Citoyens des démocraties libérales contre peuples des régimes autoritaires : qui a le plus peur de qui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Joe Biden, Felix Tshisekedi, Emmanuel Macron, Recep Tayyip Erdogan, Ursula von der Leyen, Boris Johnson posent lors d'une photo durant le sommet du G20 le 30 octobre 2021.
Joe Biden, Felix Tshisekedi, Emmanuel Macron, Recep Tayyip Erdogan, Ursula von der Leyen, Boris Johnson posent lors d'une photo durant le sommet du G20 le 30 octobre 2021.
©FILIPPO MONTEFORTE / AFP

"L'épreuve du siècle"

La Fondapol vient de publier l’étude "Libertés : l’épreuve du siècle" menée dans 55 pays, et a interviewé plus de 47 000 personnes.

Mathilde Tchounikine

Mathilde Tchounikine

Mathilde Tchounikine est chargé de mission auprès de la Fondation pour l'innovation politique. 

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Atlantico : Vous venez de publier un rapport "Libertés : l’épreuve du siècle". Une large partie de votre analyse est dédiée à la question "De qui les démocraties ont peur ?" : Chine, Russie, Turquie, etc. Quelles sont les principales craintes des citoyens des démocraties envers ces pays ?

Mathilde Tchounikine : Dans notre enquête, nous avons cherché à savoir comment les citoyens se positionnent face à l’attitude de ces puissances autoritaires sur la scène internationale. Les résultats sont frappants : 60 % des personnes interrogées estiment l’attitude de la Chine sur la scène internationale « inquiétante », un chiffre en très nette hausse par rapport à notre étude de 2018. Les raisons sont multiples. C’est en Asie-Pacifique, région qui subit de nombreux comportements agressifs de la part de Pékin, que l’inquiétude est la plus forte, bien qu’elle soit également très importante en Amérique du Nord ainsi qu’en Europe. Cependant, nous remarquons que les pays ayant de fortes relations économiques avec la Chine, comme le Liban, le Mexique, ainsi que les pays d’Europe centrale et de l’est, pays à la frontière du projet des « Nouvelles Routes de la Soie », semblent moins inquiets.  

Pour la Russie ainsi que la Turquie, ce sont les Européens qui sont les plus inquiets. Sans surprise, les chiffres des pays en conflit avec ces deux puissances sont particulièrement importants. Ainsi, les Ukrainiens et les Géorgiens craignent particulièrement la Russie, tandis que la plupart des Grecs et des Chypriotes disent leur inquiétude face à l’attitude de la Turquie.

Au-delà des conflits géopolitiques, nos données montrent la crainte, plus large, d’un risque de déstabilisation des démocraties. Ainsi, 88 % des répondants redoutent la perturbation des campagnes électorales par des puissances étrangères, notamment via Internet et les réseaux sociaux. Les populations les plus inquiètes sont également celles qui ont été victimes de récentes campagnes de désinformation venant de Chine ou de Russie, comme les Philippines (96 %), où le Royaume-Uni (91 %).

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Ces différents bouleversements influencent la façon dont les citoyens perçoivent le monde d’aujourd’hui : la moitié (50 %) des personnes interrogées pensent qu’il est probable « qu’une nouvelle guerre mondiale éclate dans les prochaines années ». Cette proportion est particulièrement importante parmi les populations qui ont une proximité géographique avec la Chine, la Russie ou la Turquie, comme en Indonésie (66 %), en Australie (57 %), en Ukraine (55 %) ou en Nouvelle-Zélande (53 %).

Que certains pays démocratiques s’inquiètent de l’influence des pays autoritaires est acté, mais votre rapport souligne aussi une envie de liberté y compris dans les pays moins démocratiques. Cela inquiète-t-il les régimes autoritaires ? Dans cette double relation entre régimes autoritaires et démocraties, qui a le plus peur de l’influence de qui ?

Les régimes autoritaires ont besoin, pour survivre, de discréditer et de déstabiliser les démocraties. Le système démocratique, basé sur les droits et les libertés des citoyens, est une source d’inspiration pour les populations des régimes autoritaires, fondés sur la soumission et l’obéissance. En conjuguant libertés et haut niveau de développement, les régimes démocratiques prospères deviennent des modèles auxquels aspirent les populations des régimes autoritaires, exerçant donc une pression constante sur leurs dirigeants.

Or, nos données montrent que l’attachement aux libertés est unanime. Globalement, ce sont 83 % des répondants qui considèrent important le fait de pouvoir manifester, 94 % d’avoir la liberté de la presse, 95 % de pouvoir participer soi-même à la prise de décision, et 96 % de pouvoir voter pour les candidats de leur choix et d’avoir le droit de dire ce que l’on pense.

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Parmi les pays que nous avons intégrés à notre enquête, huit sont considérés comme des régimes « hybrides » (la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, le Liban, la Macédoine du Nord, la Moldavie, le Monténégro, le Nigéria et l’Ukraine). Nous avons également choisi d’interroger les citoyens de Biélorussie, pays considéré autoritaire. Nous remarquons que, dans ces pays où la majorité, voire la plupart des citoyens estiment que leur démocratie fonctionne mal, ces demandes de libertés sont également très présentes, mettant en effet en péril les gouvernements non démocratiques.

Votre rapport souligne aussi bien une persistance de l’idéal démocratique qu’une critique de l'État de la démocratie par les habitants des pays démocratiques. Il y a même une certaine aspiration, notamment chez les jeunes à plus d’autorité voire d’autoritarisme. Comment s’articule ce phénomène ? Comment expliquer ce paradoxe ? A quoi aspirent les habitants des démocraties occidentales ?       

Si la moitié (50 %) des répondants de notre enquête jugent que leur démocratie fonctionne mal, il est important de noter que la critique vise le fonctionnement de la démocratie, et non pas le système de la démocratie en lui-même. Parmi les six formes de régimes que nous avons testées, celui de la démocratie représentative est toujours massivement approuvé : 81 % des répondants estiment qu’il s’agit d’une bonne façon de gouverner. Ces résultats sont bien au-dessus des options autoritaires : le niveau de soutien est de 36 % pour « avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections », et de 25 % pour « que l’armée dirige le pays ».

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L’attrait pour les formes de régimes autoritaires est en effet plus fort chez les 18-34 ans : ils sont 44 % à supporter un régime basé sur un homme fort, et 36 % sur l’armée, contre respectivement 25 % et 11 % chez les plus de 60 ans. Les jeunes générations sont également moins nombreuses à se déclarer inquiètes de l’attitude des puissances autoritaires sur la scène internationale : 53 % des 18-34 ans indiquent craindre la Chine, 44 % la Russie et 30 % la Turquie. Chez les répondants de plus de 60 ans, ces chiffres montent à 72 %, 70 % et 52 %. Cet attrait peut notamment s’expliquer par le fait que les régimes autoritaires soient perçus comme des régimes plus efficaces que les démocraties, idée sans doute renforcée par la pandémie de COVID-19. Ainsi, la moitié (51 %) des répondants indiquent être d’accord avec le fait que « les gouvernements autoritaires sont plus efficaces que les gouvernements démocratiques pour vaincre les pandémies, comme celle de la Covid-19 ».

Cela peut en effet être interprété comme une demande d’autoritarisme. Pourtant, lorsque l’on demande aux répondants s’ils seraient prêts à abandonner un peu de leur liberté pour avoir un gouvernement plus efficace, la plupart (67 %) répondent non. Globalement, les citoyens privilégient toujours leurs libertés individuelles à leur demande d’efficacité. Il convient cependant d’être prudent sur l’avenir de ces questions. Les moins de 35 ans sont en effet plus nombreux à penser que les régimes autoritaires sont plus efficaces pour faire face aux pandémies (61 %, contre 36 % des plus de 60 ans), mais également plus nombreux à indiquer qu’ils accepteraient de réduire leurs libertés au nom de l’efficacité (35 %, contre 28 % des plus de 60 ans).

Ce relatif désenchantement de la démocratie est-il perçu par les populations des pays plus autoritaires ? Lorsque les citoyens de ces pays demandent plus de libertés, est-ce un modèle à l’occidentale qui est toujours leur horizon ? Quelles limites à cette envie de liberté ?

Dans les 55 pays de notre enquête, qu’ils soient plus ou moins démocratiques, les citoyens montrent les mêmes préoccupations envers leur régime. Parmi les critiques adressées aux démocraties, nous retrouvons en premier lieu la corruption : 47 % des répondants estiment que la corruption est l’une des menaces les plus importantes à la démocratie dans leur pays. Si ce sentiment est majoritaire (54 %) parmi les citoyens qui estiment que leur démocratie fonctionne plutôt mal, il reste tout de même important chez ceux qui indiquent que leur démocratie fonctionne bien (40 %).

Néanmoins, les principes de la démocratie restent plébiscités, y compris parmi les régimes plus autoritaires. En Macédoine du Nord par exemple, si une majorité (57 %) de la population estime que « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple », ce sont 94 % qui estiment qu’il est important de pouvoir voter pour le candidat de son choix pour le bon fonctionnement de la démocratie. De même, globalement, ce sont 56 % des répondants qui indiquent leur défiance envers les médias. Pourtant, ils sont 94 % à estimer que la liberté de la presse est importante.

Cependant, il existe bien une remise en cause du système de démocratie occidentale, y compris au sein même de l’Union européenne, où des gouvernements se réclament d’une « démocratie illibérale », comme en Pologne ou en Hongrie. Les démocraties illibérales se définissent par un gouvernement élu, qui remet en question les limites que le droit impose à tout pouvoir, y compris au pouvoir de la majorité électorale. C’est l’État de droit. Nous remarquons que, dans ces pays, la confiance dans les institutions nationales est fortement impactée. Ce sont seulement 25 % des Polonais, et 26 % des Hongrois qui indiquent avoir confiance dans leur gouvernement national (la moyenne de l’UE étant de 41 %), tandis qu’une majorité (53 % de Hongrois et 55 % des Polonais) cite leur gouvernement comme l’une des plus grandes menaces à la démocratie dans leur pays.

Si le modèle de démocratie libérale peut donc en effet sembler fragilisé, bousculé par les dysfonctionnements et par le renforcement des régimes autoritaires, il est important de noter que nos données ne montrent pas de réel désenchantement des citoyens envers le système démocratique, mais bien, dans les régimes autoritaires comme démocratiques, une demande de meilleur fonctionnement de leur démocratie. Il appartiendra donc aux gouvernements d’y répondre, afin d’éviter l’avènement du désenchantement.

Pour retrouver l'étude de la Fondation pour l'innovation politique, "Libertés : l'épreuve du siècle", cliquez ICI

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