58% des salariés français oubliés ? Toutes les bonnes intentions du monde envers les PME ne les sauveront pas des réformes qui continuent à les confondre avec le CAC 40<!-- --> | Atlantico.fr
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Suppression de la TVA sociale, sécurisation de l'emploi, hausse de la CSG, déficit commercial abyssal et vagues promesses sur le développement de la recherche, l’innovation et l’industrie... A quoi pourrait ressembler le futur rapport Gallois ?
Suppression de la TVA sociale, sécurisation de l'emploi, hausse de la CSG, déficit commercial abyssal et vagues promesses sur le développement de la recherche, l’innovation et l’industrie... A quoi pourrait ressembler le futur rapport Gallois ?
©Reuters

Il faut que ça change

Jean-Marc Ayrault s'est engagé mardi à un "choc de compétitivité" d'ici la fin de l'année. Des propositions devraient être avancées ce mercredi en réunion interministérielle... Reste au gouvernement à prendre conscience qu'une PME n'est pas un groupe du CAC 40.

Jérôme De Rocquigny et Régis Coeurderoy

Jérôme De Rocquigny et Régis Coeurderoy

Jérôme de Rocquigny est vice-président au sein d'une association patronale, le Cerf

Il dirige lui-même deux centres de formation privés à Nice formant des BTS tertiaires en alternance. 

Il travaille également avec des représentants des autorités chinoises pour des projets de formation professionnelle.
 

Régis Coeurderoy est professeur en management stratégique à ESCP Europe et membre du collège scientifique à l’institut pour l’innovation et la compétitivité  i7 porté par ESCP Europe. 

Il a notamment travaillé sur les stratégies de marché des innovateurs, les processus d’internationalisation des entreprises de hautes technologies et, plus récemment, sur le rôle stratégique des systèmes de motivation dans la création de valeur des entreprises de connaissance.

 

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Atlantico : Une réunion interministérielle présidée par le Président de la République porte ce mercredi sur la compétitivité... Jean-Marc Ayrault a notamment promis d'ici à la fin de l'année des propositions donnant lieu à un "vrai choc". Suppression de la TVA sociale, sécurisation de l'emploi, hausse de la CSG, déficit commercial abyssal et vagues promesses sur le développement de la recherche, l’innovation et l’industrie... A quoi pourrait ressembler le futur rapport Gallois ?

Jérôme de Rocquigny : Monsieur Gallois semble avoir découvert que la bonne santé  économique des entreprises passe par une réduction radicale du coût de travail. En effet, il semble acquis que certain ont définitivement compris que le dynamisme économique mondial nécessite de la compétitivité dans le coût du travail, puisque l'on ne maîtrise plus le prix des matières premières.

On  aimerait aussi que la recherche et l'innovation (qui est notre fort et si utile à l'industrie) sensibilise les esprits. Comment y arriver ? En générant de la croissance et en facilitant l'emploi dans les TPE / PME. Monsieur Gallois et d'autres initiés découvrent encore que le déficit commercial français pénalise l'ensemble des acteurs économiques. Reste qu'il s'agit du gros point noir que nos gouvernants ne savent pas régler, en partie, c'est vrai, parce qu'il n y a pas de réelle volonté politique de voir au quotidien le commerce extérieur comme une solution plutôt que comme une contrainte... Pour preuve, le désert dans lequel s'est perdu la France dans sa non présence à l'étranger.

Alors monsieur Gallois va devoir chercher et trouver quelques dizaines de milliards d'économie de charges qui pèsent sur l'entreprise. Dans une hypothétique reprise massive que cette baisse du coût du travail provoquerait, on aimerait aussi que la problématique de la trésorerie des entreprises et de leur riches fournisseurs (les banques) soit une priorité. 

Régis Coeurderoy : Entendre parler de mesures en faveur de la compétitivité n’est que rarement très bon signe. Ce type de discours et les actions qui y sont associées indiquent le plus souvent une situation inquiétante, voire alarmante. Force est de reconnaître que la France se place de plus en plus dans ce cas de figure ces derniers temps. Le récent rapport du World Economic Forum qui fait sortir le pays du Top20 n’est qu’un cri d’alarme parmi d’autres. Le problème de compétitivité de la France n’est d’ailleurs plus guère enjeu de débats.

Pour que ce constat ne soit pas fatalité, on attend beaucoup de nos entreprises pour exercer le « redressement national », même si personne n’a encore trouvé la pierre philosophale.

A l'heure de la sortie du rapport Sartorius sur les difficultés financières de PSA (qui reconnaît notamment la nécessité du plan social engagé), le gouvernement n'est-il pas plus préoccupé par la sauvegarde des grands groupes du CAC 40 que par le soutien aux TPE et PME ?

Jérôme de Rocquigny : En ce qui concerne PSA, le gouvernement n'a pas vraiment le choix et ne peut que constater les dégâts... En revanche, il lui faut être extrêmement vigilant avec le monde périphérique de la sous-traitance, qui lui est composé de TPE et PME qui risquent de mourir sans grande publicité pour l'occasion.

La France a besoin de ses grandes entreprises, parce qu'elles peuvent être aussi de formidables locomotives d'innovation et avoir un impact psychologique fort. Mais n'oublions pas les PME ! Nos amis et voisins allemands l'ont bien compris, et ce depuis longtemps. Il est vrai qu'outre-Rhin, les petits patrons sont des hommes et femmes très fréquentables... Ce qui malheureusement pas le cas chez nous.

Régis Coeurderoy : Les PME et les TPE, en particulier, devraient être les moteurs des emplois futurs, alors que les plus grandes entreprises réduisent leurs effectifs en France pour se redéployer sur les marchés émergents. Les petites et moyennes entreprises sont donc officiellement la cible privilégiée des politiques publiques.

Après beaucoup d’autres, le gouvernement actuel, par la voix de son ministre de l’économie au micro de RMC/BFMTV, annonce ainsi que le futur pacte de compétitivité "comprendra des mesures pour la recherche et l'innovation, ce qui concernera notamment le crédit d'impôt recherche"(CIR). Parallèlement, la Banque publique d'investissement, en faveur des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), sera présentée au Conseil des ministres ".Voilà tout est dit.

Si ces mesures d’allégement fiscal, de soutien à l’investissement, de simplification administrative (parfois plus théoriques que pratiques) ou d’assouplissement du marché du travail ne peuvent qu’être accueillies favorablement, peuvent-elles suffire pour que les PME puissent prendre un rôle actif dans la bataille ?

Justement, en engageant des mesures "taillées" pour la relance des grands groupes français, le gouvernement ne commet-il pas une bévue grossière, condamnant de fait le premier employeur de France (les TPE-PME) ?

Jérôme de Rocquigny : En effet, nous restons incapables en France de concevoir deux modèles à la fois... Il y a pourtant une grande dangerosité à tout mélanger et ne pas faire du "sur mesure". En même temps que la mise en place d'une réglementation plus souple (aussi bien pour l'emploi que pour la fiscalité) à destination des entreprises du CAC 40, le gouvernement va donc devoir penser à mettre très vite sur pied des "réformes adaptées" pour les TPE / PME.

Cela fait plus de trente ans (1979) que toutes les réformes fiscales et sociales de notre pays n'ont eu de cesse de mettre à mal les TPE et PME françaises. Personne - ni chez les politiques ni chez les journalistes, ni même chez les partenaires sociaux - ne s'étonne qu'en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne, le nombre moyen d'entreprise de petites et moyennes taille tourne aux alentours de 5 millions. En France, nous nous illustrons par un triste record mondial : celui des défaillances d'entreprises. Ainsi, nous n'atteignons que difficilement les 2 600 000 entreprises.

Et pourtant, ces 2,6 millions de TPE / PME représentent aujourd'hui 58% des salariés en France. Elles sont de plus les seules a créer véritablement de l'emploi. En 10 ans, le monde industriel et les grands groupes ont perdu près d'1,5 millions d'emplois, alors que les TPE / PME constituent encore 80% des créations d'emplois et 90% de la création de valeur ajoutée.

Fort de ce constat, il serait temps de penser petites et moyennes entreprises en France ! Et d'engager une véritable réforme quant à la représentativité de ces acteurs économiques, que personne ne défend comme il le devrait... Que la France elle-même ne défend pas comme elle le devrait ! Les bénéfices en seraient immenses et immédiats.

Régis Coeurderoy : On peut en effet en douter de l'efficacité de ces mesures, et ce pour plusieurs raisons : en premier lieu, le retard de compétitivité étant marqué, ces améliorations marginales ont peu de chance de produire des effets visibles sur le court ou le moyen terme. En particulier, elles paraissent presque dérisoires par rapport au retard de compétitivité internationale.

En second lieu, dans l’éventail des mesures, les grandes entreprises ont une plus grande capacité à en tirer bénéfices rapidement. Mieux informées, mieux conseillées et mieux dotées en ressources humaines, elles intègrent plus rapidement que les PME ces changements de l’environnement réglementaire qu’imposent les politiques.

Plus, en cas de difficultés sérieuses, elles peuvent réallouer certaines de leurs activités sous des cieux plus cléments. La simple menace suffit parfois… En conséquence, et sans refaire la fable du loup et de l’agneau, les bonnes intentions qui visent les PME ne sont suivies proportionnellement que de peu d’effets et les grandes entreprises en tirent beaucoup plus de profits.

Symbolisme, rayonnement à l'étranger, partenaires sociaux, formations politiques... Comment expliquer justement ce réflexe gouvernemental de s'adresser en premier lieu aux grands groupes du CAC 40 qui sont pourtant plus enclins à délocaliser certaines branches d'activité ? Et que faire pour les TPE - PME ?

Jérôme de Rocquigny : Notre pays souffre depuis un trop grand nombre d'année d'un manque cruel d'imagination. Le monde politique - de droite comme de gauche - pratique ce qu'il connaît le mieux : la défense du capital et de l'Etat. Les hommes et femmes politiques de notre pays ne sont donc plus représentatifs du tissu économique français. Combien sont issus de l'entrepreneuriat, des TPE ou PME, de l'artisanat ou du monde agricole ?

Fonctionnaires, médecins ou avocats sont-ils vraiment moins représentatifs ? Non bien sûr, mais ils forment le cercle de gouvernance sur lequel s'appuie le pays, et dans lequel on pioche avec plus ou moins de bonheur les dirigeants des grandes entreprises.

Plus inquiétant encore, le monde des TPE / PME leur fait peur... C'est un monde dur, où il faut se battre tous les jours, où la souffrance est là, où le stress de l'échec ne faiblit pas. C'est peut-être là un premier élément de réponse : on ne va pas chercher des réponses ou des solutions  dans un univers que l'on ne connaît pas et qui fait peur de surcroît ! On préfère rester dans le confort des certitudes, même si celles-ci n'amènent aucune réponse ni solution.

Les politiques aidées des partenaires sociaux (qui veulent que rien ne change) se résument à fermer les yeux et se conforter mutuellement. Un peu de poudre au yeux avec quelques fleurons technologiques, et la messe est dite. Délocalisation et recherche de solutions se confondent sans difficultés. Mettre les mains dans le cambouis et aller auprès des petits patrons pour dynamiser l'emploi et l'économie n'est pas encore pour demain.


Régis Coeurderoy :
Non, une PME n’est pas une grande qui n’a pas réussi à devenir grande ! Et non, il n' y a pas que les grands groupes qui comptent ! Pour croître, une PME doit pouvoir s’épanouir dans un éco-système qui stimule la concurrence entre entrepreneurs. Et oui, les PME en croissance devraient être le choix privilégié de nos talents managériaux. Autrement dit, il faudrait instiller une plus grande culture du risque.

Comment faire ? Plusieurs actions seraient possibles, sur le moyen terme. Tout d’abord, le monde des entrepreneurs et des entreprises reste mal connu. Par delà les statistiques classiques sur les entreprises, il importerait de mieux identifier les sources de motivation des entrepreneurs, les compétences dont ils ont besoin et qui leur font défaut et les spécificités des modes de croissance de ces entreprises. Il faudrait certainement également fortement développer les actions de formation pour que ces entreprises puissent très tôt penser leur marché non pas localement, mais internationalement. C’est à cette aune que se mesure la compétitivité.

Il faudrait enfin structurer des réseaux d’affaires plus solides et perméables pour qu’information et connaissance circulent mieux et plus vite, notamment avec les grandes entreprises quand elles sont présentes. Il serait présomptueux et erroné de dire que rien n’est fait en ce sens. Disons que beaucoup reste à faire. Souhaitons que, par delà les mesures fiscales et économiques classiques, des mesures structurelles de ce type soient mises en œuvre sur le moyen terme. Le problème de la compétitivité, de fait, ne pourra pas être résolu par des mesures de court terme. Nos PME actuelles et futures méritent cet effort dans la durée.

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