Cette crise énergétique pire que les chocs des années 70 que nous réserve l’hiver 2022-23<!-- --> | Atlantico.fr
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Les gouvernements européens tentent de protéger leur population face à la hausse du coût de l'énergie.
Les gouvernements européens tentent de protéger leur population face à la hausse du coût de l'énergie.
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Inflation, pouvoir d'achat, guerre en Ukraine...

Les gouvernements européens recherchent tous les moyens de protéger leur population, mais quelle que soit la détermination politique la tempête parfaite qui s’est créée sur les marchés de l’énergie devrait avoir un impact économique majeur.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : Les nouveaux prix de l'électricité pour 2023 en France tels qu'annoncés aujourd'hui se situeront entre 900 €/MWH et 1500 €/MWH. A quel point est-ce historique ?

Damien Ernst : Ces prix sont effectivement historiques. Il y a déjà eu des périodes où le marché avait atteint ces prix-là ou même au-delà (3000 €/MWH) mais seulement l’espace d’une très courte période (une heure sur un à deux mois). L’électricité est une commodité qui est vendue tous les quarts d’heure sur les marchés de gros.

L’aspect inédit et historique concerne le fait que ces prix élevés de l’énergie perdurent sur une longue période de temps. Cette hausse des tarifs ne s’explique pas seulement par un prix très élevé pour le gaz. En effet, le gaz est maintenant à 330 € / MWH sur les marchés de gros. Il faut environ 2 MWH de gaz pour 1 MWH électrique pour une centrale au gaz. Cela fait donc 660 €. A cela, il faut également ajouter 50 euros de taxes CO2, aboutissant à 710 euros. Le 900 ou le 1500 €/MWh ne peut donc pas s'expliquer uniquement par le prix du gaz fort élevé. Il s'explique  par un manque de centrales pilotables ! Il n'y a simplement pas assez de centrales pilotables pour rencontrer l'offre. Les prix montrent alors au-delà du coût marginal de production de ces centrales jusqu'à atteindre un niveau où il y a suffisamment de destruction de demande pour pouvoir observer à nouveau un équilibre entre offre et demande. 

Ces prix-là sont-ils inéluctables ? Ou est-ce encore de la prévision ? Avec ces prix de l’énergie et de l’électricité en particulier, quelles conséquences peut-on attendre ?  

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Il est possible d’acheter l’électricité sur les marchés de gros à des prix excessifs mais tout le monde ne pourra pas y accéder. Les clients les plus fortunés vont acheter l’électricité à des tarifs très élevés et fixer ainsi le prix. Actuellement, le tarif s’est stabilisé à 1.500 €.

Avec des tarifs si élevés, énormément de fermetures d’usines vont intervenir. Cela risque également d’entraîner un appauvrissement massif de la population. Une partie des Français est encore relativement protégée.

Les tarifs de l’énergie vont coûter tellement cher que certains Français seront confrontés à une augmentation de plusieurs milliers d’euros sur la facture d’électricité par an, même si la France est bien placée par rapport à d’autres pays, notamment en Europe comme l’Allemagne.

Pour le cas de la Belgique, les prix de l’électricité et du gaz, tels qu’on les connaît à l’heure actuelle pour un ménage qui se chauffe au gaz et qui a une consommation moyenne d’électricité, seront de 10.000 euros par an si le prix du gaz ne descend pas.

En regardant à travers une perspective historique par rapport à d’autres grands événements comme les chocs pétroliers des années 1970 ou la crise financière en 2008, en termes d’intensité des conséquences, allons-nous connaître quelque chose de comparable, de plus ou de moins élevé ?

La situation sera largement au-delà de ce qui a été déjà expérimenté par le passé. Lors de la crise de 2008, les consommateurs ont pu se chauffer et les usines n’arrêtaient pas de tourner. La solution est intervenue grâce à du quantitative easing.

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La réalité physique est beaucoup plus dure actuellement. Nous ne disposons plus d’assez d’énergie. Il y a une carence d’énergie sur les marchés d’où le fait que les prix flambent excessivement. Cela va coûter très cher aux ménages et aux entreprises qui vont se « disputer » l’énergie restante.   

Les difficultés seront donc plus importantes qu’en 2008 et que les chocs pétroliers.

La Belgique consomme 220 TWh de gaz, qui est à 330 € / MWH, cela revient donc à 72 milliards pour la facture de gaz pour la Belgique sur un PIB de 500 milliards. La situation est donc alarmante. 14 -15 % du PIB du pays passent en facture de gaz. Le coût énergétique n’était pas le même et était bien moindre (par rapport au PIB) à l’époque des chocs pétroliers.

Ce coût, à l’heure actuelle, est donc excessif. 

A quel point cela va-t-il impacter nos vies quotidiennes ?

Ce coût de l’énergie si élevé va entraîner un appauvrissement massif de la population. Cela aura un coût et un impact économique, notamment sur le pouvoir d’achat et cela va conduire à des restrictions sur le plan financier.

Des coupures d’électricité interviendront.

L’inflation va également s’accroître avec une telle hausse des prix de l’énergie. Il sera impossible de contrôler l’inflation avec des tarifs du gaz aussi élevés. Cette inflation très élevée va complètement détruire toutes les économies de la classe moyenne qui n’investit pas en Bourse et qui a typiquement déjà seulement quelques dizaines de milliers d’euros sur son compte en banque  en plus de son logement. 

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A quel point la demande d’énergie est-elle élastique ? Est-il possible de surmonter la crise en ayant recours au rationnement ?  

Il existe un concept intéressant, la valeur de la charge perdue. Il s’agit du prix que nous sommes prêts à payer pour notre électricité, pour ne pas être privés d’énergie. Ce prix ultime se situe aux alentours de 8.000 € / MWH. Cela concerne essentiellement une situation ponctuelle. Nous sommes donc encore très loin des 1.500 € que l’on observe à l’heure actuelle sur les marchés.

Cela montre à quel point il est très difficile de tuer la demande au niveau domestique. Les consommateurs mettent énormément de valeurs vis-à-vis de la commodité électrique.

Face à la gravité de la situation, à quel point les gouvernements ont-ils conscience et communiquent sur ces enjeux ? Quelle est la part de dissimulation ?

Il y a très peu de communication relative aux solutions qui pourraient être proposées et appliquées face à la crise des tarifs de l’énergie. D’un point de vue politique, la communication est rarement au rendez-vous lorsqu’il s’agit d’annoncer de mauvaises nouvelles.

En France, le président de la République Emmanuel Macron s’est exprimé sur ce sujet en déclarant que le « temps de l’abondance » était terminé. En Belgique, la même tonalité a été exprimée par le Premier ministre avec le fait de devoir se préparer à « cinq à dix années de souffrance ».

A travers ces déclarations, les représentants politiques décrivent cette fin du temps de l’abondance comme s’il s’agissait d’une fatalité. Or, ce n’est pas le cas. Il y a eu énormément d’erreurs commises par le passé en termes de politiques énergétiques suite aux choix des dirigeants, comme la fermeture de Fessenheim ou les diminutions de marge de sécurité d’approvisionnement de RTE… Les dirigeants refusent de reconnaître que des erreurs ont été commises par le passé et choisissent l’argument de la fatalité.

Si la classe politique faisait le choix de reconnaître ses erreurs, cela pourrait entraîner des mouvements de colère chez les citoyens et les consommateurs.

L’incertitude demeure également sur les factures d’électricité. Les consommateurs vont-ils être en mesure de régler de telles sommes face à la hausse des prix et au regard de l’inflation ?

Cela pourrait conduire à une faillite de certains fournisseurs. Il y aura trop d’impayés. Cela sera payé par ceux encore en mesure de payer leur facture d’électricité, ce qui à terme risque encore d'aggraver la situation.

Des solutions devront donc être apportées pour régler cette situation financière critique.

Au niveau électrique, des changements réglementaires devraient intervenir. Les mesures appliquées en Espagne et au Portugal pour contrôler les prix sur les marchés de l’électricité vont servir d’exemple. L’Allemagne plaide déjà pour que des réformes interviennent dans le marché de l’électricité.

En revanche, sur le marché du gaz, les marges de manœuvre et les solutions sont moins importantes et plus délicates.

Les gouvernements peuvent-ils encore agir pour protéger les citoyens et pour que la situation s’améliore ?

Les dirigeants vont devoir sortir le chéquier et proposer de nouvelles mesures et des aides financières.

Des réformes de marché peuvent intervenir pour éviter les surprofits mais elles risquent d’être insuffisantes.

Des aides financières envers les consommateurs seront nécessaires.

Le rationnement peut aussi être une alternative face à la crise. Cela tue la demande sans passer par un signal de prix. Cela permet de régler ce déséquilibre entre l’offre et la demande sans que les citoyens ne passent à la caisse et ne s’appauvrissent.

Comment peut-on avoir un rationnement intelligent et qui ne soit pas trop douloureux ?     

Il est possible d’intervenir sur la filière chauffage et de réguler le thermostat avec la limite de 16 à 18 degrés, avec des contrôles stricts.

Cela va néanmoins impacter les libertés individuelles.  

Dans une interview, le patron de Super U explique qu’il envisageait de fermer ses magasins plus tôt pour participer aux économies énergétiques. Des fermetures plus tôt au cœur de l’hiver sont-elles des solutions qui pourraient avoir un impact ?

Cela pourrait être une fausse bonne idée. Admettons que tous les magasins ferment par exemple à 18h. Cela poussera les gens à faire leurs courses rapidement et à rentrer plus tôt à leur domicile. Cela risque donc d'augmenter la consommation de chauffage résidentielle et peut-être de complètement gommer les économies d'énergie réalisées dans les magasins.

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