Ces pneus désormais plus polluants que les pots d’échappement de nos voitures <!-- --> | Atlantico.fr
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Un garagiste pose des pneus d'hiver sur une voiture dans un garage d'Ajaccio, le 25 octobre 2021.
Un garagiste pose des pneus d'hiver sur une voiture dans un garage d'Ajaccio, le 25 octobre 2021.
©PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Pollution

Des scientifiques alertent sur la nocivité de la pollution liée à l'usure des pneus et des freins des voitures.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Alors que les véhicules qui possèdent un moteur thermique seront interdits au sein de l’Union Européenne à partir de 2035, des scientifiques ont découvert que l'usure des pneus et des freins engendre une pollution importante, plus encore que les gaz d’échappement. Que sait-on de ce phénomène ? Dans quelle mesure cette pollution est-elle inquiétante, voire dangereuse ?

Jean-Pierre Corniou : L’ennemi principal a été, et demeure, les émissions de gaz à effet de serre des véhicules à moteur thermique dont on sait depuis les années soixante qu’elles contribuent directement à l’augmentation de la température de la basse atmosphère terrestre et des océans. Les transports, dans leur ensemble, contribuent à 20% des émissions de ces gaz. La règlementation se sont donc concentrées sur ces émissions en définissant dans tous les pays des normes de plus en plus strictes d’émissions du moteur. En Europe, il s’agit de la norme Euro,  depuis la première Euro 1, en 1993, jusqu’à Euro 6, à partir de 2015. Un projet de norme Euro 7 est à l’étude depuis novembre 2022.Ces normes mesurent les émissions de monoxyde de carbone (C0), d’hydrocarbures imbrûlés (HC), des oxydes d’azote (Nox) et des particules en suspension. Par ailleurs, le règlement européen CAFE (Corporate Average Fuel Emission) impose une norme d’émission moyenne de CO2 pour tous les véhicules vendus sous une même marque, fixée depuis le 1er janvier 2021 à 95 g/km. Un constructeur dépassant cette norme pour les véhicules vendus se voit sanctionner par une amende dissuasive. Ce seuil a été fixé à 81 g/km en 2025 et 59 g/km en 2030.

De fait on tend à mélanger deux problèmes : les émissions de gaz à effet de serre, qui ne sont pas, au sens strict, des pollutions car elles n’ont pas d’effet direct sur la santé humaine et la biosphère, et les pollutions de l’air et du milieu naturel par émission de gaz toxiques, comme les oxydes d’azote (Nox) et les particules, hydrocarbures imbrûlés ou matières émises par les pneumatiques au roulement ou les disques de freins. 

Alors qu’en effet la source principale d’émission de gaz à effet de serre (GES) devrait, en Europe, se réduire grâce à l’interdiction de la vente des véhicules à moteur thermique à partir de 2035, mais pas de l’usage des véhicules thermiques existants dans le parc à cette date, on constate que les autres facteurs vont, mécaniquement, prendre une place plus importante. Mais on ne découvre pas ces phénomènes. Les manufacturiers qui produisent les pneus en sont conscients, car la nature de l’usure des pneumatiques est un facteur essentiel du maintien de leurs propriétés de roulage. Or un pneu est un produit devenu très sophistiqué qui résulte de mélanges chimiques, issus notamment de la pétrochimie, de traitement thermiques et mécaniques qui constituent le produit final. La vie du pneu dépend de la nature de la surface de frottement, de l’état de la route, de la température et des conditions de conduite, notamment de la fréquence et de l’intensité des freinages. Il suffit d’observer l’état du revêtement routier après une course de voitures ou de motos, ou du freinage de poids lourds sur autoroute. Or ces particules dissociées du pneu vont se disperser dans le milieu ambiant, se retrouver dans les eaux pluviales, puis ultimement dans les océans, et dans l’atmosphère. Ces microparticules pénètrent dans les voies respiratoires et peuvent contribuer à des pathologies multiples. 

De nombreuses études viennent récemment d’être publiés pour documenter ce sujet complexe, en Grande-Bretagne avec l’étude Emissions Analytics de 2022, en Allemagne par l’ADAC. Emissions Analytics estime à 300 000 tonnes de résidus de pneus émis chaque année aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Une étude de 2017, produite par The International Union of Conservation of Nature, estime à 0,8 kg par personne les émissions dues aux peneumatiques dans le monde, allant jusqu’à 4,7 kg aux Etats-Unis. On estime ainsi qu’en zone urbaine dense, comme la région parisienne, 41% des particules fines émises par le trafic routier proviennent de l’abrasion des pneus. L’étude ADAC montre que le poids des matières libérées par l’abrasion augmente avec le diamètre du pneu ; elle est plus importante pour les gommes tendres de pneus d’hiver et beaucoup plus réduite pour les pneus à faible résistance au roulement. Ces résultats dépendent de la conception des pneus et donc de la stratégie et de l’expertise de la marque. Le français Michelin, initiateur dès 1992 des premiers pneus à faible résistance au roulement, apparait comme un des manufacturiers les plus vertueux pour le rapport performances de roulage/abrasion.

Alors que le nombre de voitures augmente, y compris pour les véhicules électriques - souvent plus lourds - cette pollution due aux pneus et aux freins va-t-elle s’intensifier à l’avenir ?

La prise de conscience de la toxicité de ces émissions n’a pas conduit jusqu’alors à l’édiction de règlementations spécifiques. Par ailleurs, il n’existe pas de dispositif permettant de lutter contre ces « émissions » de particules diffuses et aléatoires et la multiplicité des facteurs qui en sont à l’origine rend complexe le choix de critères de mesure. Il est clair que les véhicules électriques, plus lourds et équipes de roues à fort diamètre, peuvent être un facteur d’aggravation de ces émissions polluantes. En même temps la recherche de l’amélioration de l’autonomie conduit à privilégier les pneus offrant la plus faible résistance au roulement, qui ont la particularité de produire moins de particules. Le pneu Michelin carboneutre e-Primacy, présenté en 2020, augment l’autonomie électrique de 7%. Cette boucle vertueuse est de nature à contribuer à la réduction des émissions de particules. Par ailleurs, le freinage régénératif des véhicules électriques permette d’alléger les contraintes au freinage sur les pneus. Les véhicules électriques, s’ils donnent au problème des émissions de particules des pneus une place nouvelle, peuvent contribuer à leur réduction par des évolutions de comportement des conducteurs et d’apport des techniques de freinage. L’allégement des véhicules électriques et la réduction de leurs tailles dans les prochaines générations devraient apporter des réponses durables.

Avons-nous eu tendance à sous-estimer ce phénomène de pollution ? Surtout, est-il possible de lutter efficacement contre ce phénomène ?

La pollution automobile est un vaste sujet qui fait l’objet depuis les années soixante-dix de multiples études scientifique et de règlementations à la fois de protection des clients et de prévention de santé publique ; c’est un champ intense de règlementation mondiale. La règlementation aborde ce vaste front sur divers sujets qui ont un impact sociétal majeur : la sécurité active et passive, la consommation d’hydrocarbures, les émissions de gaz à effet de serre, les émissions de gaz toxiques et de particules, le recyclage. Certaines contraintes se révèlent contradictoires ; les équipements de confort et de sécurité ont conduit ainsi à une augmentation du poids des véhicules. Il y a donc constamment la recherche d’un optimum entre les parties prenantes qui conduit à des compromis. On peut dire que le dernier choix structurant de l’Union Européenne, la migration forcée de l’industrie automobile européenne, vers l’électrification a suscité beaucoup de controverses, une incompréhension des clients et une résistance des constructeurs. Imposer une nouvelle vague de règlementation sur un sujet aussi multifactoriel que l’abrasion des pneumatiques pose un problème technique, économique et politique.  Dans un premier temps, les études se concentrent sur l’analyse des composants chimiques du pneu pour identifier les plus toxiques et disposer d’un système universel d’analyse des composants avant de réglementer. Les enjeux de concurrence sont considérables puisque la composition des pneus est un secret de fabrication. Certaines pistes sont explorées, comme la capture des émissions au sortir de la roue par un dispositif physique. La mise en œuvre industrielle parait toutefois complexe.

Mais, si l’électrification apporte des réponses précises à la réduction des émissions de CO2, elle révèle que tout déplacement d’un véhicule a un impact sur l’environnement qui dépasse la consommation d‘énergie. Mais, ouvrant une ère nouvelle dans l’histoire de l’automobile, elle permettra de focaliser la recherche et le développement sur l’ensemble de ces facteurs.

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