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La chrétienne condamnée à mort 
pour avoir bu l’eau d’un puits 
réservé aux musulmans 
est toujours en prison
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Journée de l’infâme

Asia Bibi croupit dans une prison pakistanaise depuis deux ans et demi dans l'attente de son appel. Son crime : "blasphème", après avoir bu de l'eau réservée à ses voisines musulmanes alors qu'elle est chrétienne et discuté la parole du Prophète.

Anne-Isabelle Tollet

Anne-Isabelle Tollet

Anne-Isabelle Tollet est grand-reporter pour France 24 elle est correspondante permanente à Islamabad depuis 2008. Précédemment, elle a été envoyée spéciale dans plusieurs émissions d’information « sept à huit » (TF1), le magazine de la santé (France 5). Elle est l'auteure de Blasphème : Il faut sauver Asia Bibi .

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Atlantico : Vous avez publié « Blasphème » qui retrace l’histoire d’Asia Bibi, pourriez-vous nous rappeler précisément pourquoi cette jeune mère pakistanaise est en prison ?

Anne-Isabelle Tollet : Asia Bibi participait à une cueillette de fruits le 14 juin 2009 dans un champ au Penjab pakistanais. Elle était la seule chrétienne, il faisait 45° degrés à l’ombre, et elle a vu un puits sur lequel était posée une timbale. Comme toutes les autres femmes, elle s’est servie d’eau quand l’une des femmes lui a reproché de souiller l’eau de ce puits. C’est alors qu’Asia Bibi a répondu qu’elle ne pensait pas que le prophète Mahomet soit d’accord avec ses propos car elle avait travaillé avec d’autres employeurs musulmans avec lesquels elle partageait la vaisselle sans que cela ne pose problème. L’autre femme lui a répondu qu’en tant que chrétienne, elle n’avait pas le droit de parler au nom du Prophète et qu’elle venait donc de commettre un blasphème. Le seul moyen de se racheter, lui a-t-elle dit, était de se convertir à l’islam. Ce à quoi Asia a répondu qu’elle croyait en Jésus-Christ, qu’elle respectait le Prophète et l’islam, mais qu’elle voulait conserver sa religion catholique. L’ensemble des femmes du champ sont allées voir le mollah du village en disant qu’Asia avait commis un blasphème sans pour autant répéter ce qu’elle avait dit, car, ce faisant, elles risquaient elles-mêmes d’en commettre un… Le mollah a déposé plainte sur la foi de ces femmes. Depuis cette date, Asia est en prison. Un an plus tard, elle a été condamnée à mort par pendaison par un tribunal local - sous la pression des religieux et des fondamentalistes.

Cette condamnation découle-t-elle d’une loi pakistanaise ou d’un tribunal islamique ?

Il existe bel et bien une loi pakistanaise du blasphème qui a été durcie en 1986 quand le général Zia-ul-Haq a décidé d’islamiser encore davantage la société pakistanaise. Ainsi, des textes de lois condamnaient à mort les blasphèmes commis à l’encontre du prophète Mahomet et à la prison à vie ceux à l’encontre du coran.

Asia Bibi

Asia Bibi a-t-elle pu faire appel de cette condamnation à mort ?

Oui, dès le lendemain de sa condamnation à mort, mais cela fait plus d’un an et pourrait bien durer encore deux ans. L’appel n’a toujours pas eu lieu car c’est un sujet très sensible au Pakistan. En outre, cela arrange bien la classe politique et la justice pakistanaise car le juge qui oserait l’innocenter, serait lui-même condamné à mort par extension et contraint de quitter le pays. Finalement personne ne souhaite trancher dans cette affaire. Tout le monde a intérêt à ce qu’Asia Bibi meurt en prison…

Existe-t-il des précédents ?

Oui, mais c’est la première fois qu’une femme est condamnée à mort. Chaque mois, des musulmans et des chrétiens sont convaincus de blasphème et jetés en prison. D’ailleurs cette loi est également utile pour les règlements de compte. Car il suffit qu’un voisin vous dénonce pour l’envoyer en prison après avoir, par exemple, déchiré un coran devant sa porte  et appelé la police pour constater le blasphème puisqu’il n’y a pas d’enquête et que c’est parole contre parole. Et dans les faits, personne ne se risque à contrer un accusateur car cela reviendrait à commettre un blasphème également… C’est sans fin… Et si ce n’est pas la justice qui vous condamne : c’est la rue. Ceux qui sortent de prison sont souvent tués dans les jours qui suivent…

A-t-elle réussi à mobiliser des soutiens dans son pays ?

Non car les seules personnes qui se soient exprimées sur le sujet ont été tuées. C’est le cas du gouverneur du PendjabSalman Taseer, un musulman, a pris la défense d’Asia Bibi, a été assassiné pour l’avoir défendue. Deux mois plus, tard, le ministre chrétien des minorités Shahbaz Bhatti, a été assassiné à son tour pour la même raison. Plus personne n’ose donc parler d’Asia Bibi et personne n’ose mettre en cause la loi du blasphème.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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