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Cet élément largement oublié dans les explications sur la valorisation de 1000 milliards de dollars d’Apple
©Reuters

Le ver dans la pomme

Apple est devenue la première entreprise à atteindre une valorisation supérieure à 1 000 milliards de dollars. Derrière les ventes record, un élément explique cette valorisation. Les sociétés, comme Apple épargnent une grande partie de leurs fonds dans des paradis fiscaux.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : La semaine dernière, Apple est devenue la première entreprise du monde à atteindre une valorisation supérieure à 1 000 milliards de dollars. A première vue, tout réussit au géant américain qui a réalisé, fin 2017, le meilleur trimestre de son histoire enregistrant 20 milliards de bénéfices. Mais derrière les ventes record, un élément explique cette valorisation. Les sociétés, comme Apple, comme le montre un graphique réalisé par l’économiste Gabriel Zucman, épargnent une grande partie de leurs fonds dans des pays à fiscalité privilégiée comme l’Irlande, le Luxembourg, la Suisse ou les Bermudes. Quel impact l’épargne massive d’Apple dans ces paradis fiscaux a-t-il eu sur la valorisation de l’entreprise ?

Michel Ruimy : Apple est l’entreprise de toutes les démesures. En effet, la plus grosse capitalisation boursière du monde détient le plus gros portefeuille de titres placé dans les paradis fiscaux, dépassant le Produit intérieur brut de la Grèce ou de la Finlande. Elle affiche des taux de marge brut élevé, autour de 40% par smartphone vendu et n’a quasiment pas payé d’impôt sur les liquidités générées par ses activités à l’étranger entre 2003 et 2014… alors que l’impôt sur les sociétés en Irlande, déjà très bas, est de 12,5% et qu’aux Etats-Unis-Unis, il était de l’ordre de 35%.
Pour y arriver, après avoir bénéficié de niches fiscales en Irlande jusqu’en 2015, Apple a alors utilisé le paradis fiscal britannique de Jersey pour appliquer sa stratégie d’optimisation fiscale qui consiste à délocaliser des charges déductibles de l’impôt dans un pays à forte fiscalité et à transférer un maximum de produits dans un pays à la fiscalité faible. Cette planification fiscale lui a permis d’accumuler, au cours des années, une trésorerie de près de 270 milliards de dollars, soit environ 230 milliards d’euros, de liquidités à l’étranger. 
Mais, la localisation de ces liquidités à l’étranger (90% de sa trésorerie) est un problème majeur pour Apple. En effet, même si ce groupe est en bonne santé financière, l’entreprise était dans l’obligation de continuer à emprunter pour rémunérer ses actionnaires puisque le rapatriement de ses capitaux aux États-Unis lui aurait coûté très cher, au plan fiscal et que le programme de rémunération des actionnaires et de rachat d’actions, engagé par Apple à partir de 2012, prévoit de reverser à ses actionnaires près de 450 milliards USD entre 2012 et 2020. 
Pourtant, cette politique de redistribution s’est accélérée, ces derniers mois, notamment grâce à la réforme fiscale de l’administration Trump, votée en décembre dernier, qui est particulièrement favorable aux multinationales ayant des capitaux à l’étranger. L’impôt sur les sociétés a été ramené de 35% à 21% mais surtout les profits délocalisés qui seront rapatriés seront imposés forfaitairement (15,5% pour le cash). Ainsi, à la faveur de la nouvelle législation américaine, le groupe a annoncé, au début de cette année, qu’il allait débourser environ 40 milliards de dollars d’impôts pour rapatrier progressivement les quelques 270 milliards de dollars placés à l’étranger. 
Une aubaine qui a profité à ses actionnaires. En effet, le groupe a racheté ses actions pour contrer l’effet de dilution lié à l’arrivée de nouvelles actions sur le marché suite à l’exercice de stock-options par ses salariés. Ceci a revalorisé fortement l’action Apple. 
Cette stratégie n’est pas nouvelle et n’est pas l’apanage unique d’Apple. Rappelons pour mémoire, que Warren Buffet, l’une des plus grosses fortunes du monde, avait annoncé, en son temps, que les activités de son groupe avaient permis de dégager 36 milliards de bénéfice en 2017 et qu’à ce chiffre, il fallait finalement ajouter 29 milliards grâce aux différents avantages tirés de la réforme fiscale. 
Les bons résultats de l’entreprise au cours des derniers trimestres et la demande des investisseurs pour ce titre ont poussé, au final, l’action Apple à plus de 200 dollars et la capitalisation boursière du groupe à plus de 1 000 milliards de dollars. 

Peut-on estimer la valorisation d’Apple si ces derniers avaient payé leurs taxes aux Etats-Unis ?

Question ambitieuse que celle d’estimer de manière chiffrée la valeur d’une entreprise d’autant que les méthodes d’évaluation sont nombreuses. Devant l’hypothèse que vous avez soulevée, il faudrait retraiter les postes concernés et voir toutes les imbrications au travers l’ensemble de ces méthodes pour arriver, à la limite, à une fourchette de valorisation du groupe. 
C’est un travail fastidieux pour un résultat aléatoire. Tout ce que je peux dire est que le paiement d’impôts aurait eu vraisemblablement un impact négatif manifeste sur le résultat du groupe. Mais, la stratégie, notamment financière, menée par la suite par les dirigeants, aurait été probablement différente de celle menée durant plus de 10 ans. 

Donald Trump a baissé les taxes pour les entreprises basées aux Etats-Unis. Quel changement cette baisse pourrait-elle entraîner sur l’attitude des multinationales comme Apple, et sur leur valorisation boursière ?

La dernière réforme fiscale américaine vise à assurer aux États-Unis leur leadership international. Alors la fiscalité Kennedy encourageait la conquête des marchés étrangers, la réforme Trump appelle à la centralisation des investissements sur le sol américain. La baisse des taux, associée à l’accroissement de l’assiette, a pour objectif d’avantager les groupes américains vis-à-vis de leurs concurrents étrangers et d’attirer les investissements, surtout technologiques, aux Etats-Unis. 
Un autre aspect de la baisse des taux est le changement de paradigme du code des impôts américain. Il passe d’une logique de taxation mondiale à une règle territoriale équivalente à celle que nous connaissons en France. Désormais, les entreprises américaines ne seront plus assujetties à l’impôt que sur leurs revenus locaux. Compte tenu de la faiblesse des taux et du système territorial, elles seront pénalisées si elles gardent leurs bénéfices à l’étranger. Le symbole est fort d’une politique qui devient insulaire. Les paradis fiscaux deviennent presque obsolètes.
Deux conséquences sont à prévoir. D’abord, un transfert de capitaux massif de l’Europe et de l’Asie vers les Etats-Unis, qui ne sera pas sans conséquence sur la croissance de ces régions. D’autre part, la perte d’attractivité des pays à fiscalité très faible. 
Après une fiscalité favorisant l’expansionnisme, la réforme fiscale américaine aboutit donc à une nouvelle forme de protectionnisme. Elle ne vise pas tant à freiner le commerce international qu’à encourager ce commerce à se centrer sur les Etats-Unis. Comme toutes les grandes réformes fiscales, elle est avant tout politique. Le message envoyé au monde est que les Etats-Unis entendent renforcer leur leadership économique en centralisant l’investissement chez eux.
Dans ce contexte, la priorité pour les entreprises européennes doit être de revoir leur stratégie d’investissements, leur cartographie technologique et leur chaîne logistique pour s’adapter à ce nouveau monde… en espérant que les gouvernements européens prennent conscience que l’urgence fiscale n’est pas dans la lutte contre les paradis fiscaux, qui relèvent du passé, mais dans la construction d’une fiscalité européenne qui puisse répondre aux enjeux économiques du XXIème siècle.
Dans ces conditions, les entreprises américaines, notamment technologiques comme Apple, sont incitées à conserver leurs actifs stratégiques aux Etats-Unis. Un avantage, à peine déguisé, en faveur de l’industrie 4.0 américaine et des autres secteurs technologiques. Dès lors, leur capitalisation boursière risque de s’apprécier, toutes choses égales par ailleurs.

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