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Cette double marginalisation qui menace les Gilets jaunes qui se lancent en politique
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Label jaune

Les Gilets Jaunes ont représenté jusqu’à trois Français sur quatre, mais sont désormais menacés par une double marginalisation : d'un côté, une dénaturation gauchiste des revendication et de l'autre, l'épreuve des urnes.

Francis Choisel

Francis Choisel

Ancien conseiller général des Hauts-de-Seine, Francis Choisel est historien, auteur de Comprendre le gaullisme (L’Harmattan, 2016). 

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Les Gilets Jaunes ont représenté jusqu’à trois Français sur quatre. Après deux mois de manifestations, ils bénéficient encore du soutien d’une large majorité de citoyens. C’est là un capital politique extraordinaire, qu’il est de leur devoir de ne pas dilapider.

Le risque d’une double marginalisation

Or, le mouvement est menacé par une double marginalisation. D’abord, on constate, au fil des semaines, une dénaturation gauchiste des modes d’action et des revendications. Révolte anti-fiscale, jacquerie hostile aux réglementations étatiques et européennes, il a viré à la lutte des classes et à l’action révolutionnaire. On est passé du rejet de la technostructure macronienne et pré-macronienne qui régente l’ensemble du peuple, à un combat des petits contre les riches et à la revendication insistante du rétablissement de l’ISF.

Si cette dérive se poursuit, l’immense majorité des citoyens se détachera des Gilets Jaunes et se ralliera au seul rempart disponible contre la subversion, au seul garant de l’ordre actuellement en capacité d’agir : le pouvoir en place, dont ce scénario est le secret espoir.

L’autre marginalisation qui guette passe par l’épreuve des urnes. Certains Gilets Jaunes s’affairent à présenter une liste de candidats aux élections européennes de mai. Il s’en prépare même plusieurs. Mais qui ne voit que le soutien qui leur est accordé n’est aussi massif que parce qu’ils représentent une offre politique d’une nature différente des autres, parce qu’ils surplombent en quelque sorte les partis dont ils dénoncent l’impuissance, parce qu’ils cumulent les principales aspirations des diverses oppositions.

S’ils se rangent parmi elles sur la ligne de départ électorale, ils se normaliseront, au sens brejnévien du terme, ils se banaliseront, ils diviseront et se diviseront. Ils perdront l’appui de tous ceux qui suivent Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan ou Laurent Wauquiez, et qui les considèrent aujourd’hui comme des renforts pour leurs idées, comme des porte-parole de secours en sus de leurs champions habituels. Ce ne seront plus alors pour eux des amis, des alliés mais des trublions, voire des adversaires. Gageons, malgré deux sondages qui donnent une fourchette de 6 à 13 %, qu’ils n’atteindront pas même le seuil des 5 % nécessaires pour obtenir un siège.

Cela aussi est le secret espoir du chef de l’État et de ses soutiens : pouvoir affirmer, le soir des résultats, que les Gilets Jaunes ne représentent rien, ou presque rien, que leur popularité n’était qu’un mirage, les sondages une illusion.

Se poser en autorité morale

Plutôt que de verser dans l’ornière des recettes habituelles, l’activisme révolutionnaire ou la compétition électorale classique, il faut prendre appui sur l’originalité du phénomène et en utiliser tous les ressorts.

Celle-ci réside dans le fait que les Gilets Jaunes, collectivement et dans leur diversité, ont été, à l’apogée de leur action, une autorité morale, une autorité politique. D’une certaine façon, il ont revêtu la tunique présidentielle telle que l’a taillée la Cinquième République, tunique qui avait été jetée aux orties par l’occupant actuel de l’Élysée. Il ont incarné le peuple, ils l’ont représenté. Les gilets jaunes des pare-brises en sont la preuve.

Qu’ils continuent. Ils ont fait tomber la foudre sur un Jupiter de pacotille en décembre, qu’ils le fassent à nouveau en mai. Ce qu’ils ont fait dans la rue, qu’ils le refassent au moyen des urnes dans le même esprit : en surplombant les partis, en se posant en autorité morale. En refusant de se commettre.

Autrement dit, forts de leur légitimité, ils doivent se fixer pour objectif de ramener aux urnes les abstentionnistes qui leur font confiance, et leur donner pour cela une consigne qui les convaincra que leur vote enfin aura une importance décisive. Ils doivent trouver le moyen de produire un raz-de-marée électoral qui soit une autre manière de clamer leur slogan préféré, celui qui les rassemble tous :« Macron démission ! ».

Pour cela, ni l’appel à concentrer ses voix sur une des listes en présence, ni en proposer unequ’ils auraient constituée, nous l’avons dit, ne permettrait d’atteindre la masse critique. La seule solution réside dans ce qu’on pourrait appeler une « labellisation » ou une « certification » de certaines listes, et qui consisterait pour eux non pas à donner des investitures ou à s’effacer derrière une ou plusieurs bannières, mais simplement à signifier une « compatibilité » entre certaines offres électorales et leurs aspirations profondes.

Ce serait le moyen de transformer l’élection européenne en référendum, un référendum d’initiative populaire, ou citoyenne par conséquent.

Si un label jaune — adoptons ce vocable — était attribué à plusieurs listes et que, le soir de l’élection, les commentateurs soient de ce fait contraints de cumuler leurs résultats, peut-être et probablement même, retrouverions nous le chiffre magique des sondages de décembre : trois Français sur quatre, ou deux sur trois au moins. Et la liste macronienne, donc la politique macronienne, apparaîtraient pour ce qu’elles sont : ultra-minoritaires.

Additionner et non diviser

Concrètement, il faut là encore respecter l’ADN des Gilets Jaunes. Des porte-parole auto-proclamés, même réunis en comité, ne disposent pas d’une légitimité suffisante pour délivrer une telle certification : il faut consulter les sentinelles des ronds-points et les sympathisants des réseaux sociaux. La procédure est rôdée. Point n’est besoin de recourir à l’expertise de nos voisins italiens pour ce faire.

Mais aussi — soyons réalistes — il ne peut être question d’obtenir l’adhésion de tous à une sélection complète de listes allant du Rassemblement national à la France insoumise. Aussi conviendrait-il que chacun des groupes de gilets jaunes actuellement identifiés s’organise, indépendamment des autres, consulte ses troupes et labellise pour son propre compte. À charge pour tous de reconnaître que ces certifications sont aussi légitimes les unes que les autres, afin qu’elles s’ajoutent et non pas qu’elles s’opposent.

Au demeurant, dans ce cadre, l’existence d’une liste composée exclusivement de Gilets jaunes ne serait pas gênante. Et certains pourraient même figurer sans trahir sur d’autres listes, dès lors qu’elles seraient labellisées.

Cette stratégie a déjà été expérimentée, il y a bien longtemps. En 1944, le général de Gaulle qui, lui aussi, représentait alors 75 % des Français, si ce n’est plus encore, n’a pas voulu fonder son propre mouvement politique. Il a demandé à tous les Résistants qui lui faisaient confiance de s’investir dans les anciens partis dont ils se sentaient le plus proches, et de les rallier ensuite à lui. Certes, le résultat ne fut pas une réussite totale, mais lorsqu’il changea de tactique et fonda le RPF, ce le fut moins encore.

L’expérience vaut donc d’être tentée.

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