pour exemple ce premier tour d'élections régionales, cela correspond en tout à près de 40% des votants, sans compter les abstentionnistes, qui souhaitent, potentiellement, à minima, une dose de proportionnelle dans la vie politique actuelle.

L'avantage de la proportionnelle, c'est qu'elle offre un relais institutionnel qui permet non seulement de coller un peu plus à la demande de représentativité du corps social mais elle permettrait aussi de réfléchir à des recompositions politiques. En affaiblissant le phénomène majoritaire et la bipolarité de la représentativité de l’Assemblée nationale, vous affaiblissez les deux grandes familles. Ce qui rend nécessaire une sorte de recomposition de négociation et de compromis. Certes, cela n'est pas nouveau puisque, par exemple, la droite gaulliste s'est souvent alliée à la droite libérale et au centre-droit. De même, le PS s'associe régulièrement aux radicaux de gauche et aux écologistes, ainsi que moins souvent aux communistes. En revanche, ce qui n'a jamais été possible et qui pourrait le devenir, ce serait ce qui se passe en Allemagne, avec les grandes coalitions. Les grandes formations devenant moins imposantes, pourraient être amenées à négocier entre elles. Et dans la mesure où vous avez quand même, de manière objective, une sorte de convergence d'idées entre au moins une partie de la droite et de la gauche modérées (entre Valls-Macron, Bayrou et Juppé), vous avez une potentielle recomposition du politique qui serait un vrai bouleversement sous la Vème République.

Je pense qu'à priori, d'un point de vue historique, compte tenu des effets désastreux de la proportionnelle intégrale sous la IVème République ainsi que dans l'expérience de 1986, il serait prudent de faire un système à l'allemande avec une partie non intégrale de proportionnelle car cela permet d'imposer une ligne directrice un peu plus nette et, j'estime, un peu plus constructrice dans le temps que les logiques de coalitions de compromis immobilistes visibles sous la IVème République.

Je pense qu'en aucun cas il est possible de légitimer l'arme institutionnelle, et donc un changement du mode de scrutin, afin d'entraver ou de faire monter artificiellement tel ou tel parti politique.

L'intérêt doit être de trouver le meilleur équilibre entre efficacité politique et représentativité électorale.

Gaspard Koenig : Nous avions fait une note à ce sujet, inspirée du système nordique (comme en Suède) qui s'appelle The Preferential voting. L'idée, c'est qu'il s'agit d'un système à deux vitesses où d'une part on vote pour un partie, mais en plus au sein de ce parti ceux que vous voulez voir siéger. Un système proportionnel intégral mais qui permet d'éliminer le risque de ceux qui sont parachutés en tête de liste. Par exemple, chaque parti présenterait autant de députés qu'il y en a à l'Assemblée nationale -550-, ce qui fait beaucoup. Il faudrait ensuite que les électeurs cochent leur candidat. 

L’Etat du système politique actuel qui semble être dans une impasse ne peut-il pas être « résolu » par la mise en place d’une part de démocratie directe (est-ce que ce n’est pas ce que cherchent les électeurs…). Si oui, à quel niveau et sur quel sujet ?

Jean Garrigues : Faut-il plus de référendums ? C'est la grande question qui se pose pour répondre à ce sentiment de non-représentativité du monde parlementaire. J'y vois un inconvénient majeur. La France a une tradition plébiscitaire qui fait d'un référendum un plébiscite pour ou contre le chef de l’État. C'est d'ailleurs dans ce but que le général de Gaulle avait conçu le référendum puisqu'il a fait du référendum d'avril 1969 la condition de son maintien ou de son départ. Et il est parti. Par la suite, il a été confirmé que chaque référendum se cristallisait autour de l'adhésion ou du rejet du président de la République.

Donc oui, il y a aujourd'hui des gens qui tente de combler ce manque de représentativité, les réseaux sociaux montrent que l'avenir se trouve dans le numérique.

C'est ce que l'on appelle aux Etats-Unis la démocratie liquide. C'est un peu futuriste, mais l'idée ne serra plus de voter ensemble les lois, mais de les élaborer collectivement. On en est loin, mais il y a des tentatives à travers notamment le Parti pirate en Allemagne, voire même récemment la loi numérique en France qui avait été amendée par les citoyens avant de passer devant le Parlement. 60 000 contributions, de qualité inégales mais c'est un chiffre tout de même important. Sur les budgets participatifs de la ville de Paris par exemple fonctionne de mieux en mieux. Le digital rend la participation possible, plutôt que de tomber dans la voie référendaire.

Angèle Malatre-Lansac : Les Français traversent aujourd’hui une crise du politique très profonde qui revêt au moins trois facettes :

- l’impression d’être mal représentés, avec des hommes (et quelques femmes…) politiques très critiqués et souvent perçus comme peu représentatifs, coupés de la réalité et du vécu de leurs concitoyens ;

- la critique des institutions de la Vème République, qui ne laissent presque aucune place à participation des citoyens : alors que ces derniers sont de plus en plus informés, ils ne peuvent quasiment jamais participer à la prise de décision et ont souvent l’impression que le pouvoir leur est confisqué par une classe politique considérée comme peu légitime ;

- la remise en cause de la capacité même des politiques à obtenir des résultats : les femmes et hommes politiques se succèderaient à la tête de l’Etat sans véritable changement ni amélioration de la situation sociale et économique des Français.

Si la démocratie représentative ne saurait en aucun cas être remise en cause ou remplacée par une démocratie directe, de nombreuses pistes peuvent être explorées telles que le non cumul des mandats pour permettre le renouvellement des personnalités politiques, l’amélioration du fonctionnement institutionnel, l’introduction d’éléments de démocratie participative, la mise en place de primaires ouvertes, une meilleure transparence des données publiques, etc.

Gaspard Koenig : Ce qui est intéressant, c'est que le rapport Winock Bartolone fait un constat assez radical mais cohérent au démarrage. Mais ensuite, il manque vraiment de lucidité car il oublie d'y intégrer le numérique, et n'envisage la démocratie directe qu'à travaers le prisme du référendum d'initiative populaire -option possible mais qui a beaucoup de travers. Or il y a à travers le numérique des manières plus intelligentes de construire une démocratie directe, qui ne soit pas sur le système référendaire mais plutôt contributif. Dans le rapport Winock, il est quand même incroyable de voir que personne n'aborde le numérique. A un moment, lors des débats parlementaires, un intervenant évoque la possibilité d'uiliser les outils numériques... Ce à quoi M Bartolone répond que ce ne serait pas faisable techniquement... On sent le fossé générationnel. Ce n'est que dans le compte-rendu des audition que quelqu'un évoque cette idée-là, mais qui n'est pas retenue dans le rapport final.

En ce sens, l'exemple de la Suisse est-il intéressant pour montrer que dans un régime présidentiel comme la France, le référendum tourne plus facilement à un vote sanction contre le gouvernement en place alors qu'en Suisse, avec un régime parlementaire, les citoyens semblent davantage répondre à la question ?

Jean Garrigues : Exactement, c'est pourquoi la multiplication des référendums ne peut se concevoir que si on l’intègre à une révision institutionnelle plus qui abaisse les pouvoirs et la centralité de la fonction présidentielle. Mais c'est très compliqué car au-delà de la question institutionnelle, il y a une enjeu autour de la culture et de la pratique politique. On ne va pas changer en quelques années les mentalités des Français qui tendent à tout focaliser sur l'élection présidentielle. Mais il est clair qu'il y a une sorte de ressenti de déficit démocratique assez généralisé. Par exemple la question du service militaire pourrait aujourd'hui faire l'objet d'une consultation référendaire. Cependant, c'est un processus à manier avec précaution car il est tributaire de ses implications plébiscitaires, alors qu'il devrait être un gage ou un symptôme d'une démocratie qui fonctionne mieux.

Existe-t-il d'autres solutions au déficit démocratique que les référendums ?

Jean Garrigues : Il y a des initiatives qui ont déjà été crées pour améliorer la démocratie en France. Je pense notamment aux comités de quartier à l'échelon des communes. On tente de faire vivre une démocratie plus aboutie. Mais on se heurte à une réalité qui est la question de la disponibilité. On se retrouve avec un espace démocratique qui finalement est réservé à ceux qui ont du temps et donc les retraités principalement. D'ailleurs ce sont les électeurs les plus assidus. Il y aurait donc la nécessité dans une démocratie améliorée de rendre l'accès aux partis politiques plus faciles et plus régulière la consultation des militants. Ceci est en projet dans tous les partis politiques. Du côté des Républicains, il y a une volonté de consulter davantage la base via les réseaux sociaux. C'était aussi présent dans les différents courants au Congrès de Poitiers du PS. Cambadélis parlait même de « Big bang démocratique ». C'est très fort comme expression. L'idée était de donner tout du moins l'impression que le militantisme n'est pas simplement confisquée par une minorité de cadres et d'élus mais que tout le monde a sa place. La démocratie s'exprime d'abord en France par la vie des partis. Le syndicat est aussi un autre acteur majeur de la démocratie. Les syndicats eux aussi doivent prendre en compte les aspirations de l'individu, moins hiérarchisé, plus ouvert et moins connecté.

Mais tout cela est très compliqué du fait de la professionnalisation du politique. Une des filières de démocratisation c'est la lutte contre cette professionnalisation et donc le cumul des mandats qu'il soit horizontal ou vertical. C'est à dire qu'il faudrait lutter contre les carrières trop longues dans la politique. L'idée est d'ouvrir un peu plus l'accès à la fonction politique à d'autres. Mais cela signifie qu'il y a un statut de l'élu à revoir totalement. Par exemple en donnant accès à un élu, qui aurait un mandat bref et limité, un poste dans le privé à la fin de son mission.

Michel Winock et Claude Bartolone ont rendu à l'Assemblée nationale un rapport sur la démocratisation des institutions. Qu'en pensez-vous ? Peut-il faire avancer réellement la démocratie ?

Jean Garrigues : On voit bien que la plupart des lignes de force qui sont lancées, que ce soit dans la commission Balladur ou maintenant Bartolone-Winock, font l'objet de réticences très fortes, notamment sur la question du cumul des mandats. Je crois néanmoins que les partis sont à l'écoute de plus en plus de ce demande e démocratisation. Je pense que la consultation par internet va venir des partis eux-mêmes. Il faut rappeler que c'est une expérience qui a été tentée dans la campagne de Ségolène Royal en 2007. Il faut lui reconnaître au moins cette volonté à une échelle de nationale de faire remonter les idées et projets de la base. Mais ce n'est pas nouveau. Ça témoigne aussi d'une volonté de se mettre à jour et de réagir. Simplement, le problème qui revient comme un leitmotiv, c'est cette confiscation du pouvoir politique par un petit nombre et cette tendance à la « castification » de la classe politique.

Comment faire en sorte que les citoyens se ré-approprient la chose publique ?

Angèle Malatre-Lansac : L’Institut Montaigne propose de nouvelles voies d’action pour contribuer au débat public en France.

Parmi nos initiatives récentes pour associer les citoyens à la réflexion sur les politiques publiques, nous avons choisi en 2012 de mettre en œuvre une méthode originale qui a déjà fait ses preuves : une conférence de citoyens. Ce dispositif permet de sortir des réflexions « entre experts » et d’intégrer dans le débat public les points de vue de celles et ceux qui sont concernés dans leur vie quotidienne par les choix politiques, comme utilisateurs, bien sûr, mais aussi comme financeurs.

Véritable outil de démocratie participative, les conférences de citoyens permettent d’associer davantage et plus étroitement les citoyens au débat public ainsi qu’à la prise de décision politique. Elles restent trop peu connues et utilisées en France, alors qu’elles ont prouvé leur efficacité dans d’autres pays de l’OCDE, notamment au Danemark, où elles ont vu le jour, mais aussi en Allemagne, ou encore au Canada.

L’objectif des conférences de citoyens est donc de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas pour mesurer le plus finement possible la nécessité et l’acceptabilité d’une réforme. Ces dispositifs permettent de voir où se situe la frontière des possibles et de dégager le socle consensuel le plus large possible pour l’avenir.

Nous avons choisi en 2012 d’organiser une conférence de citoyens sur le système de santé français. Les questions posées aux participants étaient les suivantes : « Quel système de santé voulons-nous ? Comment souhaitons-nous l’utiliser et le financer pour qu’il soit viable ? »

Le dispositif se déroule en trois étapes :

Ainsi, dans un premier temps, d'octobre à décembre 2012, 25 citoyens venus de différentes régions de France et répondant à de nombreux critères de diversité (sexe, âge, niveau de diplôme, profession, etc.) ont été réunis par l’Institut Montaigne. Ils ont suivi pendant deux week-ends un programme de formation sur les grands enjeux de notre système de santé, élaboré par un comité de pilotage représentant une pluralité de points de vue, indépendant et bénévole.

Dans un deuxième temps, ils ont confronté leurs idées et débattu avec des acteurs du système de santé : médecins, économistes, pharmaciens, décideurs politiques, associations de patients, etc.

Enfin, dernier temps de la conférence de citoyens : la rédaction de l’avis. A l’issue des débats, le panel de citoyens a rédigé lui-même un avis contenant ses réponses aux questions initialement posées.

La lutte contre le rejet des élites politiques passe aussi par le renouvellement des élus. On constate trop souvent le faible nombre de femmes, de personnes issues de la diversité, de jeunes ou encore de salariés du secteur privé au sein de la représentation nationale. Les fonctionnaires sont plus nombreux sur les bancs du Parlement en raison du statut protecteur de la fonction publique qui leur permet de retrouver un emploi une fois le mandat passé (ou les élections perdues). Pour remédier à ça, des initiatives ont été prises récemment pour faciliter aux cadres du privé l’accès aux fonctions électives : on peut par exemple souligner l’engagement de Michelin, qui a été suivi par d’autres entreprises (Malakoff Mederic, Adecco…) et qui propose à ses employés qui briguent un mandat électoral une protection et des garanties, leur permettant notamment de retourner dans l’entreprise à l’issue du mandat. C’est essentiel pour encourager les vocations et donner aux salariés du privé l’envie de s’engager en politique.  

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Gaspard Koenig : D'abord, on voit que les citoyens se réapproprient tous seuls la chose publique. Ils sont actifs sur les réseaux sociaux. Cette participation numérique permet de générer des groupes de discussions, des associations d'idées, très loin de ce que l'on lit dans la presse même de qualité, et qui sont parfois extrêmement intéressantes produites parfois par des gens bien informés. Sur twitter, le nombre de gens qui ont sur leur profil le mot "libéral" est incroyable ! Tous ces gens là se regroupent et se parlent entre eux, utilisent les mêmes médias, des références communes, et s'organisent de manière totalement virtuelle. Il y a un fossé entre la superstructure qui ne bouge pas et la participation réelle à la chose publique, qui n'a pour le moment aucune incidence sur les lois ou sur l'action publique. Il va donc va falloir trouver des solutions pour qu'elles se rejoignent.

Est-ce qu’on ne peut pas parler d’un début de prise de conscience du politique de ce problème ?

Gaspard Koenig : J’ai participé à un colloque à l’Assemblée Nationale sur la démocratie directe, participative … Il y a donc des colloques sur ce sujet qui démontrent que certains y réfléchissent. Néanmoins, cette problématique qui est à l’écart des grands sujets débattus par les partis au sein des grands débats nationaux. La question est abordée par des individus plus jeunes et plus éclairés, mais pas dans les structures concernées. Il réside l’espoir qu’une prise de conscience commence, mais nous restons vraiment très loin du compte.

Est-ce-qu’une des solutions n’est-elle pas de poursuivre un mécanisme d’ubérisation de la politique (service à la carte, application, site internet, chat). Est-elle suffisante pour montrer aux citoyens que les choses bougent ?

Gaspard Koenig :Si l’ubérisation se traduit par la disparition des intermédiaires, il n’est pas anormal que cela arrive dans le monde politique. La fonction même du représentant politique qui a été imaginée au XIXème siècle par la démocratie représentative n’a plus de raisons d’être, puisque les Français ont les outils pour faire cela en direct. Il y a d’ailleurs plusieurs manières de justifier la démocratie représentative, il est évident que les bouleversements techniques remettent en cause la vielle idée dans laquelle le pays est grand et que nous avons besoin de représentants ne serait-ce que pour des raisons géographiques. D’autres évoquent le fait que la démocratie représentative se justifie par la plus grande capacité des hommes politiques à maitriser les enjeux et la chose publique. De facto, aujourd’hui, cet argument n’est plus recevable. Nous perdons de plus en plus les intermédiaires en politique.

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