Ces leçons de la destruction du croiseur russe Moskva que devrait tirer l’armée française sur ses stratégies futures <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo d'archive prise le 3 août 2013 du croise lance-missiles russe Moskva, au port de La Havane.
Une photo d'archive prise le 3 août 2013 du croise lance-missiles russe Moskva, au port de La Havane.
©ADALBERTO ROQUE / AFP

Touché coulé

Le Moskva, croiseur et navire-amiral de la flotte de la mer Noire, a coulé suite à des tirs de missiles ukrainiens, faisant exploser des munitions à bord. Cette perte pourrait-elle modifier la stratégie russe ?

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Atlantico : Le croiseur russe Moskva, un des fleurons de la flotte russe mer Noire, aurait coulé jeudi suite à des tirs ukrainiens. Moscou a confirmé la perte du navire dans la journée. Cette perte pourrait-elle modifier la stratégie russe en mer Noire ? 

Jean-Vincent Brisset : Le Moskva avait 40 ans, ce n’est donc pas ce qui se fait de plus moderne. D’ailleurs, le concept de bâtiment super-armé est un peu dépassé. De plus, il faut savoir que les actions de la flotte russe ne sont pas primordiales sur le plan militaire dans le cadre de ce conflit. Cette perte est pourtant importante sur le plan opérationnel car la capacité d’emport en munition et de frappe de ce navire était très importante. Le tempo opérationnel pourra également être chamboulé. En revanche, la stratégie russe, qui consiste à créer une ligne de front terrestre à la frontière du Donbass ne devrait pas changer et les navires russes sont plutôt utilisés comme plateforme de tir. En conclusion, je ne pense donc pas que cette perte puisse changer quelque chose sur le plan purement stratégique. 

Alors que la marine ukrainienne est quasiment anéantie, elle à réussi à couler une des plus grosses unités de combat de surface au monde. Comment expliquer ce revers de l’armée russe ?

La marine ukrainienne était déjà quasiment inexistante avant le début de l’offensive russe. Il y avait bien une frégate mais elle a coulé très rapidement. La destruction d’un tel navire a donc de quoi étonner. On ne sait pas exactement comment ce bateau a coulé et plusieurs explications sont actuellement sur la table. Ce qui est sûr, c’est que cela démontre de graves manquements du côté russe, ce qui n’est pas inhabituel depuis le début de ce conflit. 

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Les Russes ont fourni une explication particulière au sujet de la perte de ce croiseur. Selon eux, un incendie les aurait forcés à remorquer le bâtiment, qui a ensuite coulé à cause d’une tempête. Quoi qu’on puisse en penser, cette explication n’est pas extravagante puisque de tels accidents ne sont pas si rares. Je soupçonne aussi les marins russes de manquer de rigueur en matière d’entretien et de sécurité. 

Pour Kiev, cette destruction est due à un tir de missile. C’est tout à fait possible aussi, mais vu l’endroit ou le bateau a été touché, la désignation de la cible serait probablement le fait de pays occidentaux. Ce qui est sûr, c’est qu’à partir du moment où les Russes ont annoncé que cette destruction était le fait d’un accident, ils ne peuvent plus accuser qui que ce soit. Il faut bien noter qu’il est très compliqué d’assurer une protection face à des missiles, et je ne pense pas que la qualité opérationnelle de la marine russe soit en mesure de prévenir une telle attaque.

Alors que la France a annoncé la construction d’un porte-avion de nouvelle génération à l’horizon 2038, la perte de ce croiseur peut-elle remettre en question la stratégie militaire de l’Armée française ? Le coût d'un tel navire, au vu de sa relative fragilité face aux missiles notamment, vaut-il l'investissement ?

Le porte-avions français est remis en question depuis des années. Un tel navire est intéressant lorsqu’il faut mener des opérations ou des aéronefs bases à terre ne peuvent pas aller, faute de base opérationnelle amie proche. De plus, pour assurer une permanence tout au long de l’année, il faudrait au moins 3 porte-avions, car ces derniers demandent beaucoup de maintenance. Le Charles De Gaulle par exemple a été indisponible pendant 18 mois. 

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De plus, une opération menée depuis un porte-avion est bien plus coûteuse qu’une opération menée depuis le sol. En Yougoslavie, un kilogramme de munitions délivrées sur un objectif depuis un porte-avion coûtait 4 fois plus cher qu’un kilogramme tirées depuis un avion qui part d’une base terrestre. On peut aussi avancer qu’un porte-avion est un très bon instrument de démonstration, c’est pourquoi les politiques aiment bien en avoir, même plus que certains marins ! C’est pourtant un bâtiment qui coûte extrêmement cher à la conception et en entretien, ce qui est problématique dans un pays qui a des limitations financières. Il y a donc des arguments pour et des arguments contre.

Pour savoir si un tel investissement est intéressant, il faut se demander dans quels cas cela procure un avantage par rapport à des missions basées à terre. C’est pour moi la question fondamentale. Ce qui est certain, c’est que sans porte-avion, certaines missions seraient bien plus compliquées à mener. 

Dans quelle mesure l'efficacité des missiles contre l'équipement traditionnel doit-elle nous faire repenser notre stratégie militaire et notre manière de nous équiper et d'envisager les conflits ?

Il est certain que le conflit en Ukraine, le premier depuis longtemps à opposer des forces disposant d'équipements lourds en quantité comparables. Il a démontré l'efficacité des missiles de toutes tailles, qu'il s'agisse de missiles anti chars ou anti aériens à courte portée ou de missiles ayant une portée de dizaine ou de centaines de kilomètres, ce qui remet beaucoup de choses en question. On pensait en particulier que les contre mesures électroniques ou autres pourraient être très efficaces et ce n'a pas été le cas.

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Dans cette lutte éternelle entre le boulet et la cuirasse c'est aujourd'hui le boulet qui semble prendre le dessus. Il va donc falloir travailler sur les protections, en renforçant les cuirasses ou en faisant perdre leur efficacité aux projectiles, en leur faisant manquer leurs cibles ou en les détruisant sur leur trajectoire. Les armes à énergie dirigée, par exemple, devraient connaître un fort développement.

Et la France a-t-elle encore trop tendance à considérer son armement comme visant à des conflits avec des puissances plus faibles ? Oublie-t-elle qu'elle peut avoir des adversaires autant voir mieux armés qu'elle ? 

Pour le moment, la France fait de la basse intensité. Elle considère donc encore des conflits avec des puissances plus faibles qu’elle. À l’heure actuelle, il ne serait donc pas possible de mener des missions contre des puissances de force équivalentes sur le long terme. 

Au niveau de l’armement, on ne tient pas les promesses et les espoirs que nous avons annoncés, et ce pour différentes raisons, notamment budgétaires. Un effort assez gros a été fait au début du quinquennat d’Emmanuel Macron, puis nous avons donné des Rafales d’occasion, une frégate à l’Egypte… Nous sommes donc en deçà du niveau qui était initialement prévu. 

La guerre de haute intensité est le nouveau crédo du chef d’État Major des armées, mais peut-on se confronter aux Russes avec notre équipement actuel ? La France ne possède pratiquement plus de chars, même si leur efficacité peut être remise en question en 2022. Nous possédons un certain nombre de bateaux, d’avions, mais nous n’avons pas de gros armements, même si notre force de frappe reste relativement complète. 

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