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Ces vêtements et ces marques qui trahissent votre origine sociale
©Reuters

Série marqueurs sociaux

L’habit fait-il le moine ? A l’heure où "le pauvre" s’habille comme "le riche","le riche" comme "le pauvre", peut-on, encore, savoir à qui "on a affaire" sous le vêtement ou la marque ? Deuxième épisode de notre série sur les marqueurs sociaux.

Frédéric Godart

Frédéric Godart

Fréderic Godart est professeur à l'Insead où il enseigne la théorie des réseaux sociaux et la psychosociologie des organisations. Ses recherches se concentrent sur la mode et le luxe. Il est l’auteur de Sociologie de la mode (La Découverte 2010) et de Penser la mode (IFM/Regard 2011). 

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Atlantico : Peut-on, encore aujourd’hui, au premier regard, identifier l’origine sociale d’une personne à son habillement ?

Frédéric Godart : Aujourd'hui encore, le vêtement permet d'identifier l'origine sociale d'un individu même si les différences vestimentaires entre classes ou groupes sociaux sont moins frappantes que par le passé du fait de la massification de la mode et de la diffusion rapide des tendances. Ainsi, alors que la mode rapide et un éclectisme esthétique de plus en plus généralisé conduisent à des frontières sociales poreuses d'un point de vue stylistique (tout le monde porte des jeans associés à divers styles vestimentaires, de la veste de costume à celle de survêtement), les écarts de revenus génèrent toujours des différences visibles, par exemple dans le niveau de prix ou la qualité des vêtements portés (certains portent des jeans H&M, d'autres des jeans Diesel). Au-delà du vêtement cependant, l'identification sociale des individus est plus aisée à travers les comportements ou le langage qui sont issus de processus de socialisation plus durables. Le vêtement en Occident n'est plus le marqueur social principal qu'il a été ou est dans les sociétés traditionnelles ou au début de l'ère industrielle.

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Les codes vestimentaires ont beaucoup changé… on se demande, même, s’ils ne se sont pas inversés, « le pauvre » s’habillant comme « le riche », "le riche" comme "le pauvre"…

Les codes vestimentaires sont devenus plus ambigus, si bien que certains ont pu dire qu'ils sont aujourd'hui plus que jamais « sous-codés »: la signification d'un vêtement dépend de plus en plus de son contexte. La célèbre collection Clochard de Galliano pour Dior en 2000 est un exemple parfait de la récupération d'un style issu de la misère sociale par le sommet de la pyramide de la mode... Le cliché du « bobo » (un riche ayant l'air d'un pauvre, pour faire court) cristallise (en France) une certaine angoisse collective liée à cette ambiguïté de plus en plus présente des frontières sociales.

Si on comprend que « le pauvre » veuille s’habiller comme « le riche », on comprend moins pourquoi "le riche" veut s’habiller comme "le pauvre"…

Il s'agit d'une dynamique de distinction. Les classes ou groupes sociaux les plus aisés doivent se distinguer des autres (surtout des classes moyennes) en adoptant des styles novateurs et inattendus. Un style négligé ou populaire est un moyen souvent utilisé (pas uniquement aujourd'hui) pour atteindre cet objectif. Dans un registre voisin, la vogue actuelle du normcore chez les hipsters est une illustration du mécanisme de distinction poussé à l'extrême: pour être différent, soyons le plus normal possible. Notons que, dans ce cas, la normalité est recherchée et que le normcore n'est normal qu'en surface: accessoires et associations iconoclastes permettent aux hipsters de se reconnaître entre eux.

Y a-t-il toujours eu cette tendance à copier, à s’habiller comme l’autre ?

L'imitation est, avec la distinction, l'un de deux mécanismes fondamentaux de la mode. L'imitation permet aux individus de se sentir intégrés et remplit une fonction importante de validation sociale.

Existe-t-il encore un code vestimentaire qui désigne les classes populaires/moyennes/supérieures ?

Dans une certaine mesure oui, mais ces différences vestimentaires doivent être comprises dans un ensemble qui inclut les comportements, le langage, les valeurs... le vêtement n'est plus suffisant en lui-même, il est devenu très ambigu, même s'il est toujours sociologiquement lisible, ne serait-ce que parce qu'il traduit des différences de revenu et de capital. Les différences sont les plus visibles dans les situations formelles : les classes supérieures maîtriseront mieux les codes complexes des contextes professionnels (quel type d'accessoire avec quel type de costume). Dans les cadres informels, ce sont les marques et les logos qui feront souvent la différence. Si toutes les classes mélangent plusieurs niveaux de produits, certaines marques (Chanel, Hermès, Omega...) ne sont réellement accessibles qu'aux plus riches. Par ailleurs notons que pour qualifier l'appartenance à une classe sociale à travers le vêtement, il faut aussi prendre en compte les différences géographiques, politiques, religieuses...

Est-ce que le code vestimentaire ne se réduit pas, aujourd’hui, à la marque ?

Les marques sont un élément essentiel du vêtement aujourd'hui car elles valident les différences statutaires à style égal. En d'autres termes, Forever 21 ou Zara peuvent s'inspirer des styles de Chanel ou Dior, il n'en reste pas moins qu'un regard avisé fera la différence (par exemple une qualité supérieure des matériaux et des finitions indiquera une marque plus prestigieuse).

Les marques ont-elles toujours eu l’importance qu’elles ont aujourd’hui ? Et, si non, depuis quand et pourquoi les marques ont-elles une telle importance ?

Non, l'importance des marques est relativement récente, on peut tracer leur émergence dans les années 1960qui voient aussi l'arrivée de la production et consommation de masse et de la publicité moderne. Cependant, dans la mode, la griffe a une importance qui remonte au 19ème siècle (on peut parler de proto-marque comme par exemple avec Charles Frederick Worth, l'Anglais qui a fondé la haute couture parisienne au milieu du 19ème siècle).

Y a-t-il des marques typiques, qui disent l’appartenance aux classes populaires/moyennes/supérieures ?

Plus que des marqueurs de classe sociale, les marques dénotent des groupes sociaux ou des sous-cultures. Par exemple, Polo Ralph Lauren sera prisé des jeunes preppy de la côte Est américaine, qu'ils soient réellement riches ou non. En France, une marque comme Vicomte A. s'est récemment positionnée sur un créneau similaire. On peut aussi mentionner le cas de Lacoste.

Est-ce que la nouvelle distinction entre les riches et les pauvres ne tient pas, justement, dans l’affichage, ou pas, de la marque ? Est-ce que ce n’est pas à l’absence de marque que l’on reconnaît le vrai riche?

Il ne faut pas confondre le logo et la marque. Il n'y a plus que très peu de production vestimentaire en dehors des grandes marques, même si elle existe. Disons que mettre les logos en avant peut être considéré comme une faute de goût dans certains cas et dans certains milieux, et donc les marques les plus humbles (si l'on peut dire) seront privilégiées. Mais l'absence de logo visible ne signifie pas que les vêtements ne seront pas identifiés... être capable d'identifier des vêtements sans logo est même une compétence sociale particulièrement utile.

Propos recueillis par Barbara Lambert

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