Changement de la politique monétaire américaine en vue : à quelle méga onde de choc faut-il s'attendre ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le président de la Fed a annoncé le 22 mai que la politique d'assouplissement monétaire pourrait être atténuée.
Le président de la Fed a annoncé le 22 mai que la politique d'assouplissement monétaire pourrait être atténuée.
©

A couvert !

Alors que la Fed vient d'annoncer qu'il serait bientôt temps de "ralentir le rythme des achats d'actifs", un arrêt de sa politique accommodante serait un "bouleversement financier qui s'apparente à la fin d'une guerre", selon une note publiée sur un site édité par Crédit Suisse.

Yeho Hanan et Nicolas Goetzmann

Yeho Hanan et Nicolas Goetzmann

Yeho Hanan a exercé les métiers d'opérateur de marché et d'analyste financier au sein de divers établissements bancaires. Il écrit pour Atlantico sous pseudonyme.

Nicolas Goetzmann est Stratégiste Macroéconomique et auteur d'un rapport sur la politique monétaire européenne pour le compte de la Fondapol.

Voir la bio »

Atlantico : Ben Bernanke, le président de la Banque centrale américaine, a annoncé le 22 mai dernier que la politique d’assouplissement monétaire pourrait être atténuée à l'avenir. Selon une note écrite par Ashley Kindergan pour le site TheFinancialist.com, édité par Crédit Suisse, "l'éventuelle fin des taux d'intérêt proches de zéro [ceux de la Fed, ndlr] correspond exactement au type d'événement susceptible de déclencher d'énormes changements dans les [...] flux de capitaux au sein des économies et entre elles". En quoi et comment la fin de la politique monétaire à taux zéro de la Fed impacte l'économie mondiale et correspond à un "bouleversement financier [qui] s'apparente à la fin d'une guerre" comme le suggère la note ?

Yeho Hanan Effectivement, le président de la Banque centrale américaine a indiqué que le léger mieux constaté depuis quelques mois devrait se traduire par la réduction de la quantité d'achat d'actifs mensuels (connu sous le nom de "quantitative easing" et qui correspond à l'acquisition par la Fed de 45 milliards d'obligations du Trésor et de 40 milliards d'obligations immobilières). Cette annonce est née du débat interne au sein du comité de politique monétaire (FOMC) entre les partisans de maintenir l'expansion des acquisitions d'actifs pour soutenir l'activité et ceux qui voient en cette mesure des risques pour la stabilité financière compte tenu des risques inflationnistes décrits par plusieurs universitaires dont M. Stanley Fischer qui a démontré, dès les années 1980, le lien entre l'inflation et le financement des déficits publics par la Banque centrale.

Mais il faut faire attention à bien faire la distinction entre la politique du quantitative easing et celle qui consiste à maintenir les taux d'intérêt bas (ou proche de zéro en l'occurrence) pendant suffisamment de temps jusqu'à ce que l'économie entre dans un état de stabilité et de création d'emploi. Si la Fed a laissé entendre la réduction du premier outil, celle-ci reconnaît que l'amélioration de l'économie à ce jour n'est pas suffisante pour augmenter les taux avant que le taux de chômage soit au moins à 6,5% (contre 7,6% actuellement).

La fin du quantitative easing aura des effets négatifs pour plusieurs marchés financiers (tels que les économies émergentes) qui ont bénéficié de la baisse des taux de rémunération des obligations du Trésor américain et du report des investisseurs sur les actifs qui offraient des rendements élevés. D'ores et déjà, plusieurs devises émergentes (telles que la roupie indienne ou indonésienne) ont reflété le renchérissement pour les pays les plus vulnérables des conditions des financements en anticipation des conséquences de la baisse du quantitative easing.

Nicolas Goetzmann Je ne partage pas la vision de l'article de The Financialist. L’objectif de la Fed est de parvenir à un taux de chômage de 6,5% mais est soumise à la pression des faucons qui veulent éviter un surplus d’inflation. Pour le moment Bernanke est parvenu à faire le nécessaire pour permettre une amélioration de l’économie, même si cela n’est pas encore suffisant puisque le taux de chômage atteint encore 7,4%.

La fin du soutien de la Fed à l’économie peut être perçue de deux manières, soit positive, car l’arrêt de l’aide signifie en soit que l’économie est repartie ; soit négative en considérant que l’arrêt est prématuré. Et nous sommes encore dans une phase ou un arrêt pur et simple serait prématuré.

Concernant l’économie mondiale, il faut simplement considérer que le quantitative easing est un soutien à la demande intérieure, et un affaiblissement de la demande américaine impacterait tout le mondeLe quantitative easing américain n’est pas innocent dans les chiffres récents en Europe, la zone euro en a profité largement. Ce ne sont pas les emplois aidés qui ont permis à la France d’afficher 0,5% de croissance au second trimestre.

La fin d'une politique monétaire à taux zéro de la Fed correspond à de plus faibles injections de liquidités au sein de l'économie. Ainsi, les taux des T-Bonds (titres de créanceobligataires américains) sont devenus beaucoup plus volatiles et les taux se sont grippés à la hausse sur les marchés. Y a-t-il un risque à ce que les investisseurs se détournent des emprunts d'Etats, et augmentent ainsi le coût auxquels ils s'endettent, pour s'orienter vers d'autres marchés comme celui des actions ?

Nicolas Goetzmann : Cette question est régulièrement traitée sous le signe de la catastrophe, alors qu’il n’en est rien. La hausse des taux, pour un pays comme les Etats-Unis, est le signe d’une amélioration des conditions économiques. Plus la croissance est forte plus les taux montent, il y a un lien entre croissance nominale et taux longs (contrairement à un pays comme l’Espagne où c’est le risque de défaut et non les perspectives de croissance qui ont prévalu sur les variations de taux).

Ainsi si les conditions économiques s’améliorent, les investisseurs vont préférer vendre leurs obligations (dont le prix baisse en conséquence, faisant ainsi monter le taux), pour acheter des actions. Finalement, c’est bon signe. Dans un tel environnement, la croissance repart, permettant de nouvelles rentrées fiscales, qui permettent à leur tour d’honorer le surcoût de la dette provoqué par la hausse des taux. C’est un cercle vertueux.

Finalement, si la Fed stoppe son soutien, je redoute bien plus une baisse des taux qui serait le signe d’un nouveau départ en territoire récessif, que la hausse des taux longs. Un arrêt prématuré pourrait en effet, et de façon totalement contrintuitive, faire repartir les taux vers le bas. 

Yeho Hanan : La baisse des quantités achetées dans le cadre du quantitative easing se traduiront indéniablement par une hausse des taux d'intérêt et de la volatilité de ces taux du moins à court terme aux Etats-Unis. Cette hausse est essentiellement le reflet de la spéculation sur le retour de la croissance et de la convergence des taux aux nouvelles normes de croissances (processus dit de normalisation des taux d'intérêt). Cependant, il est très tôt pour crier victoire sur les phénomènes de réduction de l'endettement cumulé lors des "années folles de l'immobilier américain ou du sud de l'Europe". La baisse du quantitative easing constitue le risque de tuer dans l'œuf l'amélioration constatée depuis le début de l'année. Dans ce cas, les taux longs aux Etats-Unis et dans les autres pays développés pourraient revenir aux niveaux bas constates dans les périodes de craintes de la désinflation ou la déflation.

En ce qui concerne les pays du sud de l'Europe, dont le taux d'intérêt reflète principalement un risque de crédit, ceux-ci peuvent se tendre dans un retour du stress sur la croissance. Un tel risque est bien réel pour les pays émergents. A l'opposé des situations historiques ou la "restriction monétaire de la Fed" s'est traduite par l'appréciation du dollar uniquement, le développement du poids de l'euro dans les portefeuille des Banques centrales étrangères et dans les actifs des gestionnaires des réserves de change, devrait permette de réduire la pression sur la zone euro (nous mettons de côté le risque politique qui risque de se développer en Italie et qui pourrait remette en cause l'avenir de la zone euro).

Enfin, je souhaiterais mettre l'accent sur les risques de la hausse des craintes des investisseurs sur la France. Dans cette configuration les taux d'intérêt français pourraient augmenter sous l'impulsion de la hausse des taux généralisée (due au quantitative easing) alliée à la hausse du risque de crédit de la France (qui est resté à ce jour limitée dans l'attente de mise en oeuvre des reformes structurelles dont le pays à besoin). Un tel scénario pourrait avoir des conséquences néfastes sur l'immobilier, les banques et la capacité des ménages a continuer à consommer (seul moteur encore en fonction en France mais malheureusement celui-ci s'essouffle).

La roupie - qui a atteint son plus bas historique face au dollar - et le rouble, les monnaies indiennes et russes, se sont effondrées face à la monnaie américaine de même que d'autres devises de pays émergents. Le retour à la croissance aux Etats-Unis et la Fed ont-ils fragilisé les pays émergents qui semblent moins solides que les investisseurs ne le pensaient ?

Nicolas Goetzmann : La politique monétaire chinoise est également responsable. Les Etats-Unis peuvent en effet atténuer leur soutien à l’économie, mais les Chinois le font également et avec une certaine violence. Le ralentissement chinois impacte toute l’Asie. Ce que nous pouvons craindre ici est la réponse apportée par les autorités locales. Les Banques centrales ont la fâcheuse tendance de répondre de façon totalement absurde à ce genre d’événement. Heureusement, le 21/08 l’Inde a soutenu son économie en procédant elle aussi à un quantitative easing. 

Encore une fois, les pays émergents peuvent souffrir des perspectives américaines mais l’enjeu ici repose plus sur leur propre capacité à apporter la réponse politique adéquate, et au ralentissement voulu par la Chine. Chaque pays a les moyens de répondre au ralentissement par ses propres moyens.

Yeho Hanan : Les pays émergents les plus vulnérables sur le plan fondamental (déficit de balance courante, déficit des comptes publiques) ne pourront plus bénéficier de la recherche des taux de rendement élevés qui a été créée par la distorsion des taux d'intérêt aux Etats-Unis. La faiblesse de l'Inde et de l'Indonésie est là pour durer jusqu'à ce que les gouvernements prennent des mesures fortes pour résoudre structurellement les difficultés cachées par la politique monétaire. Je suis très inquiet de l'incapacité des politiques à anticiper et à prendre des mesures, politiquement difficiles, pour éviter le pire.

Les pays émergents ne sont pas différents, sur ce point, par rapport aux pays développés (mais ceux la bénéficient de Banques centrales crédibles et des flux d'investissements).

Quelles peuvent être les autres conséquences à plus long terme ? Aucune date précise n'ayant été donnée quant à l'arrêt du programme d'assouplissement monétaire de la Fed, le système financier est-il dans le flou ?

Yeho Hanan : Les marchés sont dans le flou et rien ne pourra changer dans le court terme. Pour rester sur le court terme, la Fed doit répondre aux risques posés par le quantitative easing. Cette réponse est d'autant nécessaire que le président Bernanke devra quitter ses fonctions à la fin de l'année et souhaite participer a la réduction de l'excès de liquidité avant son départ (afin d'éviter les critiques, ex-post, faites à Alan Greenspan qui a été rendu responsable de la bulle immobilière). A plus long terme, la question reste inchangée par rapport à 2008 : comment réduire l'excès de dette sans faire de défaut et sans créer une dépression telle que celle des années 30 avec des conséquences sociales et politiques catastrophiques.

L'expérience japonaise montre que seul le temps permet de résoudre les problèmes de surendettement. Mais lorsque le monde connait des mutations technologiques importantes, les conséquences sociales et politiques deviennent encore plus difficile à gérer dans la durée. Larry Summers, ancien Secrétaire au Trésor sous Obama et candidat déclaré pour remplacer Bernanke, est convaincu du fait que le chômage actuel est structurel compte tenu des transformations technologiques (robotisation, informatisation etc.). Ceux, de vos lecteurs, qui ont pu prendre l'avion récemment ont pu constater que l'enregistrement des bagages est devenu totalement robotisé. Que faire des emplois détruits ? Comment offrir des perspectives de survis a ceux dont les emplois peuvent être automatisés ? Finalement, comment permettre à ces personnes de subvenir à leurs besoins sans créer des déficits et des dépenses sociales ?

Ces questions sont celles que la politique monétaire a pu retardé à travers la poursuite des excès et de la consommation effrénée. Ce sont des questions politiques et il advient, dans un monde démocratique, aux politiques et aux électeurs de donner leur avis.

Nicolas Goetzmann : La question majeure de cette rentrée est de savoir qui sera le successeur de Bernanke à la tête de la Fed. Janet Yellen ou Larry Summers ? Pour le moment Yellen tient la corde mais Summers dispose de larges soutiens au sein de l’administration Obama. Le lobbying est très important en sa faveur. Pourtant ne nous trompons pas, Summers n’est pas le bon choix. Il n’a jamais perçu les causes monétaires de cette crise alors que Yellen a toujours voté dans le bon sens. Le risque de voir Summers prendre les rênes, même si je ne veux pas préjuger de ses décisions, est important.

Cette décision sera absolument essentielle pour l’économie mondiale dans les années à venir. Pour l’Europe, aucun doute, c’est Janet Yellen qu’il faut soutenir. Nous ne pouvons pas compter sur notre Banque centrale alors autant essayer d’avoir des gens compétents dans les pays qui soutiennent la croissance et l’emploi.

[Lire la note de TheFinancialist.com en cliquant ici]

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !