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Chronique de dynasties d'élus : coups fourrés et petites pépées à Metz
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Bonnes feuilles

Parmi les 550 000 élus locaux qui, dans l'ombre, retissent le lien social, une poignée d'irréductibles défraie la chronique. Presse aux ordres, majorité le doigt sur la couture du pantalon et droits de l'opposition réduits à peau de chagrin : chez ces barons, décentralisation rime rarement avec démocratisation. Issus de dynasties d'élus ou accros au cumul des mandats, ces nouveaux féodaux exercent un pouvoir sans partage. Extrait de "Les Barons", de Jean-Baptiste Forray aux éditions Flammarion (2/2).

Jean-Baptiste Forray

Jean-Baptiste Forray

Jean-Baptiste Forray est rédacteur en chef délégué de La Gazette des Communes. Il a déjà publié Les Barons et La République des apparatchiks.

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Vingt-cinq ans de guerre

Voici un quart de siècle qu’ils se font la guerre. Depuis leur rupture, durant l’entre-deux-tours des municipales de 1989 de Metz, il se passe généralement peu de temps sans qu’un candidat, un tract ou une plainte émanant de l’un ne vienne pourrir la vie de l’autre. Leurs étagères croulent sous les dossiers accumulés sur leur rival. À l’heure de la judiciarisation galopante de la société française, leur antagonisme se matérialise essentiellement devant les tribunaux. Mais pas seulement… Entre ces deux-là, c’est le Far West. Tous les coups sont permis.

Devenu sénateur, François Grosdidier consacre, début juillet 2013, un numéro spécial de sa lettre de parlementaire à « l’hyper-agressivité » et à la « profonde misanthropie » de son collègue. Du jamais vu dans l’univers molletonné du palais du Luxembourg. Principalement composées de coupures de presse parfois vieilles de trente ans et de schémas détaillant les connexions entre les différents porteflingue de « la nébuleuse Masson », ces vingt-huit pages sont diffusées à trois mille exemplaires.

En matière de com’, François Grosdidier, mèche d’animateur de jeu télé et sens aiguisé de la formule, garde une longueur d’avance. Jean-Louis Masson, veste en pied-de-poule et communiqués de presse à l’ancienne, peut aller se rhabiller.

Ces deux spécimens présentent, cependant, quelques traits communs. Aussi conspirateurs qu’ils peuvent se montrer procéduriers, ils flirtent avec la ligne de crête qui sépare la petite manip’ de la bonne grosse barbouzerie.

Guet-apens au Maroc

Dans la catégorie « coups fourrés », tous deux peuvent faire étalage d’un joli palmarès. Le nec plus ultra ? Une bande dénichée par Jean-Louis Masson et diffusée sur le site de Marianne le 30 juillet 2013. On y entend le maire de Woippy évoquer son rival, en compagnie d’un promoteur et d’un troisième larron.

Extraits :

— Ce fou furieux passe son temps à écrire au proc’. Il ne fait que ça, je pourrais en faire un roman ! Le seul truc, c’est de le faire coucher avec une mineure… lance Grosdidier.

— On en a déjà parlé, on trouve personne. J’ai plein de copains qui n’ont peur de rien. À chaque fois que j’ai un locataire qui va pas, le mec, il lui met deux claques dans la gueule et il le fait sortir, mais quand j’ai dit que c’était l’autre… Ils veulent pas. Quant à trouver une mineure en France, euh… coince le promoteur.

— Et au Maroc ? suggère le troisième homme.

— Au Maroc, il se fera piéger comme un lapin, jubile le promoteur.

— Les Marocains, ils ne feront pas une souricière contre un sénateur français. Mais dès que ça pète, je préviens le secrétaire d’État à l’Intérieur en disant « ne le protégez pas, c’est le plus foireux des hommes politiques français », assure Grosdidier. — Il a des capacités intellectuelles énormes, fait remarquer le promoteur. — C’est un polytechnicien fou. Mais au conseil général, chaque fois qu’il allait à un voyage, il demandait où était le quartier à putes, au milieu des officiels, se délecte Grosdidier.

Remake du Dîner de cons

« Il s’agit d’un montage de plusieurs conversations à la demande du troisième personnage, explique, très posément, le maire de Woippy. Cet homme, qui se présentait comme un ingénieur financier proposant des prêts à des taux intéressants pour ma commune et mes administrés, m’a vite parlé de Masson. Nous avons fait, avec lui, une sorte de remake du Dîner de cons. Il nous a proposé de disqualifier Masson par des manières déloyales en recrutant des anciens des services soviétiques qui lui régleraient son compte. Il décrochait son téléphone en parlant une fois en arabe, une autre en anglais, puis, enfin, en russe. C’était psychédélique. Nous le savions mythomane mais pas manipulateur. Il s’est révélé, après, qu’il s’agissait d’un escroc de dimension internationale recherché par la justice. » Et François Grosdidier de soupçonner son rival d’avoir instrumentalisé ce troisième homme pour le piéger.

« Vous connaissez beaucoup de parlementaires qui, se réunissent avec un promoteur immobilier pour jouer la comédie avec un repris de justice ? Sur la bande, on sent bien, à l’intonation, que c’est sérieux, ces histoires de mails au proc’ qui inquiètent et de putes au Maroc », contre-attaque Jean-Louis Masson, la porte de son bureau du Sénat grande ouverte. « D’ailleurs, ajoute-t-il, j’ai été contacté par un homme d’affaires qui utilisait des prétextes fallacieux pour me faire venir au Maroc. »

« Scandale sexuel au Sénat »

Faute de faits véritablement consommés, cette affaire ne va pas bien loin sur le terrain judiciaire. Le dialogue, tout droit sorti des Tontons flingueurs, fait, en revanche, le tour du Net. « Scandale sexuel au Sénat », titre la presse. À Metz, « le » Masson et « le » Grosdidier, comme on dit en Lorraine, dominent dans les conversations de bistrots. Leurs noms, très courants dans la région, donnent à leur contentieux un air de Clochemerle.

Du côté de l’UMP parisienne, c’est la consternation. À force de s’entre-déchirer, la droite locale a déjà réussi le tour de force, aux municipales de 2008, de perdre la mairie de Metz. Un bastion qu’elle détenait depuis l’avènement du suffrage universel en 1848. Avec son improbable « scandale sexuel », elle creuse carrément sa tombe.

Cette affaire vient un peu plus gâter l’été 2012 de François Grosdidier. Depuis une poignée de semaines, la presse cite son nom dans une affaire de pots-de-vin liés au BTP mosellan. « J’ai notamment participé à un montage financier afin d’octroyer la somme de deux fois 22 736,92 euros à monsieur François Grosdidier. Ce montage est intervenu en mars-avril 2008 », jure l’entrepreneur Patrick Malick, dans Charlie hebdo. Un gros mois plus tard, le même dit avoir a été visité au petit matin par deux hommes encagoulés portant rangers et treillis militaire. Pas de doute selon lui, cette intrusion à son domicile constitue, à ses yeux, une tentative d’intimidation. « On m’a dit qu’on allait me tuer. Je pense qu’ils venaient dans un but clair », affirme Patrick Malick au Républicain lorrain.

François Grosdidier manque de tomber à la renverse : « Toutes ces histoires relèvent de la pure affabulation. Comment croire Malick, quand il dit être menacé par des barbouzes qui sont passés par l’étage pour l’attaquer de plain-pied ? Lui-même, d’ailleurs, reconnaît qu’il ne les a pas vus. Mais un membre de sa famille a vu passer… une jambe du toit, avant que les deux barbouzes ne prennent la fuite. Tout cela ne tient pas debout. Quant aux prétendues preuves de Malick contre moi, elles reposent sur des chèques faits à un entrepreneur avec lequel je n’ai aucun rapport. Je me retrouve comme Nicolas Sarkozy, dans “Clearstream”, raccroché à l’affaire du BTP de la Moselle, vieille de quatre ans. »

Le sénateur-maire de Woippy, qui n’a pas été inquiété par la justice dans cette procédure, a poursuivi et fait condamner Patrick Malick en diffamation. Il réclamait la modique somme de 100 000 euros de dommages et intérêts. Cela n’a pas suffi à éteindre l’incendie.

Extrait de "Les Barons - Ces élus qui osent tout !", de Jean-Baptiste Forra, aux éditions Flammarion. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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