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Guerre d'Algérie : quand Gaston Defferre suggérait que les pieds-noirs « aillent se faire pendre » !
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Le drame des pieds-noirs

"J’ai longtemps pensé que l’Algérie n’était pas mon histoire. Je suis pourtant née à Oran en 1959 et suis l’une de ces milliers d’enfants rapatriés en 1962. On n’est pas pied-noir quand on a 17 ans." Témoignage de Brigitte Benkemoun dans "La petite fille sur la photo: La guerre d'Algérie à hauteur d'enfant" (Extraits (2/2).

Brigitte Benkemoun

Brigitte Benkemoun

Rédactrice en chef de l’émission « Mots croisés » sur France 2, Brigitte Benkemoun a été chef des informations à France Inter, rédactrice en chef de « Ripostes » sur France 5 et longtemps journaliste à Europe 1.

Elle vient de publier La petite fille sur la photo (Fayard, 2012).

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«Que les pieds-noirs aillent se réadapter ailleurs »… En traînant sur Internet, je suis tombée sur un article de presse avec cette phrase de Gaston Defferre en titre. J’ai d’abord eu du mal à y croire. Pensé que la citation était tronquée, déformée, la coupure de journal falsifiée. Mais j’ai retrouvé l’interview que le maire de Marseille avait accordée à Paris-Presse, l’Intransigeant, le 26 juillet 1962, vingt-quatre heures avant notre départ de Nemours.

« Il y a 15 000 habitants de trop actuellement à Marseille. C’est le nombre des rapatriés d’Algérie, qui pensent que le Grand Nord commence à Avignon.

– Et les enfants ?

– Pas question de les inscrire à l’école, car il n’y a déjà pas assez de place pour les petits Marseillais.

– Est-il vrai qu’il règne dans la ville une certaine tension entre Marseillais et pieds-noirs ?

– Oui, c’est vrai. Au début, le Marseillais était ému par l’arrivée de ces pauvres gens, mais bien vite les “pieds-noirs” ont voulu agir comme ils le faisaient en Algérie, quand ils donnaient des coups de pied aux fesses aux Arabes. Alors les Marseillais se sont rebiffés. Mais, vous-même, regardez en ville : toutes les voitures immatriculées en Algérie sont en infraction… Si les “pieds-noirs” veulent nous chatouiller le bout du nez, ils verront comment mes hommes savent se châtaigner… N’oubliez pas que j’ai avec moi une majorité de dockers et de chauffeurs de taxi !

– Voyez-vous une solution aux problèmes des rapatriés à Marseille ?

– Oui, qu’ils quittent Marseille en vitesse ; qu’ils essaient de se réadapter ailleurs et tout ira pour le mieux. »

En séance à l’Assemblée nationale, le grand homme, que j’ai toujours entendu vénérer à la maison, a même suggéré que les pieds-noirs « aillent se faire pendre » ! Le maire de Marseille n’est pas un cas isolé. Robert Boulin, ministre en charge des rapatriés, s’obstine pendant des mois à ne parler que « de vacanciers un peu pressés d’anticiper leurs congés ». « Il n’y a pas d’exode, contrairement à ce que dit la presse. » Puis, quand il en accepte finalement l’idée, il prétend avec le même aplomb que « la plupart des repliés à Marseille ne tiennent pas à travailler[1] ».

En Conseil des ministres, Louis Joxe craint qu’ils « n’inoculent le fascisme en France » et suggère de les expédier « en Argentine, au Brésil ou en Australie ». Le Premier ministre Georges Pompidou suggère une autre option : « Pourquoi ne pas demander aux Affaires étrangères de proposer des immigrants aux pays d’Amérique du Sud ? – Non, s’interpose le Général. Plutôt en Nouvelle-Calédonie ou en Guyane, qui est sous-peuplée, et où l’on demande des défricheurs et des pionniers[2]. »

Pas l’once d’une compassion : « L’intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs », dit froidement le grand Charles, le 4 mai 1962, en Conseil des ministres.

Un autre jour, à Peyrefitte qui lui expose « le spectacle de ces rapatriés hagards, de ces enfants dont les yeux reflètent encore l’épouvante des violences auxquelles ils ont assisté, de ces vieilles personnes qui ont perdu leurs repères, de ces harkis agglomérés sous des tentes, qui restent hébétés… », le Général répond sèchement : « N’essayez pas de m’apitoyer ! » Parlant d’Edmond Jouhaud, l’un des généraux putschistes du 13 mai 1958 : « Ce n’est pas un Français comme vous et moi. C’est un pied-noir. »

Au-delà des politiques, les archives sont hallucinantes. À l’aéroport d’Orly, la direction interdit aux pieds-noirs d’emprunter les escaliers mécaniques parce qu’elle estime que leurs valises et leurs ballots volumineux représentent une gêne pour les autres voyageurs. Dans le centre de Marseille, on peut voir ce panneau : « Les pieds-noirs à la mer ! » Jean-Louis avait raison : les dockers sabotent les cadres qu’ils débarquent des cargos. Quand ils ne sont pas immergés, ils sont éventrés et pillés. Et s’ils arrivent indemnes, c’est qu’ils ont, en outre, réussi à passer aussi entre les mailles de l’OAS, qui emploie les mêmes méthodes en Algérie pour décourager les gens de partir ! (...)

C’est peu de dire qu’ils furent mal accueillis. Eux, comme tant d’autres, à Marseille, Sarcelles, Toulouse ou ailleurs.

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Extraits de La petite fille sur la photo : La guerre d'Algérie à hauteur d'enfant, Fayard (7 mars 2012)



[1] Cité par Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Fayard, 1994.

[2] Alain Peyrefitte, op. cit.

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