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Chahdortt Djavann : "Voiler les adolescentes et les femmes était un préalable indispensable pour amorcer la réislamisation massive de la jeunesse issue de l’immigration musulmane"
©Reuters

Entretien

A l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage, Chahdortt Djavann revient sur les dangers que représente à ses yeux la propagation de l'idéologie islamique dans la société française.

Chahdortt Djavann

Chahdortt Djavann

Chahdortt Djavann, romancière et essayiste, est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, notamment Bas les voiles ! (Gallimard, 2003), La muette (Flammarion, 2008), Je ne suis pas celle que je suis (Flammarion, 2011), La dernière séance (Fayard, 2013), Big Daddy (Grasset, 2015), Les putes voilées n'iront pas jamais au paradis ! (Grasset, 2016). Son dernier ouvrage, Comment lutter efficacement contre l'idéologie islamique, est paru chez Grasset. 

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Atlantico : Dans votre dernier ouvrage, Comment lutter efficacement contre l'idéologie islamique, vous alertez sur la menace que représente l'idéologisation de l'islam pour la société française qui "transforme les plus ardents de ses adeptes en chair à ceinture explosive". Que vous inspirent les différentes initiatives prises par les pouvoirs publics pour lutter contre la radicalisation, phénomène mis en lumière depuis les attentats ? Selon vous, que reste-t-il à effectuer pour être plus efficace ?

Chahdortt Djavann : Après plusieurs années de  "déradicalisation" entreprise notamment à l’initiative de Dounya Bouzar, par ailleurs très controversée, la situation s’est aggravée. C’est un fait. Et je ne suis pas la seule à constater qu’il y a eu non seulement des fautes d’appréciation, de traitement, mais surtout des erreurs de diagnostics. Il ne s’agit pas d’une dérive sectaire de l’islam, comme l’affirme Dounya Bouzar, mais de l’idéologisation de l’islam. Invitée à La matinale de France Inter, et dans l’émission On n’est pas couché, la réalisatrice du film Le ciel attendra, disait que Dounya Bouzar était sa conseillère. Léa Salamé sur France Inter et Vanessa Burggraf dans On n’est pas couché ont conclu et asséné :  "Ce qui est bien dans le film, c’est que vous montrez que ça peut arriver à n’importe qui. N’importe qui peut se radicaliser". Vraiment ? N’importe qui peut se radicaliser ? Comme s’il s’agissait de s’enrhumer. Si c’est vraiment le cas, la guerre contre les djihadistes est perdue d’avance ! Eh bien, les recruteurs de djihadistes ne pouvaient espérer de meilleures directrices de marketing que la journaliste star de France Inter et la journaliste du talkshow le plus regardé. Ce genre d’affirmation dans les médias est très dangereux. La petite musulmane endoctrinée et tentée par la radicalisation va se dire : tout le monde se radicalise, même les petites Françaises de souche, qu’est-ce que j’attends alors ?

Quand l’ignorance et l’arrogance se mélangent, le résultat peut être catastrophique. Avoir juste un ton péremptoire ne suffit pas, il faut aussi avoir une tête qui pense ! "N’importe qui peut se radicaliser" est une conclusion établie par Dounya Bouzar à partir de quelques exceptions. C’est une affirmation fausse et dangereuse qui présente des cas exceptionnels comme une généralité, et qui, du coup, contribue à les répandre. Cette méthode a encouragé la radicalisation, la même méthode a été utilisée par les idéologues de l’islam pour généraliser le voile depuis une vingtaine d’années. Pour lutter efficacement contre la radicalisation, il faut lutter contre l’idéologie qui la sous-tend. Il faut attaquer le système islamiste. Il faut lutter contre la réislamisation des enfants, des adolescents. Il y a des gamins et des gamines dans les écoles qui revendiquent, non sans agressivité : "c’est écrit dans le Coran et il faut obéir" ; eh bien, certains de ces enfants, à l’issue de mauvaises rencontres, peuvent se radicaliser rapidement.  Le combat préventif et pédagogique a été ignoré depuis deux décennies, et le champ a été laissé à des imams, des idéologues, des "spécialistes" au double langage qui ont endoctriné les enfants et les adolescents.   

Vous affirmez également : "Des jeunes ne se radicaliseraient pas s’ils n’y avaient pas été préparés, prédisposés et si, pendant des mois, des années, un imam, un éducateur, un grand frère, un idéologue, un islamologue ne leur avait chuchoté à l’oreille que la solution est l’islam (…) Avant la radicalisation, il y a l’islamisation". Pourtant, les auteurs des attentats du 13 novembre ou de Nice ne s'étaient pas islamisés pendant de longues années. Des chercheurs comme Olivier Roy ont ainsi montré que le passage à l'acte de ces jeunes relevait avant tout d'un désir de radicalité nihiliste et non d'une radicalisation de l'islam. Si les assassins de Paris et Nice sont des djihadistes, peut-on vraiment les qualifier de djihadistes islamiques ? Est-ce vraiment contre l'idéologie islamique qu'il faut lutter si l'on veut empêcher que de nouveaux attentats frappent la France ? 

Tout d’abord, Olivier Roy n’a rien montré, il a lancé une hypothèse qui est fausse. Parler de radicalité nihiliste, c’est nier la radicalisation de l’islam, nier l’idéologisation de l’islam à l’échelle mondiale. C’est nier la réalité. Je n’ai pas écrit que les gens qui ont commis des attentats avaient été islamisés depuis des années. Ça peut être le cas, comme ça peut ne pas être le cas. Ce que j’ai écrit, c’est que le travail de l’islamisation, ou plutôt de ré-islamisation de l’ensemble d’un quartier, d’une banlieue, d’une cité, d’un environnement entrepris depuis plus de vingt ans permet aujourd’hui, parfois, la radicalisation très rapide des jeunes et des adolescents. Il faut rappeler quand même qu’il s’agit d’une toute petite minorité, même si effectivement c’est une minorité non négligeable. 

Vous pointez notamment des "mécanismes sournois" à l'origine de la diffusion de l'idéologie islamique. A quoi faites-vous référence concrètement ? Comment distinguer l'islamophobie avancée par les promoteurs d'une islamisation de la société que vous dénoncez de l'islamophobie réellement vécue par la communauté musulmane qui accentue les fractures au sein de la société ?

Je donne plusieurs exemples de ces "mécanismes sournois". La généralisation dans la société des dix piliers de l’idéologie islamique que j’identifie et analyse dans le livre font partie de ces mécanismes.  En 2003 et 2004, à propos de la loi contre les signes ostentatoires à l’école, on a répété : "ça va stigmatiser la communauté musulmane !", comme s’il existait une communauté monolithique qui adhérait dans sa totalité au port du voile. Alors qu’on sait que la grande majorité des musulmans en 2003-2004 était contre le port du voile. Les idéologues de l’islam lancent des formules justement pour que les médias les reprennent, en l’occurrence afin de faire exister cette communauté monolithique qui inclurait tous les dits "musulmans" sans exception. Le but était de faire exister cette communauté dans l’inconscient collectif des non musulmans alors qu’elle était inexistante dans la réalité, tout en incitant les jeunes issus des familles musulmanes à donner corps à cette communauté. Donc cette formule, "ça va stigmatiser la communauté musulmane", pensée, inventée, par les idéologues, puis répétée par les "idiots utiles" et les médias, a eu deux conséquences perverses et très dangereuses et a contribué à fracturer la société. D’autres exemples existent dans mon livre. Certains journalistes, souvent, ne mesurent pas la portée des phrases qu’ils répètent.

Quant à l’islamophobie, j’explique, preuve à l’appui, où et comment cette formule est née. Il est temps, tout simplement, de bannir ce mot de notre vocabulaire. C’est un mot en soi fasciste ! Personne n’a utilisé  le mot christianophobie pour incriminer tous ceux qui critiquent le conservatisme de certains chrétiens. Les bouffeurs de curés n’ont jamais été accusés d’être christianophobes.   

Vous accordez également une place importante au voile, auquel vous aviez déjà consacré plusieurs ouvrages. De quels dysfonctionnements dans la société ce retour de la religiosité est-il révélateur ? Par ailleurs, en quoi le port du voile ne peut-il être comparé au port de la croix, ou à la main de fatma ?

Garçons et filles, femmes et hommes peuvent porter la croix ou la main de Fatma au cou, qui font référence à des personnages religieux et à la foi chrétienne ou musulmane.  Il s’agit d’un ornement, alors que le voile est réservé à la gente féminine. Sur le plan religieux, historique, anthropologique, social et juridique, il a des significations, des fonctions et une portée qui structurent la société islamique. Le voile concrétise, matérialise l’apartheid sexuel ainsi que l’infériorité des droits féminins… Il est le symbole de l’idéologie islamique. Le drapeau de l’islamisme, de l’Oumma.

Je montre aussi pourquoi voiler les adolescentes et les femmes était un préalable indispensable pour amorcer la réislamisation massive de la jeunesse issue de l’immigration musulmane, en empêchant cette dernière d’être intégrée totalement par l’Occident impie. Justement, pour créer enfin une communauté musulmane qui serait antioccidentale. La méthode de réislamisation en Occident est identique à celle utilisée dans les pays musulmans, comme l’Iran, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie…, car elle opère, avant tout, sur la jeunesse musulmane. 

Vous vous attaquez également aux arguments mis en avant par les femmes portant le voile : "'C’est ma culture ! ', proclament les naïfs, et plus encore les naïves, qui, si ils ou elles la connaissaient vraiment et avaient un peu de bon sens, prendraient leurs jambes à leur cou pour lui échapper". Comment donner l'occasion aux musulmans de pratiquer leur foi tout en maintenant la cohésion de la société ? Ce que vous préconisez en matière de croyances (la tolérance, la liberté) ne peut-il s'appliquer à la culture ?

Il ne faut pas oublier que la culture, au sens anthropologique du terme, est totalisante. Sous ce que l’on appelle le trait culturel, parfois se cachent des pratiques barbares. En outre, pratiquer sa foi ne veut pas dire imposer les dogmes moyenâgeux dans l’espace public. La pratique de la foi est distincte de l’obéissance aux dogmes religieux qui se veulent au-dessus des lois démocratiques. Aucun des cinq piliers de l’islam n’exige une pratique ostentatoire. On peut très bien pratiquer sa foi musulmane chez soi. Je pense que pour pouvoir vivre en paix, il est temps d’affirmer que la foi, comme la sexualité, relève de l’intimité et se pratique dans l’intimité. Et quant à la tolérance, comme le disait Claudel, "il y a des maisons pour ça !" 

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