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Ces "bactéries cauchemar" qui commencent sérieusement à inquiéter les médecins
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Bactéries mutantes

Une patiente est décédée dans un hôpital en septembre dernier aux Etats-Unis. Aucun des quatorze antibiotiques prescrits par les médecins n'avait suffi pour endiguer l'infection. Ce fait de société remet en avant ces molécules présentes dans les antibiotiques qui ne suffisent plus à vaincre des infections et inquiète les médecins

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Cela fait longtemps que l'on connaît le problème des bactéries qui résistent aux antibiotiques. Ces molécules ne parviennent plus aussi bien à vaincre ces bactéries. Où en est-on de cette situation aujourd'hui ? 

Stephane Gayet : Premièrement, aucun antibiotique n’est et n’a jamais été efficace sur toutes les bactéries pathogènes ou potentiellement pathogènes pour le corps humain et c’est heureux. Ainsi, toute espèce bactérienne est naturellement résistante à un ou plusieurs antibiotiques, c’est la résistance naturelle ou innée, cela sans n’avoir jamais rencontré le moindre antibactérien (niveau 0). Cette résistance naturelle, innée, génétique, caractérise les souches « sauvages ». À un degré de plus (niveau 1), il existe la résistance habituelle : elle est un peu plus élevée que la précédente, mais ne présente pas de difficulté thérapeutique lorsqu’il existe une infection ; elle varie bien sûr au cours des années. À un degré de plus (niveau 2), on trouve la multirésistance, propriété pour une souche bactérienne de ne plus être sensible qu’à un petit nombre d’antibiotiques habituellement utilisés (bactéries multirésistantes ou BMR) ; il est alors difficile de traiter une personne infectée.

Au-dessus (niveau 3), on trouve les bactéries dites hautement résistantes ou BHR : elles ne sont plus sensibles qu’à très peu d’antibiotiques et il est très difficile de traiter un sujet infecté. Les BHRe sont des BHR émergentes qui constituent un très préoccupant problème de santé publique (BHR qui sont commensales du tube digestif, dont certaines entérobactéries, qui se transmettent facilement d’un sujet à l’autre et peuvent transmettre à d’autres bactéries leur pouvoir de résister). Le niveau 4 est un 2 niveau submaximal : il s’agit des bactéries ultra résistantes (BUR) qui ne sont plus sensibles qu’à un voire deux antibiotiques. Le niveau 5 est le niveau maximal : bactéries dites toto résistantes ou BTR ; elles sont résistantes à tous les antibiotiques et il n’existe plus de médicament efficace pour traiter une infection. On l’aura compris, le niveau 0 est naturel, inné, alors que les niveaux 1 à 5 sont acquis, adaptatifs.

Les bactéries résistantes parmi les plus préoccupantes aujourd’hui à l’échelle mondiale sont les entérobactéries productrices de carbapénémase ou EPC. Les entérobactéries vivent dans l’intestin de l’homme ou des animaux. Le suffixe « ase » désigne une activité enzymatique : une carbapénémase est une enzyme (produite par une bactérie) capable de rendre inactif un antibiotique du groupe des carbapénèmes. Pour situer les choses, il existe une petite quinzaine de familles d’antibiotiques ; parmi elles, la famille des bêtalactamines est majeure : historique (pénicilline), stratégique (action sur la paroi bactérienne, principale arme de défense passive), très vaste, puissante, rapide et bien tolérée ; au sein des bêtalactamines, il y a encore 4 groupes (les pénams ou pénicillines avec 6 sous-groupes ; les céphems ou céphalosporines avec 3 sous-groupes ; les monobactams ; les pénems ou carbapénèmes). Les carbapénèmes sont des antibiotiques à très large spectre, haut de gamme. Une personne infectée (donc malade) par une EPC est vraiment difficile à traiter (trouver un antibiotique encore efficace et utilisable). C’est le cas de cette personne récemment décédée (BTR).

Attention à bien faire la différence entre une personne infectée, donc malade (exemple : infection urinaire) et une personne simplement colonisée (la bactérie est dans l’intestin, mais l’individu n’en est pas malade, car la bactérie est inactive). Qu’en est-il donc de la répartition géographique de la multi résistance bactérienne ? En matière d’EPC, point n’est besoin d’aller très loin : une carte publiée en 2013 dans la revue Lancet, sans indiquer de fréquence, situe le 3 phénomène EPC dans les différents pays du Monde. On y apprend que le sud de l’Europe est déjà très touché, particulièrement la Grèce et l’Italie, où la fréquence est très largement supérieure à celle de la France, encore fort heureusement très peu concernée. La Roumanie et la Hongrie sont également des pays à risque élevé, de même que, plus au nord de l’Europe, la Pologne, mais aussi un peu étonnamment le Royaume-Uni. Aux frontières de l’Europe, la Turquie est un pays à haut risque. Sur d’autres continents, les pays les plus touchés sont, sur le continent américain : les États-Unis d’Amérique, la Colombie, le Brésil et l’Argentine ; sur le continent asiatique : la Chine, l’Inde et le Pakistan. Mais il faut être conscient du fait que les données sont très difficiles à obtenir : il s’agit d’estimations qui reposent sur des signalements effectués, notamment à partir de voyageurs de retour dans leur pays. Heureusement, 95 % des personnes colonisées éliminent d’eux-mêmes la bactérie multi résistante « intruse » dans les trois mois qui suivent leur retour : c’est rassurant concernant les voyageurs.

Où en est-on dans la recherche ? Malgré les sommes investies, pourquoi est-il aussi compliqué de vaincre ces bactéries ? Qu'est-ce qui bloque ? 

La recherche sur les antibiotiques stagne un peu actuellement, et cela depuis des années. La plupart des antibiotiques proviennent de bactéries qui se battent les unes contre les autres avec cette arme chimique, ainsi que de champignons. En continuant à chercher dans cette voie, on a beaucoup de mal à trouver une nouvelle famille d’antibiotiques, une famille radicalement différente de celles que nous connaissons depuis des décennies. Il faudrait en effet que l’on trouve une autre source de substances chimiques ayant un effet antibactérien, en dehors des sources classiques, bactériennes et fongiques (champignons). C’est ce qui semble nous manquer aujourd’hui pour espérer un progrès décisif en matière d’antibiotiques.

On a commencé à chercher du côté des insectes et l’on a déjà isolé chez certaines espèces des protéines antibactériennes qui sont un moyen naturel de défense antibactérienne de ces 4 insectes. Ces peptides (protéines) ont une efficacité certaine, mais ceux qui ont déjà été trouvés ne sont pas utilisables en thérapeutique, car mal tolérés ou bien facilement inactivés. Certes, d’importants moyens sont utilisés dans cette recherche, mais la recherche médicale a beaucoup d’autres priorités que la mise au point de nouveaux antibiotiques radicalement différents de ceux dont on dispose déjà. On se demande s’il faut continuer à investir autant dans la recherche sur les antibiotiques, alors que d’autres voies sont porteuses d’espoir, comme la vaccination et les virus antibactériens (virus phagiques : phagothérapie). Car maintenant que l’on connaît le fort potentiel de résistance des bactéries, on peut craindre que tout nouvel antibiotique soit voué à l’échec en quelques années. Il est possible que les antibiotiques soient des médicaments du passé, dans l’espoir de mettre au point des armes radicalement nouvelles contre les bactéries. En outre, il faut rappeler le contexte aujourd’hui difficile de la recherche pharmacologique : elle est devenue très réglementée, très contraignante et extrêmement coûteuse.

En quoi cette situation change le rapport du patient à l'infection ? Y-a-t-il un reflux de l'espoir de vaincre certaines d'entre elles ?  

Ce cas rapporté est un cas extrême : le décès d’une personne atteinte d’une infection liée à une bactérie totalement résistance. C’est heureusement une situation exceptionnelle, mais il y en a déjà eu et il y en aura d’autres assurément. En effet, le rapport du patient avec l’infection est en train de se transformer. Dans les années 70 et 80, l’infection bactérienne ne faisait pas peur, car on avait tout ce qu’il fallait en matière d’antibiotiques pour la juguler. Aujourd’hui, on peut mourir d’infection bactérienne, même dans un pays à très haut niveau de vie et ayant accès à tous les moyens modernes de traitement. Cette modification du risque va nous obliger à revoir notre prévention, c’est-à- dire l’hygiène microbienne.
Longtemps rassurés par un luxe de possibilités curatives des infections, nous avons en effet négligé la prévention. Il va falloir 5 réapprendre l’hygiène, si tant est qu’on l’ait vraiment appliquée comme il le fallait dans le passé. Il n’est pas excessif de dire qu’il faut à présent trouver mieux que les antibiotiques. Nous nous dirigeons sans doute petit à petit vers une nouvelle ère, l’ère post-antibiotique. Car on a un peu tué ces médicaments par une surutilisation, tant médicale que vétérinaire et agroalimentaire. Mais quand arrivera cette nouvelle arme antibactérienne tant attendue ? Ce n’est pas pour maintenant, semble-t- il.

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