CNR et rencontres de Bercy : la démocratie française rudoyée<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors du lancement du Conseil National de la Refondation à Marcoussis.
Emmanuel Macron lors du lancement du Conseil National de la Refondation à Marcoussis.
©Michel Euler / POOL / AFP

Initiatives du chef de l'Etat

La rentrée politique a été marquée par deux initiatives présidentielles qui posent sérieusement question.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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La rentrée de Septembre a été le siège de deux initiatives présidentielles qui posent sérieusement question. D'une part, il y a eu ces rencontres ( ou entretiens ) de Bercy au cours desquels les groupes parlementaires ont traité du budget 2023. Puis, il y a eu l'installation à Marcoussis du Conseil national de la Refondation sous l'égide directe du Chef de l'État.

Concernant les rencontres de Bercy, elles relèvent d'une procédure inédite.

Depuis 1958, c'est en commissions parlementaires et dans l'Hémicycle que se traite la question budgétaire. Ici, il y a contournement de process voire détournement de l'expression de la volonté des représentants du peuple au profit de tractations dénuées de relevés de conclusions.

Inspecteur général des Finances et ancien ministre de l'Économie, le président Macron a impulsé des pourparlers de corridors au sein desquels toutes actions de marchandage sont envisageables et hélas probables.

Extérieurement la mauvaise foi trône sur cette opération comme les figurines de mariés au sommet d'une pièce montée. Il nous est dit que le Gouvernement est dans une séquence de dialogue avec les oppositions et qu'il souhaiterait éviter de devoir recourir à la procédure régie par l'article 49-3 de la Constitution.

Cette affirmation ne tient pas la route au regard des positions d'ores et déjà connues des oppositions et notamment des L.R. Dans quelques semaines, au lieu de dire que le débat est bloqué à l'Assemblée ( d'où le 49-3 ), Bruno Le Maire et Gabriel Attal, la main sur le cœur, viendront expliquer aux citoyens qu'ils ont déployé leurs meilleurs efforts pour aboutir à un compromis, mot fétiche à l'envi utilisé par Madame Borne.

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Michel Charasse avait expliqué : " En cohabitation, celui qui dégaine le premier est celui qui meurt ! ". Ici, instruit de la violence citoyenne du 49-3 à la mode Manuel Valls ( quinquennat Hollande ), Emmanuel Macron sait fort bien que tout ceci finira en 49-3 mais il veut feindre de nous faire croître que tel un agneau du Quercy, il a une douceur angélique à l'opposé de la haine des oppositions parlementaires. Il faut vraiment mépriser les Français pour les croire dupes d'une telle manipulation.

Tout ce temps gaspillé en esthétique ne change pas la qualité de la copie qui porte, dans ce PLF 2023, un déficit budgétaire initial de plus de 115 Mds. Les économistes ont compris depuis bien longtemps que les mesures de défense du pouvoir d'achat ( poursuite partielle du bouclier énergétique, notamment ) et autres mesures budgétaires additionnelles nous conduiront vers un collectif budgétaire, à l'été 2023, de près de 150 milliards d'€uros.

Avec le respect dû à sa fonction, force est de constater que ce président ne sait pas gérer. Dommage qu'il fût trop jeune pour avoir connu les cours de Raymond Barre ou de Pierre Lalumière.

Hors Covid qui est un évènement exceptionnel, la dette et Macron sont un couple d'inséparables dignes de deux perruches dans une cage où l'entendement et la rigueur n'ont pas possibilité d'exister.

Concernant les entretiens de Bercy, je considère que l'on ne doit pas gérer le processus budgétaire comme des négociations de pactes d'actionnaires d'une start-up en phase 2.

Le doyen Maurice Hauriou a eu l'occasion d'écrire que " La raison d'être du Parlement vient avant tout du vote de la Loi de Finances ". Il n'existe aucune démocratie d'envergure qui pratique ce qui s'est déroulé à Bercy.

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Mais la rentrée ne se limite pas à ce dévoiement lié au budget : il y a en effet l'installation dans un temple de l'ovalie, Marcoussis, du CNR.

On se souvient du " vous n'avez pas le monopole du cœur " en 1974 de VGE, je considère qu'il y a des sigles que notre Histoire nous impose dans le soleil de leur unicité. Il est aussi déplacé, et finalement puéril, de reprendre le terme de CNR qui porte un superbe inconscient collectif et un bilan là où le mini cnr – en minuscules – d'Emmanuel Macron fera " pschiit " pour reprendre un terme de Jacques Chirac d'autant plus idoine que le principe évoqué des consultations en ligne laissent fort songeurs.

Le cnr version Macron est déjà un bottin téléphonique empli d'absents. A cet égard, l'analyse du président de la CFE CGC, François Hommeril, est instructive et emporte mon assentiment.

Sur une autre échelle, quel échec !Des prétendants de 2027 ne viendront pas alors même que le deuxième mandat n'a pas 6 mois d'existence. Elles coûtent chères ces voix qui ont manqué à Richard Ferrand. Alors, à défaut, le président confie les clefs de cette camionnette au maire de Pau.

Le format d'une forme institutionnelle dépend souvent de son secrétaire général. Ici, nous sommes loin de l'albatros et voisin du rouge-gorge.

Ce qui est intéressant, outre les coûts additionnels de fonctionnement pour les budgets publics, c'est que ce cnr est une manière préoccupante de contournement du Parlement. Aurore Bergé l'a explicitement envisagé !

Le cnr aura à traiter de questions dignes d'un cours des grands enjeux contemporains de Sciences Po', ne sera responsable que devant le chef de l'État et nul ne peut dire s'il fonctionnera en interne sur le mode du vote.

Quand une solution partisane est cherchée au travers de la décision d'un seul, fût-il président de la République, nous quittons de facto les rives de la démocratique parlementaire pour rejoindre un césarisme démocratique qui, en l'espèce, ne se pare même pas d'un soupçon de pudeur.

On connaît le destin des milliers de cahiers remplis soigneusement par les participants au Grand débat. Quand le chef n'en a plus eu besoin pour sa défense personnelle post Gilets jaunes, tout a été remisé dans les pièces d'archives de nos vaillantes Préfectures.

Le cnr minuscule ne saurait empiéter sur l'ordre du jour du Parlement. S'il voit ses conclusions muées en projets de Loi, il y aura un précédent par lequel un " machin " empiète à la fois sur le législatif et sur l'exécutif.

Cette nature hybride ne correspond pas à la hiérarchie des normes que le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont vocation à superviser.

En matière de sociétés commerciales, le législateur a introduit des " Comités de rémunérations ", " Comités de déontologie ", etc. L'éminent et regretté commissaire aux comptes Édouard Salustro avait pris le temps d'écrire un texte percutant sur " les dangers de la comitologie " ( Petites Affiches ) et effectivement ce que cette notion a gagné en extension n'est pas gage de meilleurs contre-pouvoirs au sein des SA et autres SAS faisant appel public à l'épargne ou non.

Il est d'ailleurs intéressant de visualiser les obligations de diffusions d'informations des sociétés cotées et le futur flou du fonctionnement du mini cnr.

Formé par Bernard Tricot, ancien secrétaire général de la présidence sous Charles de Gaulle, je garde en mémoire son attachement au texte de la Constitution. L'actuel président nous déclare en guerre ( excusez du peu ) sans recourir à la procédure de l'article 35 qui associe le Parlement, étend la compétence stricto sensu du conseil de Défense au mépris de la lettre de l'article 15.

Incapable du moindre mea culpa alors que la Constitution est écartée de son regard, il laisse Bruno Le Maire préciser que nous sommes en guerre énergétique. Soit.

Mais ces faits empilés démontrent que notre démocratie n'a jamais autant été malmenée et que cet appendice du CNR pourrait bien aboutir à un gadget coûteux ou à un pseudo-doublon.

La Constitution du 4 Octobre 1958 est adulée par l'Élysée en son article 49-3 et méprisée dans de trop nombreuses sections et articles.

Ainsi, le Conseil économique, social et environnemental( CESE ) pouvait fort bien, à droit constant, remplir le rôle du mini cnr.

Mais il est dans l'esprit de certains leaders de ne respecter que ce qu'ils ont fabriqué. Ce fonctionnement égotique renforce les craintes de certains juristes qui voient bien que notre démocratie est malmenée par des pulsions potentiellement liberticides qu'un homme manifestement frustré de ne pouvoir juridiquement se représenter en 2027 ne manque déjà de faire prospérer dans son for intérieur.

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